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mercredi 26 juin 2019Congrès

Cosmétiques : la sécurité en danger

Marc-Antoine Jamet, Président de la Cosmetic Valley

Le 20 juin 2019, la Cosmetic Valley organisait une journée de conférences sur le thème de la sécurité du consommateur. Base essentielle du Règlement européen 1223/2009, cette notion semble pourtant aujourd’hui mise à mal, comme l’a évoqué Marc-Antoine Jamet, le Président de la Cosmetic Valley, dans son discours d’introduction, et comme l’ont démontré ensuite Charles Reinier, de Cosmepar, et Gaël Gervais, d’Analytec, avec leurs analyses de l’évolution des formules cosmétiques depuis 2010.

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“La sécurité est la force de la marque France dans le monde entier”, a rappelé Marc-Antoine Jamet. “C’est un sujet important qui, de l’ingrédient jusqu’au consommateur, concerne tous les acteurs de la filière, quelle que soit leur entreprise ou leur fonction”.
Pourtant, selon le Président de la Cosmetic Valley, c’est aussi un sujet qui rencontre un grand nombre de difficultés et d’incertitudes, “notamment à cause de gens qui ne sont pas sérieux face à cette problématique qui l’est tant”.

Cinq attaques contre la sécurité cosmétique

Il en a évoqué cinq, parmi les plus majeures.

1. On impose paradoxalement à la cosmétique des normes de sécurité beaucoup plus strictes qu’à la pharmacie ou à la chimie, qui sont pourtant plus susceptibles de causer des dommages aux consommateurs. Exemple : le phénoxyéthanol, beaucoup moins dosé en cosmétique que dans les produits pharmaceutiques ou des produits chimiques, fait l’objet d’avis des agences nationales beaucoup plus sévères que ceux qui sont rendus pour la pharmacie ou la chimie.

2. Contrairement aux autres pays occidentaux, ce sont les agences nationales et les administrations françaises qui mettent en doute la sécurité des produits cosmétiques. Et ces agences, par là même, introduisent le doute chez les consommateurs.

3. Les applications posent aussi problème. La DGCCRF a décidé de les réguler dans le secteur alimentaire, pour que les intérêts commerciaux ne viennent pas influer sur le jugement des produits qu’elles émettent, mais elle n’est pas intervenue en cosmétique. Ce qui fait qu’est apparu un certain nombre d’applications dénigrantes. “Elles apparaissent comme une avancée sociétale, mais comme elles ne sont pas contrôlées, elles sont au contraire une régression et un danger”, a assuré Marc-Antoine Jamet.

4. Autre problème cité par le Président de la Cosmetic Valley : la lutte contre le gaspillage et le retour des invendus. Une bonne chose en soi, mais il se trouve que dans la cosmétique, à partir du moment où le produit est ouvert, il doit être détruit s’il est retourné au fabricant pour des raisons de sécurité. “Cette nécessité du recyclage que la secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, Brune Poirson, demande, devrait s’accompagner de mesures d’exceptions et d’accompagnement, de garanties et de sauvegardes supplémentaires données au consommateur, et ce n’est pas le cas”.

5. Enfin, parfois, “la sécurité est remplacée par le bio, qui devient ainsi, avec le greenwashing, un alibi à la non-sécurité.”

Tout cela fait que Marc-Antoine Jamet s’interroge sur le marché mondial de la cosmétique et sur son évolution :“Nous sommes heureux de compter six milliards de consommateurs, de voir des marchés immenses qui s’ouvrent, mais le marché français, lui, régresse, du fait des cinq points que je viens d’évoquer : applications dénigrantes, mises en cause par nos agences, greenwashing, contrefaçons, incertitudes sur les dispositions anti-gaspillages. Être leader d’un marché qui régresse même légèrement n’est pas une bonne chose”, a-t-il conclu.

L’impact sur la formulation

Charles Reinier, Directeur technique de Cosmepar et Gaël Gervais, Responsable du laboratoire Analytec, ont ensuite montré de façon très concrète comment la sécurité cosmétique n’était pas seulement menacée mais effectivement affectée par le contexte qui l’entoure actuellement.

Cosmepar, Cosmebac et Analytec sont trois laboratoires de tests indépendants spécialisés dans l’analyse des produits cosmétiques. Depuis 2010, ils analysent l’évolution des formules cosmétiques soumises en test.

“Nous avons déjà réalisé cet exercice en 2013, un peu plus d’un an après le projet de loi Lachaud destiné à enterrer les parabènes,” a rappelé Gaël Gervais. “En l’espace de deux à trois ans, on a assisté à une révolution complète des formules : tout le monde a reformulé pour enlever les parabènes qui ont été remplacés en grande partie par les MIT/MCIT”.

Une vague de reformulations

Depuis 2013, on connaît une phase réglementaire relativement stable, marquée par peu de modifications majeures des Annexes du Règlement Cosmétiques, et des avis “raisonnés” du CSSC.
D’un point de vue industriel, avec la mise en place des BPF, l’outil est de mieux en mieux maîtrisé, avec une validation des process, une qualification précise des matières premières, une optimisation des flux…
Ce contexte devrait permettre également la sécurité et une certaine stabilité des produits cosmétiques dans le temps, mais paradoxalement, leurs formules n’ont jamais été modifiées aussi vite : “Il y a quelques années, quand une formule arrivait sur le marché, elle y restait pour cinq à dix ans”, a souligné Gaël Gervais. “Aujourd’hui, il est rare de voir un produit qui n’est pas reformuler au bout de trois ans”.

Comment en est-on arrivés là ? Beaucoup de facteurs entrent en jeu, parfois divergents. Les leaders d’opinion ont changé et les raisons pour lesquelles on reformule aussi. Dans la nébuleuse du contexte : le bio et la conscience environnementale qui s’accroît, la demande accrue d’efficacité et de tolérance, les applications comme Yuka ou l’impact des associations de consommateurs comme UFC-Que Choisir, le doute sur la sécurité de nombreux ingrédients, le “Sans…”… Et ce contexte influe fortement sur les attentes des consommateurs, qui deviennent plus complexes et très changeantes.

Le bilan présenté par les deux intervenant est issu de plus de huit ans d’étude et d’analyse d’environ 180000 formules, toutes galéniques confondues.

2010-2018 : l’évolution de la conservation

Le retrait des parabènes a modifié radicalement la répartition des différents conservateurs utilisés en cosmétique.

Dans les années 2010-2011, les parabènes étaient présents dans 28 % des produits. Venaient ensuite les acides organiques (24 %), le phénoxyéthanol (23 %), les conservateurs halogénés (8 %) et les isothiazolinones (7 %).

Changement de décor en 2012-2013. Les parabènes ne se retrouvent plus que dans 6 % des produits, délaissés au profit des isothiazolinones qui assurent la conservation de 31 % des formules ! Le phénoxyéthanol se maintient à 23 %. Les conservateurs halogénés sont en hausse (13 %) et les acides organiques en baisse (14 %).

Nouvelle évolution depuis 2013 : les isothiazolinones, d’abord massivement utilisées, ont été fortement abandonnées suite aux avis négatifs du CSSC concernant leur tolérance et une réglementation plus restrictive. Les parabènes sont en décroissance constante jusqu’à n’être quasiment plus utilisés. Le phénoxyéthanol, qui a d’abord servi de recours, est également en baisse régulière depuis quelques années, les conservateurs halogénés en légère augmentation.
Mais le plus frappant est la prépondérance actuelle des acides organiques (acide benzoïque, acide sorbique, acide déhydroacétique, alcool benzylique… et leurs sels) : ce sont les seules conservateurs à être autorisés dans les produits bio, et ils sont présents dans près de la moitié de l’ensemble des formules.
Les glycols (décylene glycol, caprylyl glycol, butylène glycol, propanediol…), ces ingrédients multifonctionnels utilisés comme boosters de conservation se retrouvent eux aussi de plus en plus dans toutes les formules.

Ce que les données montrent
• Un retrait très important des parabènes et des isothiazolinones.
• Une baisse significative du phénoxyéthanol depuis 2014.
• Une explosion des formules utilisant des acides organiques.
• Un relatif maintien des autres conservateurs listés.

Ce que les données ne montrent pas
• Une utilisation massive des glycols “multifonctionnels” non réglementés (et donc non dosés dans les analyses).
• Une augmentation des formules sans conservateurs listés.

Les nouvelles formules et leur sécurité

Les trois laboratoires de tests ont voulu mesurer les éventuels impacts des nouvelles stratégies de conservation dur la sécurité des formules, notamment au niveau microbiologique et sur la tolérance cutanée.

L’aspect microbiologique

De 2013 à 2018, les laboratoires ont répertorié la répartition des pollutions des formules (dénombrement des bactéries aérobies mésophiles, levures et moisissures) à partir des tests microbiologiques effectués au moment de la libération des produits.
Sur ces cinq années, de 84 à 88 % des produits se sont avérés indemnes de pollution : “Sur cinq ans, on a un état de la conformité microbiologique qui n’évolue pas”, a commenté Charles Reinier, ”ça ne se dégrade pas, mais ça ne s’améliore pas non plus”.*
Le danger lié à la présence d’agents pathogènes a également été évalué. Sur ces cinq dernières années, entre 0,1 et 0,8 % des produits en présentait au moins un au moment de la libération.

Concernant les challenges tests effectués pour le DIP (Dossier d’Information sur le Produit), ils n’étaient que 3 % en 2010 à être non conformes. Après la substitution des parabènes, le taux d’échecs est monté à 8 % pour les années 2011-2012 !
Redescendu à 4 % en 2013, il est ensuite d’abord resté stable en 2014 et 2015, avant de remonter autour de 7 % de 2016 à 2018.
“Durant ces trois dernières années, on a cherché de nouvelles stratégies de conservation qui viennent à dégrader le pouvoir antimicrobien global des formules cosmétiques”, a conclu Charles Reinier.

Ce que les données montrent
• On n’observe pas plus d’incidents microbiologiques, mais pas moins non plus : malgré la mise en place des BPF, le dispositif global n’a pas été amélioré.
• On compte davantage d’échecs sur les challenges tests depuis les trois dernières années.
• Les nouvelles stratégies rendent plus difficile la conservation des produits cosmétiques.

Ce que les données ne montrent pas
• On voit une explosion de la présence des micro-organismes dit “objectionables” et de germes indésirables qui pourraient avoir un pouvoir pathogène, comme les Burkolderia sp., Pluralibacter sp. ou Pseudomonas sp.
• On remarque une activation plus fréquente des process de destruction des micro-organismes post-production (process thermique, irradiation…) pour pallier les non conformités microbiologiques.

Conclusion sur la sécurité microbiologique
• Globalement, le pouvoir antimicrobien des formules cosmétiques a régressé ces dernières années.
• Le taux de produits pollués stagne.
• Objectivement, le consommateur ne bénéficie pas d’une amélioration globale de la sécurité microbiologique des produits qu’il utilise.
• L’application des BPF et la revue massive des outils de production ont seulement permis de combler certaines des faiblesses de la protection des formules.

L’aspect tolérance

Pour leurs analyses, les laboratoires se sont basés sur deux éléments de tolérance primaire : la tolérance cutanée par le patch test et l’irritation oculaire (cytotoxicité).

De façon similaire à la qualité microbiologique, le potentiel irritant des formules a significativement évolué ces dernières années. En 2012-2013, 7,8 % des formules présentaient un potentiel irritant ou légèrement irritant, elles étaient 5,6 % en 2014-2015 et 9,6 % en 2016-2018, ce qui représente une hausse significative.
“Comme pour la sécurité microbiologique, on voit une dégradation de la tolérance cutanée”, a commenté Charles Reinier.

Et le constat est le même pour la tolérance oculaire. En 2012-2013, 44,8 % présentait un potentiel d’irritation oculaire significatif (peu important, modéré ou important). Ce chiffre est descendu à 39,7 % en 2014-2015 pour remonter à 63,8 % en 2016-2018 !

Ce que les données montrent
• Après une phase de maîtrise de la tolérance cutanée sur 2014-2015, un accroissement des problématiques d’irritation cutanée sur les trois dernières années.
• Un accroissement majeur des problématiques d’irritation oculaire sur ces mêmes années.

Ce que les données ne montrent pas
• On ne remarque pas de lien entre ces potentiels irritants plus nombreux et les données de cosmétovigilance.

Conclusion sur la tolérance
Selon Charles Reinier, deux pistes pourraient expliquer les problématiques de tolérance. La première est l’utilisation accrue des glycols boosters de conservation, qui se retrouvent de façon prépondérante dans tous les types de produits (presque 100 % dans les formules de maquillage) et qui sont réputés pour faciliter la pénétration transcutanée. La seconde est le recours de plus en plus important des acides organiques, qui doivent être utilisés dans une plage de pH bien particulière : le pH moyen des formules a ainsi diminué de 1 point ces cinq dernières années…

Quelles perspectives ?

Les paramètres de sécurité chimique, physico-chimique, microbiologique et toxicologique étant interdépendants, toute modification d’un ingrédient fonctionnel majeur de la formule peut impacter sa sécurité, et donc celle des consommateurs.
“Le monitoring combiné au cours du développement est donc plus que jamais indispensable”, a conseillé Charles Reinier. “Dans cette hyper dynamique de reformulations, il ne faut pas perdre le fil conducteur qu’est la sécurité des consommateurs, quelles que soient les influences médiatiques, des ONG et associations de consommateurs, qui sont parfois un peu schizophrènes. La raison n’est pas incompatible de l’innovation”, a-t-il conclu.

LW
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