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mercredi 21 juin 2017Experts

Vers de nouvelles utopies, ou la technique du croissant ?

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Le progrès en général, technique, scientifique ou social plus particulièrement, nous a habitué à nous proposer des avancées qui sont devenues petit à petit pour certaines des utopies, et qui n'ont pas dans le temps tenu leurs promesses et les espoirs qu'elles avaient suscités. J'ai tenté de discuter timidement cette question dans un précédent billet d'humeur traitant de la scienceploitation.

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Le monde de la biologie semble être animé des mêmes caractéristiques. Celui de la cosmétique, en suivant les mêmes règles, n'est pas étranger non plus à ce genre de manifestations. C'est ainsi par exemple qu’à la fin du "siècle dernier", un fort engouement s'est brutalement installé autour de l'idée de l'utilisation de la mélanine en remplacement des filtres UV. Idée qui a fait long feu mais après de nombreux efforts.
D'une certaine façon, l'utilisation de liposomes et de systèmes lipidiques organisés a suivi un peu la même logique. Plutôt que d'utopie, peut-être faudrait-il parler plutôt de modes. C'est ainsi que nous sommes passés progressivement des protéines de jeunesse aux cellules souches, à la génétique, à la globalisation et on pourrait continuer ainsi le catalogue des "bonnes idées", chacune déclassant l’autre.

Force est de constater que ce qui caractérise un peu notre profession sont les engouements soudains et brutaux sur des thèmes donnés. Nous sommes à peine sortis de la pollution, encore que, que pointe à l'horizon un nouveau concept sur lequel certains fondent beaucoup d'espoir. Je veux parler bien évidemment du microbiote, ou microbiome, suivant le point de vue des experts. Ce terme fait soudain l'actualité et toute une série de manifestations sont organisées autour de cette question.
En effet, après la journée d'étude sur ce thème tenue à Paris en janvier, reprise dans le cadre de l’IFSCC de Londres, de nouvelles journées ont été proposées, Skin Microbiota , et celle managée par la SFA , à Paris en juin. Il faut savoir s'en réjouir, même s'il est un peu cocasse que sur le même thème, personne n'écoutait la bonne parole il y a un peu plus d'une dizaine d'années ! Mais passons…

Ceci est-il une marque d'importance qui nous dit que nous devrions apporter beaucoup d’attentions à cette question, ce que je suis tenté de croire ? Ou au contraire une opportunité sur laquelle certains vont surfer avant que nous passions à autre chose ? Ce que je crains, car on voit déjà pas mal de choses paraître dans ce sens, comme en témoigne cet article , et cet autre article . La seconde approche serait regrettable, mais malheureusement, c'est bien souvent le sort que l'on réserve aux nouveaux concepts : rappelez-vous des thèmes décrits ci-dessus ! Le débat va donc continuer sur celui-ci.

Mais à côté de ça, faisons bien attention de ne pas brûler tous nos vaisseaux en même temps ni d'aller un peu trop vite. Pour illustrer mon propos, je voudrais juste prendre deux exemples récents qui devraient nous conduire à être prudents et à faire les choses dans le bon ordre.

La première concerne un brevet (US Patent App 20170119827) qui a été déposé aux États-Unis sur une préparation destinée à la peau des enfants, probablement la dermatite atopique, et dans lequel on vante les mérites de "bonnes bactéries". Jusque-là, rein de très nouveau. Mais plus spécifiquement, ces bactéries sont génétiquement modifiées par CRISPR Cas9 !!! Il n’est plus nécessaire de présenter CRISPR-Cas9, cet outil moléculaire révolutionnaire, permettant d’intervenir directement sur le code génétique du vivant pour le modifier. Cette invention a beaucoup fait parler d’elle pour les espoirs qu’elle suscite dans le traitement de bon nombre de maladies génétiques, mais aussi pour les craintes qu’elle déclenche sur la modification intempestive du vivant. CRSPR-Cas 9 est au cœur d’une bataille de brevets et de prééminence sur un marché des plus prometteurs. Certes, on pourra discuter sur le fait de savoir si ce type de préparation est finalement un cosmétique ou un médicament, mais pour le moment, il est présenté plutôt comme un produit cosmétique.

Le second fait se trouve dans une publication récente, relayée dans un article de Futura Sciences . Des chercheurs du Centre médical de l’Université Columbia, Stephen Tsang et Lazlo T. Bito, y publient les résultats d’une enquête qu’ils ont menée sur l’utilisation de CRISPR. D’emblée, ils tiennent à alerter la communauté scientifique : " Nous estimons qu’il est essentiel que la communauté scientifique considère les dangers potentiels de toutes les mutations hors cible provoquée par CRISPR-Cas9 incluant des mutations de nucléotides et celles dans des régions non codantes du génome ".

Donc, n’est-il pas un peu trop tôt pour commencer à se précipiter sur des applications grand public alors que nous ne savons pas grand-chose du microbiome cutané, de l’effet des cosmétiques courants sur sa composition, de l’effet des modifications de ce microbiome et de beaucoup d’autres choses qui restent à clarifier ? Et les pauvres formulateurs ou développeurs, ils intègrent ça comment ?

Mais c'est malheureusement la règle du genre dans nos métiers, où on pratique très régulièrement la "technique du croissant", c'est-à-dire celle qui consiste à consommer les choses avant que la boulangère n'est eue le temps d'emballer la marchandise !!!!!

Ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas continuer à s'intéresser attentivement à cette question, car si une chose est certaine, c'est qu'elle va avoir une implication importante.

Jean Claude Le Joliff

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