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mercredi 30 août 2017Règlementation

Les substances interdites suivies… à la trace

© CosmeticOBS-L'Observatoire des Cosmétiques

La règlementation européenne prévoit l'interdiction d'environ 1400 substances dans les cosmétiques. En théorie, elles sont absolument bannies des formules des produits. En pratique, certaines d'entre elles peuvent toutefois y être retrouvées, même si ce n'est qu'en quantités infimes, à l'état de traces. Le Dr. Frédéric Lebreux, Directeur Général de Biorius (spécialisé dans le conseil réglementaire et l'accompagnement des entreprises cosmétiques), fait le point sur la notion de trace et la gestion des traces de substances interdites dans les cosmétiques en Europe.

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En Europe, l’évaluation d’un produit cosmétique et de sa sécurité d’utilisation se base sur la caractérisation du risque que représente chacun de ses ingrédients pour la santé humaine. Dès lors, il est important de distinguer risque et danger : si le danger est la propriété intrinsèque d’une substance à causer des effets néfastes sur la santé, le risque est alors la probabilité d’occurrence d’un danger dans un scénario d’exposition donné.
Pas clair ? Alors disons que, de par ses crocs acérés et ses griffes redoutables, le lion est un animal intrinsèquement dangereux. En considérant cette analogie, le Règlement Cosmétiques Européen (EC N° 1223/2009) privilégiera donc plutôt une gestion de l’exposition (ex. autorisation spéciale de détention des lions, mesures de sécurité dans les zoos) à une gestion du danger (ex. euthanasie de tous les lions présents en Europe, interdiction des safaris).

Ce paradigme du "risk assessment" connait cependant ses limites et ses exceptions : le Règlement prévoit l’interdiction pure et simple (gestion du danger) d’un certain nombre de substances  jugées trop nocives ou dont la perception par le consommateur européen est très mauvaise. Ces substances sont regroupées dans l’Annexe II du Règlement, une liste dite "négative" puisqu’elle exclut l’usage des ingrédients qu’elle contient. Dans la pratique, cette liste d’environ 1 400 entrées est en fait un mélange éclectique comprenant aussi bien des substances très susceptibles de se retrouver dans un produit cosmétique (ex. métaux lourds) que d’autres n’ayant (en principe) jamais côtoyé une crème de jour ou un shampooing (ex. monoxyde de carbone, substances radioactives, mort au rat…).

Une trace de danger autorisée

Cette interdiction n’est toutefois pas aussi stricte et implacable qu’elle y parait puisqu’un petit article du Règlement Cosmétiques (l’Article 17) introduit une tolérance des plus utiles pour le fabricant de produits. En résumé, il est réputé accepté qu’un produit cosmétique contienne des traces de substances interdites pour autant que ces traces répondent à trois critères essentiels.

Le caractère non-intentionnel : il doit donc s’agir d’une impureté et non d’un ingrédient. Le concept de "incidental ingredient" défini dans la législation cosmétique américaine (CFR Title 21 § 701.3) n’a pas cours en Europe et le principe "d’intention" est à entendre dans son sens le plus fort. Ainsi, un conservateur de matière première est considéré comme ajouté intentionnellement au produit fini et ne peut donc faire l’objet d’une application de l’Article 17.

Le caractère inévitable dans les bonnes pratiques de fabrication : le fabricant de matières premières doit veiller à minimiser la présence de cette impureté. Quant au fabricant de produits cosmétiques, il est invité à s’informer sur l’état de l’art avant de procéder à l’achat d’une matière première. Une collecte de Fiches de Données de Sécurité et un échange avec les principaux fournisseurs permet rapidement de distinguer ce qui est représentatif des pratiques usuelles de ce qui n’est pas acceptable sur le plan réglementaire.

L’innocuité de ces traces : l’évaluateur de sécurité doit étudier le profil toxicologique de ces impuretés, au même titre que toutes les autres substances entrant dans la composition du produit fini. Pour plus d’information à ce sujet, la 9e édition des SCCS Notes of Guidance (SCCS/1564/15) constitue une référence incontournable.
Notons qu’il est à la charge de la Personne Responsable de démontrer que ces critères sont bien remplis et, notamment, de prouver le caractère inévitable de ces traces dans le produit fini.

Une trace sans quantité

Mais que signifie le mot "trace" au juste ? Le Règlement Cosmétiques européen ne définit pas formellement le concept de "trace" et se limite à l’évocation de "petites quantités", ce qui reste assez peu explicite. De même, l’ICCR (International Cooperation on Cosmetic Regulation), définit la trace dans son rapport "Principles for Handling Traces in Cosmetics" comme étant de "very low amounts of impurities and/or contaminants in a finished product" (très faibels quantités d'impuretés et/ou de contaminants dans un produit fini).

Qu’entend-on alors par "petite quantité" ? Dans certains cas, la valeur est définie par la législation et notamment par les annexes du Règlement Cosmétiques. Ainsi, le Safrole est interdit par l’entrée 360 de l’Annexe II mais reste toléré dans les ingrédients naturels pour autant que sa teneur dans le produit fini n’excède pas 100 ppm (sauf exceptions).

Dans tous les autres cas, et comme précisé dans la Décision d’Application de la Commission EU No 2013/674, "petite quantité" est à mettre en rapport avec l’évaluation de la sécurité devant être réalisée par la personne qui en est chargée. Comme le disait Paracelse, " Toutes les choses sont poison, et rien n’est sans poison ; seule la dose détermine ce qui n’est pas un poison ". Autrement dit, le concept de "trace" ne renvoie pas à une valeur unique mais à un calcul réalisé au cas par cas et basé sur les propriétés toxicologiques d’une substance. Pour connaître la trace, il faut donc se tourner vers la NOAEL pivot des études de toxicité chronique disponibles, le NESIL issu d’une étude sur la sensibilisation cutanée, etc. D’autres approches telles que Threshold of Toxicological Concern (TTC) peuvent également être utilisées dans certains cas bien précis et, notamment, lorsque l’absence de données toxicologiques rend les méthodes habituelles impraticables.

Les traces à éviter

Reste deux cas particuliers à évoquer.

Les traces de substances pour lesquelles le risque ne peut aisément être quantifié car non liées à un effet de seuil (ex. substances génotoxiques ou cancérigènes). Dans ce cas, le fabricant de produits cosmétiques doit apporter une attention particulière au caractère inévitable de l’impureté et, autant que possible, trouver une alternative aux matières premières utilisées. En outre, l’évaluateur de sécurité peut recourir à des approches spécifiques afin de quantifier le risque propre aux substances cancérigènes. Ainsi, le Linearized Multistage Model employé par l’OEHHA dans le cadre de la législation Prop 65 est aujourd’hui comme l’une des méthodes de référence.

Les traces de substances provenant de la dégradation d’ingrédient dans le produit fini en raison d’un problème de stabilité. Dans ce cas, le fabricant de produits cosmétiques doit tâcher d’éviter ces traces par une application stricte des Bonnes Pratiques de Fabrication et, si nécessaire, se résoudre à la reformulation du produit.

Frédéric Lebreux
Directeur Général de Biorius

À propos de Frédéric Lebreux
Frédéric Lebreux détient un doctorat en chimie organique et médicale et une maîtrise en gestion. Après un post-doctorat à l'École Polytechnique de Paris où il a développé de nouvelles voies pour la synthèse de substances biologiquement actives, il a été embauché par l'IFRA, l'International Fragrance Association. Après quelques années au poste de Responsable scientifique et réglementaire de l'IFRA, il a été promu responsable de projets scientifiques de l'IFRA. Dans ces deux postes, Frédéric a activement contribué à défendre les intérêts collectifs de l'industrie mondiale des parfums.
Après cinq ans à l'IFRA, Frédéric a rejoint Biorius au poste de Directeur scientifique et réglementaire. Chez Biorius, la société de conseil spécialisée dans l'accompagnement scientifique et réglementaire de l'industrie cosmétique, il a développé les compétences de son équipe, assuré la qualité des services, amélioré les processus importants, créé des relations de travail efficaces avec les clients de Biorius et résolu des problèmes complexes.
En octobre 2015, le conseil d'administration de Biorius a nommé Fred Lebreux nouveau Directeur exécutif, lui confiant les activités quotidiennes de l'entreprise. Dans son nouveau rôle, Frédéric a repris la supervision mondiale du Département des opérations et du Département des affaires scientifiques et réglementaires et contribuera à renforcer leur organisation actuelle.
Au-delà de ses responsabilités dans l'entreprise, Frédéric est un expert reconnu dans son domaine et écrit régulièrement pour plusieurs revues de renommée internationale. Depuis plusieurs années, il enseigne également la réglementation toxicologique et cosmétique à l'école ISIPCA.

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