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lundi 6 février 2017Portraits

Même les cosmétiques ont droit à leur conte de fée

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Judith Levy et Juliette Couturier, deux jeunes entrepreneuses de 25 ans, ont développé une gamme de soins destinés aux femmes atteintes du cancer. Leur marque, Même, est la première sur le marché à proposer une réponse cosmétique aux effets indésirables sur la peau des traitements anticancéreux. Le tout joliment conditionné, pour permettre à ces femmes d’avoir accès à des produits de beauté comme les autres. Rencontre avec les deux protagonistes à l’origine de ce beau projet, directement lié à leur vécu. 

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~ 7 minutes

C’est au siège de Même, niché dans le deuxième arrondissement, que le rendez-vous a lieu avec Judith et Juliette. Alors qu’on pourrait s’attendre à voir des femmes aguerries, d’un certain âge, tant le projet est ambitieux et lourd, ce sont au contraire deux jeunes femmes qui ouvrent la porte. Passé le stade de l’étonnement, le temps du récit qu’est leur conte de fée est arrivé. Et, pour ne pas déroger à la règle, les péripéties sont nombreuses, avec une vilaine sorcière de taille, le cancer.

Il était une fois Judith…

C’est Judith qui prend la parole la première. Pour elle, tout commence adolescente, quand sa mère tombe gravement malade. Grande première chez les Levy. "J’ai découvert la maladie avec le cancer de ma mère, il n’y a jamais eu d’autre histoire similaire auparavant dans la famille", confie-t-elle. Très rapidement, elle remarque que sa mère, de nature très coquette et féminine, va s’acheter encore plus de cosmétiques et de vêtements qu’à l’accoutumée. La raison est évidente, "c’était sa manière à elle de camoufler le fait qu’elle était malade et que les gens ne s’en rendent pas compte. C’était également pour elle une façon de se battre et de garder le moral", explique-t-elle.
C’est à ce moment-là que Judith comprend à quel point il est important pour sa mère, au sortir de sa salle de bain, d’être fin prête à affronter le regard des autres et de faire en sorte qu’il change le moins possible. Pourtant, trouver des cosmétiques adaptés aux besoins d’une femme malade n’est pas évident, voire impossible. Judith raconte comment elle s’est trouvée de nombreuses fois "démunie dans les pharmacies, au milieu de milliers de produits, sans qu’aucun ne puisse convenir".
En 2010, alors âgée de 19 ans, Judith perd sa mère, des suites de sa maladie.
Alors qu’elle poursuit ses études de design, c’est durant sa dernière année de formation qu’elle va imaginer Même. Avec un mémoire portant sur la thématique de la féminité pendant la maladie, elle pense toute une gamme de produits de beauté, avec un packaging féminin et cocooning à souhait. Judith n’a pas encore de nom pour la marque, mais plutôt une sorte de mantra, "même malade je m’aime et on m’aime". Après réflexion, le mot s’est imposé "comme une évidence, puisque sa sonorité et son sens marchaient avec tous les éléments et adjectifs qui correspondaient à ce concept", précise Judith. Même voit le jour. Du moins dans son esprit, puisqu’en dépit des félicitations du jury et l’exhortation de ses proches à se lancer dans le projet, Judith, "peu entrepreneuse dans l’âme", comme elle s’amuse à le dire, préfère entrer en stage de fin d’étude chez L’Oréal Luxe.

… et Juliette

Juliette, à son tour, se présente. La maladie est également un leitmotiv dans son parcours. Elle a 10 ans lorsque sa tante maternelle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. C’est alors que Juliette devient familière de tous les protocoles de soins liés à cette maladie.
Peu de temps plus tard, la deuxième tante maternelle de Juliette tombe malade à son tour. Malheureusement, elle sera emportée en six mois par un mélanome.
Juliette raconte que pratiquement toutes les femmes de son entourage sont tombées malades. Étudiante à Sciences-Po et à HEC, où elle effectue un double diplôme, c’est pendant ses études secondaires que la meilleure amie de sa mère, dont elle est très proche, est diagnostiquée d’un cancer du côlon. Pour autant, Juliette, d’une nature forte et ambitieuse, poursuit ses études et enchaine les stages prestigieux. Elle se tourne vers les grands groupes car elle sait que c’est " le meilleur moyen d’apprendre, en ayant en tête l’idée d’ouvrir sa propre entreprise plus tard ". Après une expérience chez Dior et aux États-Unis, dans le secteur des cosmétiques, Juliette s’intéresse à la mode, mais retourne rapidement à ses premières amours. Elle décroche un stage chez L’Oréal Luxe.

Unies par le destin

La rencontre entre ces deux personnalités complémentaires est bien entendu l’élément déclencheur de l’aventure Même. Réunies chez L’Oréal Luxe, il n’aura pas fallu trois jours pour qu’elles se parlent. Chacune postée chez une marque différente du groupe, elles ont rapidement été amenées à travailler ensemble, pour faire du reporting de chiffres mensuels. Juliette lance un regard de connivence à sa partenaire évoquant " le déjeuner préliminaire avant de faire équipe ".
La discussion vient donc sur le cursus de chacune, et pour illustrer au mieux le champ d’action d’un designer, Judith évoque son idée de marque. C’est sans doute à ce moment précis que la magie a opéré entre les deux jeunes femmes. " Compte tenu du vécu de Juliette, mon projet lui a tout de suite parlé ", raconte Judith. " On s’est quittées, des étoiles dans les yeux. En revenant à mon poste, j’ai regardé ce qui existait déjà en la matière et si c’était un projet facile à réaliser. À 16 h, j’ai appelé Judith, en lui disant qu’il y avait vraiment quelque chose à faire ", explique Juliette.
Les filles poursuivent leur stage, tout en travaillant l’ébauche Même à côté. À un mois de la fin de l’expérience chez L’Oréal, en décembre 2014, Juliette est de nouveau mise à l’épreuve. " Un soir, ma mère est venue me chercher. Elle m’a annoncé qu’elle avait été diagnostiquée d’un cancer du sein et qu’elle allait être opérée dans deux jours ". Quinze jours plus tard, la jeune femme perd la meilleure amie de sa mère. Si Juliette avait des doutes concernant l’aventure Même, cette fin d’année a tranché pour elle. " Je me suis dit qu’il y avait eu dans ma vie, et dans celle de Judith, trop de signes pour nier ce projet ".
Toutes deux quittent L’Oréal en décembre 2014.

Les bonnes fées veillent au grain

S’il y a bien une constante au cours de l’aventure Même, c'est celle d’avoir rencontré des personnes bienveillantes. Dès les premiers jours de travail, en janvier 2015, " la belle-mère de Judith a trouvé un bureau libre dans son entreprise pour qu’on puisse travailler. Ce qui est un luxe quand on commence un projet ", place Juliette. Loin de s’arrêter en si bon chemin, l’équipe de choc doit trouver un laboratoire prêt à formuler ses produits. " C’est par contact interposé qu’on a rencontré le directeur de Sud Cosmetics (P&B Group), Laurent Dodet, qui, touché par le projet, a décider de formuler nos produits, sans avance, pour nous laisser le temps de lever les fonds ", explique Juliette.
On prend la même, et on recommence, c’est encore par des contacts interposés que Judith et Juliette rencontrent beaucoup de médecins, afin de discuter avec eux de la liste des ingrédients à privilégier et à proscrire dans les produits (comme des substances soupçonnées d’être perturbateurs endocriniens ou encore certaines fragrances contenant des allergènes). À la suite de cela, les équipes de Laurent Dodet travaillent pendant plusieurs mois pour concevoir les produits en fonction des exigences de Judith et Juliette. Sur le sujet, les deux sont unanimes et déclarent :" On voulait des formules clean. La formulation qui devait durer deux mois s’est étalée sur huit mois, puisqu’on rejetait pas mal de solutions. Aujourd’hui, on a des formules vraiment propres, et on a confiance en ce qu’il y a l’intérieur ".
Jamais deux sans trois, Judith et Juliette rencontrent en octobre 2015, grâce à leur réseau, leur bonne marraine. Actrice du milieu médical, elle est plus que consciente du besoin qu’il y a à proposer aux femmes malades une réponse cosmétique aux effets secondaires des chimiothérapies et thérapies ciblées. Elle décide donc d’investir à titre personnel.
Fortes de leur succès, les deux créatrices démarchent un fonds d’investissement pour finaliser la production, réaliser une étude clinique (qui a eu lieu sur toute l’année 2016 au Centre de Lutte contre le Cancer Léon Bérard de la région Rhône-Alpes et à l’Hôpital Privé Jean Mermoz à Lyon) et agrandir leur équipe.

Et elles vécurent heureuses ?

L’e-shop de Même est accessible depuis le 31 janvier, proposant sept produits pensés pour les femmes malades, à des prix accessibles.
Pour autant, Judith et Juliette ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Judith précise que " des vernis et une gamme de maquillage sont en train d’être élaborés ", rejointe par Juliette qui ajoute que " le soin était la première étape. Il est important de pouvoir donner à ces femmes la possibilité de le rester jusqu’au bout. Dans les produits à venir, il y a aura sans doute un produit pour redessiner les sourcils. Ce sera simple, en termes de praticité et de formulation, et élaboré pour elles" .

Alors que l’entrevue se termine, il ne reste plus qu’à savoir quel est, pour elles, le mot de la fin. Elles s’accordent à dire que l’une sans l’autre, rien de tout cela n’aurait été possible. Les regards complices qu’elles échangent peuvent en témoigner, leur amitié n’est pas conventionnelle, elle est magique.

JS

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