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mardi 30 octobre 2018Tech / Digital

Applications cosmétiques : derniers pourparlers avant la guerre ?

Jeu d'échec

Les applications de décryptage font fureur. Et pour cause, en un geste, elles permettent de lever le voile sur la composition des produits du quotidien. Si cette promesse de transparence est accueillie avec enthousiasme par les consommateurs, l’industrie cosmétique grince des dents et dénonce une diffusion d’informations parfois erronées. La FEBEA (Fédération des entreprises de la beauté) a donc décidé de monter au créneau en organisant un atelier presse afin de passer au crible les applications beauté et démêler le vrai du faux.

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~ 11 minutes

Au cours de cette rencontre avec la presse, Anne Dux, Directrice des affaires scientifiques et réglementaires de la FEBEA, a présenté cinq applications. Son choix s’est porté sur les plateformes les plus connues des consommateurs et les a décrypté par ordre de popularité.

Yuka

Cette application de décryptage alimentaire s’est lancée en cosmétique en juillet 2018 et référence près de 120 000 produits de beauté.
Grâce au vote de près de 107 000 internautes, elle obtient la note (secteur alimentaire et beauté confondus) de 4,7/5 sur les plateformes de téléchargement.

Yuka reconnaît les produits en scannant le code-barres et classe les ingrédients en quatre catégories :
• risque élevé,
• risque modéré,
• risque faible,
• aucun risque.

Cette notion de risque dépend de quatre effets identifiés par l’application : perturbateur endocrinien, allergène, irritant ou cancérogène.
La méthode de notation est basée sur l’analyse de la liste des ingrédients du produit.
Elle évalue l’impact des produits sur la santé, mais pas leur efficacité, et elle promet qu’elle proposera bientôt des alternatives : des produits jugés plus sains que ceux que le consommateur a scannés. Elle décerne ensuite une note (sur 100) au produit ainsi qu’un commentaire (médiocre, mauvais, bon ou excellent).

L’INCI est traduit en français à l’attention du consommateur.

QuelCosmetic

Lancée en mars 2018 par l’association de consommateurs UFC Que-Choisir, cette application obtient la note de 4,6 pour 11 900 votes utilisateurs.
Elle recense 119 000 produits de soins et est uniquement dédiée au décryptage de cosmétiques.
Elle reconnaît également les produits par le code-barres et classe les ingrédients de la façon suivante :
• risque significatif,
• risque moyen,
• risque limité,
• aucun risque identifié.

La nouvelle version de QuelCosmetic distingue désormais quatre catégories d’utilisateurs différents :
• les tout-petits,
• les femmes enceintes,
• les enfants/adolescents,
• les adultes.

Ainsi, l’application note le produit en fonction du profil de consommateur auquel il est destiné.
Il est possible d’avoir recours à des filtres et l’application propose des produits de substitution.

InciBeauty

Lancée en novembre 2017, cette application recense moins de 10 000 produits et obtient la note de 4,2/5 grâce à 131 votes utilisateurs.
Elle reconnaît les produits par le code-barres et classe les ingrédients plusieurs catégories :
• controversé, à risque,
• pas terrible,
• satisfaisant,
• bien.

Elle décerne une note sur 20 aux produits, donne le nombre d’ingrédients dans chaque catégorie, commente le cosmétique analysé et propose des solutions alternatives.
À noter, c’est la seule application sur laquelle on trouve de la publicité.

Clean Beauty

Créée en janvier 2017, elle se place à la 4ème position des applications de décryptage les plus appréciées avec une note 4,1/5 décernée par 122 internautes.
Clean Beauty fonctionne différemment des autres étant donné qu’elle ne s’intéresse pas au code-barres mais uniquement à la liste INCI, grâce à un système de reconnaissance de caractères.
Elle indique la présence de potentiels perturbateurs endocriniens, de conservateurs préoccupants, d’agents comédogènes ou irritants, de nanomatériaux et des 26 allergènes de parfumerie.
Elle met également à disposition un glossaire qui recense près de 800 ingrédients.

Cosmethics

C’est l’application la plus ancienne, étant donné que son lancement date de février 2016.
Elle obtient la note de 4,1/5 selon le vote de 10 internautes.
Cosmethics référence 120 000 produits.
À l’instar des autres applications, elle fonctionne selon un système de reconnaissance de code-barres. En revanche, elle est la seule à proposer un système de paramétrage permettant d’indiquer clairement si le consommateur souhaite éviter une substance en particulier.
Elle affiche quatre signaux différents pour distinguer les ingrédients :
• alerte personnalisée,
• risque de toxicité,
• allergie potentielle,
• sûr.
L’application propose en plus 11 listes d’ingrédients à éviter.


Les dysfonctionnements pointés du doigt par la FEBEA

Si, sur le papier, ces applications sont vertueuses, dans les faits, elles posent plusieurs problèmes à la FEBEA.

Des incohérences entre les applis

“Nous nous sommes amusés à analyser un même produit de dermocosmétique avec les différentes applications”, explique Anne Dux. “Avec Yuka, le produit obtient la note de 13/100 et comporte la mention risque élevé car il contient des filtres solaires. QuelCosmetic estime que le produit est bon, INCI Beauty donne une note de 10,2 en raison de la présence de trois ingrédients “pas terribles”, cinq satisfaisants et 21 bons, Clean Beauty indique qu’il n’y a ni allergène détecté, ni ingrédient controversé et enfin Cosmethics informe que le soin ne présente aucun danger. Donc, pour un même cosmétique, les notations divergent…“

La reconnaissance par code-barres

Selon Anne Dux, se servir du code-barres afin d’analyser la formule d’un produit n’est pas une méthode viable. “En effet, pour un même code-barres, il est possible d’avoir deux, voire trois formules d’un même produit sur le marché”, détaille-t-elle.
Communément appelé code EAN 13, il est en réalité destiné à transmettre des informations aux distributeurs telles que le poids du produit, la taille du conditionnement, le volume, le poids et la taille de la palette.
Ainsi, lorsque la formule d’un cosmétique change, la nouvelle liste INCI est immédiatement indiquée sur le pack mais le code EAN 13 reste le même. Au moins pendant une période de trois à six mois, délai nécessaire aux distributeurs pour actualiser de nouveaux codes-barres. “Lorsque vous scannez un code EAN, vous ne savez pas en réalité quelle formule vous appelez. La première fois que nous avons utilisé Yuka sur un cosmétique, nous avons constaté que l’application mettait en évidence la présence d’isobutylparabène, ingrédient interdit depuis maintenant quatre ans”, souligne Anne Dux. “Sachant que c’est un laboratoire reconnu pour son sérieux, je doute qu’il ait mis sur le marché un produit contenant un ingrédient interdit depuis quatre ans !”.

La directrice réglementaire indique cependant que la FEBEA travaille actuellement avec les distributeurs afin qu’il soit possible que le code EAN soit actualisé à chaque changement de formule.

Les limites du scan de la liste INCI

Pour les applications qui utilisent un logiciel de reconnaissance graphique, la FEBEA pointe du doigt “les limites à l’utilisation de ce système avec des petits produits cylindriques et d’autres pour lesquels l’oeil humain lit mal la liste des ingrédients”.

Les bases de données

Pour connaître la liste INCI associée au code-barres, les applications font appel à différentes sources.
Dernièrement, Yuka utilisait Open Beauty Facts, base de données participative accessible à tous, sur laquelle les consommateurs saisissent la liste des ingrédients. “Actuellement, ce n’est plus le cas”, indique Anne Dux.

QuelCosmetic procède de façon différente puisqu’elle a construit sa base de données à partir de produits ajoutés par les consommateurs, mais saisis et validés directement par l’UFC Que-Choisir.

Les équipes saisissent elles-mêmes, en interne, les listes des ingrédients.
Quand les consommateurs essaient de scanner un produit qui n’est pas référencé sur l’application, ils ont la possibilité d’envoyer une photo du pack et de la liste INCI au staff de QuelCosmetic. “Quel que soit le modèle de construction de la base de données, son problème, c’est la mise à jour”, analyse Anne Dux.
Avec près de 800 000 produits cosmétiques sur le marché, dont un tiers qui changent de formule tous les ans et 10 % de nouveaux produits, il est en effet compliqué d’intégrer dans les bases de données les informations les plus récentes.

La mise en cause des ingrédients

Les consommateurs associent trois risques en matière de produits cosmétiques :
• l’irritation,
• l’allergie, qui est moins fréquente et souvent confondue avec l’irritation,
• la perturbation endocrinienne.

“Il est important de rappeler que l’encadrement réglementaire de ces ingrédients est extrêmement rigoureux. J’ai l’habitude de dire que la réglementation cosmétique européenne est la plus sûre au monde. Toute substance intégrée dans un cosmétique fait l’objet d’une évaluation par un évaluateur de la sécurité avant la mise sur le marché. Les ingrédients qui sont mis en cause ou qui sont particulièrement sensibles, à savoir les colorants, les conservateurs et les filtres solaires, sont évalués par des experts européens indépendants et sont véritablement soumis à une autorisation de mise sur le marché. Le Règlement Cosmétiques est entré en application le 11 juillet 2013. Cinq ans plus tard, les annexes du Règlement (qui listent les ingrédients soumis à restrictions) ont été changées plus de 70 fois, ce qui montre à quel point les choses évoluent vers toujours plus de sécurité”, souligne Anne Dux.

Confusion entre danger et risque

Finalement, la majeur problème auquel se heurte la FEBEA avec les applications cosmétiques est le fait qu’elles confondent les notions de risque et de danger.
“Si vous marchez dans la savane et que vous croisez un lion, c’est dangereux. En revanche, si le lion est dans une cage, ce n’est absolument pas risqué”, illustre Anne Dux.

Effectivement, chaque substance est testée de façon à ce qu’on puisse déterminer le seuil (pourcentage) à laquelle elle a des effets nocifs. En aucun cas, la limite autorisée dans les cosmétiques ne peut dépasser ce seuil. Et, afin d’avoir une vraie marge de sécurité, la Règlementation prévoit de n’autoriser la concentration d’un ingrédient qu’à un centième de la dose qui ne provoque aucun effet.

La FEBEA explique les applications n’ayant pas accès aux pourcentages des ingrédients présents dans les formules, elles ne peuvent pas évaluer le risque réel, et ne prennent donc en compte que le danger intrinsèque des substances.

Mea Culpa

Personne ne peut le nier, si ces outils cartonnent, c’est parce qu’elles répondent à un besoin de transparence émis par les consommateurs.
“Bien que nous ayons la réglementation la plus sûre au monde, l’industrie cosmétique est responsable de ce climat de défiance”, admet Anne Dux.

La faute aux listes INCI incompréhensibles, au manque de transparence, à l’absence d’explicitation des ingrédients auprès des consommateurs….

Les applications répliquent

Suite à cet atelier, L’Observatoire des Cosmétiques a contacté certains éditeurs des applications cosmétiques incriminées.

Yuka

“Yuka n’a jamais utilisé la base de données Open Beauty Facts. Nous avons créé notre propre base de données dès le démarrage et n’avons absolument jamais travaillé avec eux.Sur Yuka, la fiabilité des informations sur les cosmétiques est très bonne car chaque liste d’ingrédient est vérifiée manuellement. Nous travaillons par ailleurs avec de nombreuses marques, petites et grosses, qui nous fournissent directement les informations de leurs produits.Par ailleurs, concernant la mise à jour des données, Yuka propose aujourd’hui à l’ensemble des marques une solution leur permettant de mettre à jour leurs données dès qu’il y a un changement dans la composition. Concernant les bases scientifiques, chaque analyse d’ingrédient repose sur des sources scientifiques et fiables : nous avons d’ailleurs décidé de les afficher dans l’application dans la prochaine mise à jour afin que cela ne puisse pas être utilisé comme un argument par les marques pour se défendre de faire des produits avec des substances controversées. Les marques se cachent derrière le fait que ces substances sont autorisées par la législation. Mais le fait que les ingrédients soient autorisés en Europe ne veut pas dire qu’ils sont sans risque : on sait qu’il faut des années et des dizaines d’études avant qu’une substance controversée soit interdite. Le fait que la recherche soit toujours en cours n’empêche pas d’alerter sur ce qui a été publié à ce jour et d’informer sur les risques potentiels déjà soulevés dans de premières études et analyses. Nous souhaitons vraiment appliquer le principe de précaution sur ce sujet et ne pas attendre des dizaines d’années avant qu’une substance controversée finisse par être interdite”, soutient Julie Chapon, co-fondatrice de Yuka.

QuelCosmetic

De son côté, Olivier Andrault, chargé de mission à l’UFC-Que Choisir donne plusieurs éléments de réponse aux arguments avancés par la FEBEA. “Notre mission est de pallier à la lenteur du processus européen qui peut mettre des années avant de mettre en œuvre dans la réglementation cosmétique les recommandations des scientifiques. Il est hors de question que nous attendions que les substances soient interdites pour alerter les consommateurs sur la potentielle toxicité de certains ingrédients. Concernant la documentation de notre application, QuelCosmetic ne se base que sur les opinions scientifiques des instances reconnues, notamment l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) au niveau national, le Comité Scientifique pour la Sécurité des Consommateurs (CSSC) à l’échelon européen et le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) à l’international”, défend Olivier Andrault. “Notre application n’a pas pour vocation à diaboliser les industriels, mais à aider le consommateur à faire son choix. Ensuite, c’est aussi un moyen d’accélérer l’amélioration des formules dont nous constatons qu’elle déjà à l’œuvre chez beaucoup de fabricants. En effet, pendant longtemps, les fabricants n’ont eu aucune incitation en ce sens étant donné que personne n’était en capacité de déchiffrer des listes de compositions incompréhensible, ce n’est plus le cas aujourd’hui, grâce à l’immédiateté qu’offrent ces applications”.

Clean Beauty

À son tour, Candice Colin, co-fondatrice de l’application Clean Beauty, réagit et dénonce les amalgames dont son outil est victime.
“L’application a été développée par une équipe de scientifiques dirigée par un Docteur en Pharmacie cosmétologue selon une méthodologie rigoureuse. Elle fournit uniquement une information documentée scientifiquement sur les ingrédients controversés dans la communauté scientifique. De plus, c’est aujourd’hui la seule application mobile qui ne note pas les produits. Elle ne renvoie vers aucune base de données produits. Il ne peut donc y avoir aucune erreur concernant la composition”, riposte-t-elle. “Si le Règlement Cosmétiques européen est aujourd’hui le règlement cosmétique le plus sévère au monde, il exclut chaque année quelques ingrédients qui étaient au sens réglementaire du terme considérés tout à fait sûrs quelques semaines avant leur interdiction”.

Peut-on s’attendre à un rapprochement entre les positionnements des applications et de l’industrie cosmétique alors que chacun développe des arguments qui semblent tellement inconciliables ? On pourrait plutôt s’orienter vers un vrai bras de fer, que la FEBEA semble prête à engager.

“Ces outils sont perfectibles. Nous avons ou allons rencontrer tous les éditeurs de ces applications afin de leur faire part de toutes nos critiques précises. Pour le moment, nous sommes dans une politique d’ouverture et de dialogue. Nous ne remettons pas en cause la légitimité des applications, mais l’information mensongère et non vérifiée qui peut y figurer. Si les choses n’évoluent pas dans un sens qui nous paraît être le plus juste, la FEBEA n’hésitera pas à agir en justice”, conclut Margaux de Bodard, du service juridique de la FEBEA.

Les applications n’auront peut-être que le choix du roseau : plier… ou rompre.

JS
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