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mercredi 26 novembre 2014Cosmétothèque

Hydratation cutanée : point de vue du formulateur

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Voici une petite histoire de l'hydratation, vue du point de vue du formulateur au travers les ingrédients (tirée d'une conférence de Jean Claude Le Joliff à la Société Francophone d’Ingénierie et d’Imagerie Cutanée (SF2iC) - Paris 24/10/2013). La revendication "crème hydratante" est probablement l'une des plus anciennes allégations dans le monde de la beauté. Et en 2012, deux tiers des soins de la peau ont affiché des revendications relatives à l'hydratation…

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En 1904, la société Guerlain proposait déjà une crème de soin hydratante à la texture de "crème fouettée" et au léger parfum de violette. Ce produit s'appelait "Secret bonne femme" et était encore en vente à la fin du XXe siècle.
Aujourd'hui encore, selon le cabinet d'études de marchés Mintel, l’aggravation des conditions météorologiques et du stress qui perturbent les routines de soins de la peau des consommateurs font que les produits portant des revendications d'hydratation n'ont jamais été aussi recherchés. Aux États-Unis, plus de la moitié des consommateurs achètent des soins du visage pour traiter ou prévenir le syndrome de peau sèche. Ce pourcentage monte à 56 % en Grande-Bretagne, près de 40 % en France et 48 % en Allemagne.

Est-il encore utile de rappeler que la notion d'hydratation ne suppose pas de faire entrer de l'eau dans la peau, mais consiste exactement en son contraire, à savoir d'empêcher cette eau de sortir de la peau ? Ce processus physiologique est connu sous le nom de PIE, pour perte insensible en eau, ou perspiration insensible, et renvoie à l'idée qu’il existe un flux hydrique permanent passant au travers de la peau. En effet, lorsque l'on sait que l'hydratation cutanée est liée à la fonction barrière du stratum corneum, que cette fonction barrière, complexe, est elle-même la résultante d'un ensemble de processus biochimiques faisant encore l'objet de découvertes et d'avancées, on peut concevoir que les produits hydratants puissent être extrêmement divers dans leur composition chimique et agir par des mécanismes quelquefois différents et variables (cf. Actifs et additifs en cosmétologie (3° Éd. : ) , Marie-Claude Martini, éd. Lavoisier). La démarche est principalement d'interférer avec la perte insensible en eau, et ce de différentes façons, mais essentiellement avec des ingrédients.

Au cours du temps de nombreuses approches ont été proposées, un bref tour d'horizon s'impose.

Les formulateurs ont tout d’abord utilisé le processus de "l'occlusion" pour essayer de ralentir la perte insensible en eau. Le processus occlusif vient du radical occlusion avec le suffixe -if et qui signifie : q ui occlut, qui bouche, qui est bouché . Dans cette approche, on essaie de réduire fortement le passage du flux d’eau au travers de la peau grâce à des corps gras occlusifs qui sont appliqués à la surface de la peau. Les produits ainsi obtenus étaient de nature très grasse, s'agissant principalement de baumes et de pommades, qui ont progressivement évolué vers des textures un peu moins épaisses dont l'un des principaux représentants est le cold-cream (Formule de type émulsion E/H ou H/E). Les "actifs" étaient simples : il s'agissait de corps gras occlusifs, souvent qualifiés de filmogènes hydrophobes. Ce sont des hydrocarbures comme la vaseline, les huiles de paraffine ou de vaseline, des corps gras naturels comme la lanoline, différents beurres, certaines huiles végétales. De cette époque viennent les propriétés hydratantes souvent mises en avant pour les huiles végétales. On notera également l'utilisation de formules un peu particulières, dites "bases d'absorption, ou "vaseline cholestérinée" ou encore lanovaseline (cf. La préparation : mode d'emploi (officine, sous-traitance et BP) , Catherine Mautrait, Robert Raoult, éd. Wolters Kluwer France) , composées de mélanges d’hydrocarbures et d’alcools de lanoline, souvent riches en stérols, voir utilisant du cholestérol, ces mélanges présentant une forte affinité pour l'eau.

Le caractère gras rendant ces préparations quelquefois inconfortables et inesthétiques, les formulateurs ont eu recours dans un second temps à un autre groupe de substances que l'on appellera globalement les " humectants" . Il s'agit de substances hydrophiles présentant une forte affinité pour l'eau, un peu moins bonne avec les protéines du stratum corneum. Il s'agissait bien souvent d'ingrédients technologiques évitant le dessèchement des préparations pâteuses. Elles ont été proposées en grande partie pour cette raison. Les actifs étaient dans un premier temps simples comme des polyalcools naturels (glycérine, sorbitol), puis on a eu recours progressivement à des glycols synthétiques comme le propylène glycol, le butylène glycol, ou encore différents types de polyéthylène glycols.
Ceci a également correspondu à l'apparition de crèmes beaucoup moins riches, beaucoup plus agréables, associées fortement aux crèmes dites "crème stéarate".

Au début des années 70, est apparu le concept de NMF. Ce concept repose initialement sur l'idée que le traitement à l'eau du stratum corneum peut en extraire une fraction hydrosoluble tout autant responsable de la fixation du taux d'hydratation que le sébum. Cette fraction a été dénommée NMF pour Natural Moisturizing factors, ou Facteurs Naturels d’Hydratation. De nombreux travaux conduiront à la mise en évidence de la composition de cette faction extractible à l'eau. La caractérisation de sa composition mettra en évidence plusieurs substances plus ou moins caractéristiques comme l'urée, des aminoacides, des sels minéraux, ainsi qu'une substance considérée comme spécifique, le PCA pour Pyrrolidone Carboxylique acide ou acide pyroglutamique, également appelé 5-oxoproline et acide pidolique.

Cette substance, issue de la dégradation de la fillagrine ( marqueur tardif de différenciation , apparaissant pendant le processus de maturation épidermique) pendant la différenciation kératinocytaire, est un marqueur du NMF. Tout ceci va conduire à la mise au point de nombreuses spécialités basées sur des substituts de NMF, c'est-à-dire des mélanges incorporant tout ou partie des ingrédients trouvés dans la composition de cette fraction. De nombreux produits sur cette base verront le jour.

Ensuite, l'utilisation de substances hydrophiles reposera sur des substances de type filmogènes, favorisant la formation à la surface de la peau de films hydrophiles permettant la fixation plus ou moins spécifique de l'eau. Le principal représentant de ces substances est sans discussion l'acide hyaluronique, ou encore différents types de polysaccharides naturels, carraghénates, alginates ou mucilages, plus récemment des Exopolysaccharides, ou encore de dérivés cationiques de polymères hydrophiles comme la cellulose. Ces polymères ont souvent l'avantage de pouvoir exercer un effet substantif en se fixant sélectivement aux protéines de la surface cutanée, prolongeant ainsi l'action immédiate du produit.

Cette approche a ensuite été complétée dans les années 90 par la caractérisation de la structure du stratum corneum, et en particulier par les travaux de Peter Elias , montrant le rôle des constituants du ciment inter-cornéocytaire dans lequel les céramides jouent un rôle prépondérant. Ces substances, de nature lipidique, produites lors du processus de maturation épidermique (corpuscules d’Odland), ont un rôle très intéressant.
La structure moléculaire de ces composés possède une tête polaire (sphingosine) liée à une longue chaîne hydrophobe, leur conférant la capacité de former des structures ordonnées en bicouches. Les espaces intercellulaires sont constitués de bicouches lipidiques très riches en céramides et réduisent ainsi la perméabilité à l'eau et aux solutés. L’idée de compenser par un apport de céramides exogènes incorporés dans des crèmes s’est rapidement imposée. Sept classes de céramides ont été isolées à partir de l'épiderme humain et diffèrent les unes des autres de par leur plus ou moins grande polarité.

Ce concept sera désigné sous le nom de "lipides épidermiques", c’est-à-dire reposant sur l’idée d’utiliser des substances analogues à celles présentes dans la peau. Il s'agira dans un premier temps d‘extraits, tout d’abord de tissus médullaires, origine très vite abandonnée au profit de substances d'origine végétale, céramides de blé en particulier. Des céramides synthétiques, hemi-céramides ou pseudo-céramides, seront également rapidement proposés par l'industrie, permettant ainsi de disposer d'un choix plus large, plus spécifique, de qualité constante et d'un coup plus abordable.
Ce concept de lipides épidermiques sera ultérieurement complété par l'utilisation de précurseur de céramides, comme la phytosphingosine, dont le rôle de promoteur de céramides natifs a été montré.

L'intérêt de certains acides gras essentiels sera réaffirmé à ce niveau. En effet, plusieurs études montrent que l’oméga-6 est susceptible de se combiner à des céramides natifs pour former des motifs plus complexes dénommés acyles céramides , constituants de base du ciment inter-cornéocytaire, favorisant ainsi une fonction barrière efficace.

Pour finir, cette approche, reposant sur des systèmes lipidiques, sera complétée par des systèmes lipidiques organisés sous forme de bicouches prêts à formuler, permettant de reproduire plus ou moins à la surface de la peau une structure spécifique permettant de contrôler ces niveaux d'hydratation (DuraQuench™ - Croda).

Enfin, on mentionnera toutes les substances concourant à une épidermogénèse , c'est-à-dire l'aptitude à améliorer la différenciation terminale pour améliorer la structure du stratum corneum. Ces substances sont nombreuses, allant de l'allantoïne à des facteurs de croissance spécifiques, en passant par les agents biostimulants de natures diverses et variées. C’est par la stimulation du renouvellement épidermique que les acides alpha-hydroxylés (acide lactique, par exemple) ou bêta-hydroxylés (acide salicylique) contribuent également à améliorer le processus d’hydratation, ou, à un degré moindre, l’urée.

Un nouveau concept sera proposé au début des années 2000 suite aux travaux de Peter Agre (biologiste américain,co-lauréat du prix Nobel de chimie de 2003). Il s'agit du concept des Aquaporines . Les aquaporines (AQP) sont une classe de protéines membranaires qui forment des "pores" perméables aux molécules d'eau dans les membranes biologiques. Les aquaporines permettent le passage de l'eau de part et d'autre de la membrane, tout en empêchant les ions de pénétrer dans la cellule. En 2009, environ 500 aquaporines avaient été découvertes, aussi bien dans le règne végétal qu'animal, dont 13 chez l'Homme. L'utilisation de substances régulant la production d’aquaporines dans la peau s'est tout naturellement imposée, pour la régulation ou le maintien de l’homéostasie cutanée et de l’hydratation en particulier. De très nombreuses substances ont été proposées, soit d'origine bio-synthétique, soit à partir d’extraits végétaux spécifiques (Aminoporine™ AMI). L’aquaporine 3 (AQP3), ou aquaglycéroporine, a été la principale cible biologique étudiée dans un premier temps. Des travaux originaux se sont également intéressés à l’aquaporine 8 (AQP8) ou amonioporine, cette substance étant supposée réguler le flux d’urée dans la peau et donc d’avoir un impact sur la capacité de la peau à fixer de l’eau.

Un autre groupe de substances trouve son utilisation dans ces applications. Il s'agit des osmolytes . Les osmolytes sont de petites molécules solubles dans la solution intracellulaire, que l’on trouve chez plusieurs espèces, et qui jouent un rôle dans la lutte contre le stress environnemental chez les organismes vivants. Ils permettent d'équilibrer la pression osmotique des différents compartiments tissulaires. Ils peuvent être subdivisés en catégories :
• les glucides de petite taille, principalement des sucres comme le tréhalose, le glycérol, l’inositol, le sorbitol, etc.,
• les aminoacides : les glycines, promis 1, taurine, etc.,
• les méthylamines : la glycine bétaïne, etc.

L’utilisation de ces substances peut permettre de réguler la PIE.

Dans des approches plus récentes, la génomique a contribué à développer de nouvelles voies. Il s'agit d'intervenir sur les gènes impliqués dans le processus d’hydratation (Revidrate™ Sederma), en favorisant la production de substances liées au maintien de l'hydratation, comme des facteurs d'hydratation ou la fillagrine par exemple, ou des protéines spécifiques. Il s'agit également d'interférer sur la production de certaines enzymes comme la fillagrinase, favorisant l’apparition de PCA, ou encore sur des marqueurs de différenciation terminale comme la caspase 14 favorisant la constitution d’un stratum corneum de qualité.

Il existe donc de très nombreuses façons de s'intéresser à ce processus central qu'est l’hydratation cutanée. Établir une hiérarchie entre ces différentes approches est compliqué et n'aurait pas beaucoup d'intérêt. C'est souvent l'aspect galénique qui conduira à l'utilisation d’un type de substance donnée, le mode d’action recherché étant plus ou moins spécifique.

Ces différents aspects vont être repris dans une série d'articles complémentaires décrivant plus spécifiquement la nature des ingrédients, les modes de fabrication, ainsi que les modes d'action. Le premier traitera du PCA.
Une contribution plus générale sur la mesure de l'hydratation sera également proposée pour compléter ce tour d'horizon, car ces moyens constituent l'un des principaux moteurs de l'innovation dans ce domaine d'application.

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Un peu d’histoire

La mention " hydratation par imprégnation des couches superficielles de l’épiderme" a longtemps figuré sur les emballages de certains produits revendiquant l’hydratation. Cette disposition franco-française continue d’interpeller certains. Son origine se perd un peu dans les limbes de la réglementation. Pour avoir interrogé plusieurs spécialistes, sa publication initiale est incertaine. Elle doit apparaitre selon certains d’experts dans le courant des années 80, à une époque où les revendications superfétatoires étaient déjà de mise. L’administration française, dans un souci de vérité vis-à-vis du consommateur, a demandé que soit précisé le mode d’action. Parmi plusieurs options, cette mention s’est rapidement imposée, et c’est ainsi qu’elle a commencé à figurer sur les étiquettes. Elle apparaît encore dans les Recommandations Hygiène et Beauté du BVP (devenue ARPP) datant d'octobre 1998. Le renvoi "*hydratation des couches supérieures de l'épiderme" n'est plus obligatoire. Il était fortement recommandé par la DGCCRF, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ainsi, le Code Produits Cosmétiques de l’ARPP aborde la mention "Hydratation". On peut y lire : "O n entend par produit hydratant les produits destinés à améliorer ou maintenir l’équilibre en eau de l’épiderme. Un produit cosmétique ne peut être présenté comme susceptible d’hydrater ou de réhydrater la peau en profondeur". L'hydratation n’est donc pas liée à un type d’ingrédient spécifique, mais s’applique à tous produits revendiquant cette propriété.

Contribution réalisée par Jean Claude Le Joliff
Biologiste de formation, Jean Claude Le Joliff a été un homme de R&D pendant de nombreuses années. Successivement en charge de la R&D, puis de la Recherche et de l’Innovation dans un grand groupe français de cosmétiques et du luxe, et après une expérience de création d’un centre de recherche (CERIES), il s’est tourné vers la gestion de l’innovation.
Il a été par ailleurs Professeur associé à l’Université de Versailles Saint Quentin (UVSQ) et reste chargé de cours dans le cadre de plusieurs enseignements spécialisés : ISIPCA, IPIL, ITECH, UBS, UCO, SFC etc.
Il est le fondateur de inn2c, société de conseil en R&D et Innovation. Consultant auprès de plusieurs sociétés internationales, il a participé activement à des projets comme Filorga, Aïny, Fareva, et bien d’autres.
Il a créé la Cosmétothèque®, premier conservatoire des métiers et des savoirs faire de cette industrie.
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