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mercredi 29 octobre 2014Produits

Ma calanque au fond des bois

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Dans cinq minutes, le rayon de soleil va taper ce rocher, là-haut sur le Sous-Marin, et va nous donner un superbe mini arc-en-ciel. Le Sous-Marin, c’est cette masse de rochers et d’herbe en plein milieu du paysage. On dit que les mascaras sont nés tout près d’ici, à Morgiou, dans la grotte Cosquer, et que la seule raison pour laquelle l’on ne retrouve pas d’échantillons est qu’elle a été inondée…..Mais, que ne dit-on pas ici !

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~ 7 minutes

L’été, les jeunes des quartiers viennent jusqu’ici pour plonger dans l’eau bleue ou verte, mais toujours glaciale de la calanque de Sugiton. Voilà, ça y est, le festival de couleurs dans l’air limpide et la tranquillité de cette belle journée d’automne. Personne, il n’y a personne. Juste le bruit des douces vagues en bas, à la plagette de galets. J’aime cet endroit. J’y viens souvent, pour rien, pour tout. C’est à 20 mn à pied de mon petit laboratoire de formulation à façon, à Luminy. Comme j’aimerais capturer ces couleurs, cette vibrance, cette lumineuse intensité !

Nous voilà au bout d’une longue chaîne de formulateurs, chamans, prêtres et parfumeurs, qui ont fait de l’Industrie de la cosmétique colorée ce qu’elle est aujourd’hui. Prenez les mascaras, par exemple.

Grotte Cosquer, il y a environ 21 513 ans et quelques mois :
Gn’o est désespéré. Sa douce amie Nu lui fait la tête. Elle est allée, dans sa colère, jusqu'à lui dire "Brr, fs, ch’ta", vous rendez-vous compte ? Tout ça parce que Enok, son amie et rivale, arbore de magnifiques yeux soulignés de noir grâce à la poudre que Li-an a réussi à lui confectionner. Il a tout essayé, Gn’o. Le charbon de bois, les os carbonisés, cette roche noire que l’on trouve à côté du Rocher Sacré, et que l’on appellera plus tard la Stibine ou Sulfure d’Antimoine ; il a même fait brûler des pétales de fleurs, des amandes, des dattes, mais ce n’est jamais broyé assez fin ni jamais aussi noir que ce que fait Li-an. Et puis, il a eu une idée de génie, Li-an. Il a tout mélangé avec un peu de miel, et ça a donne une pâte fine, facile à appliquer, et qui sent bon, en plus. Alors Gn’o cherche. Sans doute le premier formulateur sous pression, mais certainement pas le dernier !
Et la formule de Li-an a essaimé dans toute la Méditerranée, au Liban, en Égypte. Là, on appelait cette préparation – et on l’appelle toujours – le Khôl.

Il commence à faire frais, un petit vent s’est levé et le ciel, au couchant, est tout rouge. Mistral, demain. Ciel bleu assuré, et luminosité maximum. Oui, c’est ça : un mascara lumineux. Sombre, noir et lumineux. Je l’appellerai Paradoxe.
Oui, bon, suffit de rêvasser. Rentrons à la maison. Le chemin est pierreux. Il sent les pins, le thym et le romarin. Ici et là, un oiseau s’envole, un bruit furtif se fait entendre, la vie nocturne de la calanque se prépare. C’est souvent sur ce chemin de retour que les idées de produits nouveaux me viennent. Tiens, du reste, d’où tirait-il son inspiration, Mr. Rimmel ?

Londres, 5 février 1844
• "Es-tu vraiment sûr de vouloir ouvrir cette boutique de parfums, Eugène ?"
• "Oui, Père. Cela fait maintenant 10 ans que nous sommes à Londres. Je connais et j’aime cette ville. Vous m’avez appris toutes les ficelles du métier et il est temps que je vole de mes propres ailes".
• "Et a-t-elle un nom, cette boutique ?"
• "The House of Rimmel, Père".
Et Eugène quitta la Maison du Père. Les  25 années qui suivirent furent consacrées aux parfums. Il devint un parfumeur fort respecté et publia en 1870 son Livre des parfums.

Bond Street, Londres, 8 Aout 1871
• "Eugène, this is simply outrageous !" C’est la femme d’Eugène qui parle, et sa voix est coléreuse. "Nous sortons dans un quart d’heure et je ne parviens pas à me maquiller proprement les yeux. Tu pourrais faire quelque chose, quand même ! Tu as des laboratoires, des chimistes, tes parfums t’ont donné une aisance financière, et cependant, moi, ta femme, suis toujours obligée, comme tout le monde, d’utiliser cet infâme mixture de jus de baies et de noir de fumée. Du noir de fumée ! Non mais, je rêve ! Et à appliquer comme on peut, avec un coton, une brosse, ou avec les doigts, would you believe it ? Pouah, disgusting".
Eugène Rimmel aimait les parfums, c’est sûr. Et les profits qu’il en tirait, comme un bon businessman qu’il était. Mais il aimait aussi le challenge et les défis. Cela lui prit 10 ans, mais il lui trouva son mascara à son épouse. Son secret ? La paraffine que l’on venait de découvrir et de commercialiser. Il a l’idée avant tout le monde de la mélanger avec du charbon, pour en faire un "cake". L’application ? Une brosse que l’on prendra soin d’humidifier auparavant. Nous sommes dans les années 1880.

Chicago, 24 Octobre 1913
• "Oh Tom, je veux mourir, j’ai trop honte."
• "Et pourrais-je savoir pourquoi, cette fois, sœur adorée ? Ton gâteau est brûlé, comme il y a deux semaines ? Tu t’es rendue compte en rentrant de chez Mrs Mullberry que ta robe était tâchée, comme lundi dernier ? Tu sais, ces temps-ci, il y a vraiment d’autres sujets d’inquiétude, surtout en Europe".
• "Oui, je sais, tu penses que je suis une écervelée qui ne pense qu’à sa vie sociale, hein ?"
• "Mais non, pas du tout. Disons que, parfois, ta notion de la géopolitique s’arrête au Chicago Polo Club et au Lac Michigan. Mais dis-moi tout, sœurette adorée ?
• "C’est Chet, T.L., il n’a cessé de regarder cette new-comer, cette half-frenchie qui arrive de Londres. 'Je suis fasciné par la douceur de son regard', m’a-t-il dit quand je lui ai fait une réflexion".
• "Mais ce n’est pas pour cela qu’il va t’abandonner, ni renoncer à votre mariage, voyons. Et puis la nouvelle venue est la nièce de cet Eugène Rimmel qui a mis au point à Londres ce nouveau mascara qu’il est impossible de trouver ici. C’est cela son arme secrète à ta Franco-Anglaise".
• "Oui, c’est facile pour toi de toujours prendre les drames de ma vie à la légère. Mais, please, fais quelque chose,  je suis trop malheureuse".
Comment résister ? Et il le fit, Tom Lyle Williams. Il recréa la formule, à base de vaseline et de charbon de bois. Et, pendant qu’il y était, et en bon Américain, il en profita pour créer un empire cosmétique qu’il nomma d’après sa sœurv Maybel, et la miraculeuse vaseline, Maybelline.

Me voilà sur le parking de Luminy. Le temps de prendre ma voiture et en route vers Cassis, où j’habite, via la Gineste. C’est une route au flanc de la colline et il semble que l’on plonge dans la mer à chaque virage. Et puis, soudain, voilà Cassis sagement étendue au bord de la Grande Bleue qui vient gentiment caresser son port et le centre-ville. En marchant vers la maison après avoir garé la voiture, je me rappelle ce qui sépare ces premiers mascaras des produits d’aujourd’hui. Et, si la formulation est bien plus sophistiquée que du temps de MM. Williams et Rimmel, à base d’émulsions parfois complexes, d’huiles, de cires, de noir de charbon, d’oxydes de fer et de bleu d’Outremer, entre autres, la véritable différence est dans le mode d’application.

Studios de la Metro-Goldwyn-Mayer, Los Angeles, 12 Juin 1933
• "Allons, vite, Patty, Clarence m’a déjà appelé deux fois !"
• "Mister Brown peut vous appeler tant qu’il veut, Mlle Garbo, il est inconcevable que je vous laisse partir sans finir de vous maquiller les yeux. Ni Anna Karenine ni le défunt Leon Tolstoi ne me le pardonneraient !
• "D’accord Patty, d’accord, mais c’est bien long".
• "C’est ce sacré mascara, Mlle Garbo, qui est si difficile à appliquer !"
Derrière Patty et Mlle Garbo, une ombre sort du studio. Helena Rubinstein est venue s’assurer que les produits de maquillage utilisés sur le plateau sont bien les siens et non ceux de son ennemie jurée, Elizabeth Arden. Le lendemain, après un long voyage de nuit vers New York, elle convoque son Directeur technique et son Directeur packaging pour leur dire : " Vous savez que je dis toujours qu’il n’y a pas de femmes laides, seulement des paresseuses. Ceci étant, on doit pouvoir les aider à se faire belles. Trouvez moi un mascara qui s’applique facilement" .
Ils s’attelèrent à la tache. D’abord, trouver une formulation liquide, une lotion, mais couvrante, proche de nos émulsions actuelles. Elle était conditionnée dans un tube, et on la déposait sur une brosse avant de l’appliquer sur les cils.
• " Madame, ceci est ce que l’on fait de mieux. Nous croyons que nous avons résolu le problème".
• "Are you kidding me, for crying out loud ! Better but not enough !"
Et ils retournèrent à leurs paillasses et planches à dessin. Ils finirent par mettre au point un applicateur à tige creuse qui évitait le conditionnement en tube, mais nécessitait toujours l’utilisation d’une brosse.
• " Mais suis-je la seule à comprendre ce que nos clientes attendent, dans cette maison ? Un packaging unique, ce n’est pas si compliqué, quand même !"
• "Si, Madame Rubinstein, c’est compliqué".

Mais ils le firent. Ils ajoutèrent la brosse dans le prolongement du tube et le tout dans un réservoir contenant la lotion. Nous étions en 1957, le mascara moderne était né.

Me voila devant ma porte d’entrée. Je ne serai jamais l’un de ces monstres sacrés. Les Li-an, Gn’o, Rimmel, Arden et autres Rubinstein, certains réels, d’autres un peu moins, sont passés avant nous. Mais il reste tant à faire. Et, pour cela, il convient d’assimiler d’abord le travail de nos prédécesseurs avant d’apporter notre propre contribution, si légère soit-elle.
Tiens, on passe Anna Karenine ce soir au Ciné Club.

Cette histoire a été proposée par Éric Wimmer
Depuis 1980, Éric est au service de l’industrie, d’abord chimique, puis cosmétique.
Doctorat en Chimie 1979, Doctorat ès Sciences Physiques 1985, il a commencé sa carrière à Sorgues (Vaucluse) comme chimiste de synthèse. Là, les dérivés nitrés l’ont conduit à s’intéresser à la Nitrocellulose, puis à la formulation des vernis à ongles.
Il a par la suite évolué dans l’industrie cosmétique en France, aux USA et en Europe, aussi bien dans des entreprises de sous-traitance (Durlin, Tevco, IL Cosmetics) qu’au sein de marques (Parfums Christian Dior) à plusieurs niveaux de postes, des Opérations à la Direction de groupes multinationaux, en passant par la mise en place et la gestion de Laboratoires, activités qu’il continue d’exercer aujourd’hui.

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