Le titre de ce billet d'humeur peut paraître provoquant ou quelque peu impertinent, mais il reflète bien selon moi la réalité. En effet, notre industrie qui se targue d'être innovante, et dont beaucoup d'acteurs se gargarisent avec des mots qui leur font penser qu'ils sont à la pointe de l'innovation alors que cela n'a jamais été le cas, semble réaliser enfin sa mutation. Ceci se traduit par une démarche bien connue dans le monde de l'innovation qui s'appelle les "meilleures pratiques"…
Cette démarche consiste à s'ouvrir sur l'extérieur, la fameuse Open Innovation mise un peu à toutes les sauces actuellement, pour s'inspirer de ce qui se fait de mieux dans d'autres domaines d'activité, et d’en faire la synthèse la plus créative possible en fonction de ses besoins. Or, exercer sa créativité est souvent difficile et compliqué, surtout dans le cadre d'organisations qui ont passé plus de temps ces dix dernières années à sophistiquer leurs procédures de fonctionnement ou d’assurance qualité, certes bien utiles, plutôt que de développer des outils créatifs.
Parmi les outils de la créativité, le recours aux naïfs est maintenant quelque chose de relativement bien développée dans beaucoup de domaines. L'une des façons de procéder consiste à faire appel à des gens dont la motivation est importante, et qui n'ont pas encore été "contaminés" par les vicissitudes des procédures, de la réglementation ou du contexte concurrentiel.
Les étudiants constituent un groupe de personne parfaitement adapté à ce type d'approche.
Voilà pourquoi j’ai intitulé ce papier "l'industrie cosmétique innove enfin", car elle commence, enfin, à utiliser ces outils. Bien innover, c’est faire aussi bien ou mieux que ce que les autres font déjà bien. Cette rentrée est émaillée de toute une série de propositions de démarches autour de concours d'étudiants associés à l'innovation, orientée vers des thématiques de ce genre.
Elles s'orientent sur le modèle de celles qui ont déjà été tentées dans l'industrie autour de grands groupes, comme Veolia par exemple (le jeu-concours Trophées Performance récompense depuis 1998 les travaux les plus innovants réalisés par les étudiants d'université, d'écoles d'ingénieurs ou de commerce, durant leur dernière année de formation), ou des démarches dans le cadre de
la D-School
dans lesquelles les industriels viennent piocher des idées fraîches, certes peut-être naïves, mais pleines d'intérêt… L’industrie cosmétique y vient enfin.
Dans le monde cosmétique ou proche, voilà quelques exemples d’initiatives qui confirment selon moi que ces démarches sont pertinentes :
• Cosmetic Victories : un concours pour les projets innovants de la cosmétique. Avec le soutien du fonds de dotation Cosmetic Valley-ESSEC, le concours
The Cosmetic Victories
a été créé en 2015, les premiers lauréats étant primés cette année. Reconnu par la profession, ce concours vise à récompenser et valoriser les étudiants, chercheurs, entrepreneurs, Start up ou PME portant un projet innovant en lien avec la filière parfumerie-cosmétique.
• La marque Make Up For Ever réaffirme quant à elle son influence créative et son action pour l’innovation participative en proposant aux étudiants ingénieurs
un concours de formulation cosmétique
sur l’année 2017-2018. Le concours est ouvert, depuis le 11 septembre 2017, aux étudiants ingénieurs ou Licences et Master de cinq écoles et universités spécialisées en formulation cosmétique.
• Dans un autre domaine, mais proche et dans la même démarche, un challenge étudiant promu par le Crédit Agricole via son organisation "Le village".
Le Village by CA
soutient de jeunes entreprises à fort potentiel d’innovation et de développement, issues de tous les territoires, avec cette année un
appel à candidatures européen
: "Innover autour de la protéine végétale au service de l’alimentation humaine", avec ses partenaires Bonduelle, Sodexo, l’Université catholique de Lille, la Voix des Médias, Eurasanté, le Pôle de compétitivité Nutrition Santé Longévité (NSL) et avec le soutien d’IAR, le pôle de la bio-économie.
Certains avaient déjà perçu cette approche, et un petit village gaulois situé presque au fin fond de la Bretagne, avait bien identifié cet intérêt. L’UCO de Guingamp a en effet créé il y a maintenant plusieurs années un concours d'étudiants associés à l'innovation , U’Cosmetics, qui change de thème régulièrement pour mettre en avant des questions auxquelles l'industrie peut être régulièrement confrontée. Le thème de cette année, qui sera déjà la neuvième édition , sera autour de l’Up Cycling, ou plus précisément de l'utilisation des sous-produits de l'activité humaine en vue de leur valorisation. Auparavant, d'autres thèmes avaient été abordés, souvent associés à la mer, implantation géographique oblige, mais aussi à d'autres questions . Pour avoir participé modestement à ce projet, je voulais faire ce clin d’œil à cette démarche qu’il ne faut pas oublier et dont il faut louer le caractère innovant. Un clin d’œil également à son fondateur, Philippe Colas, qui malheureusement n’aura pas vu le succès de sa vision.
Les experts du micro-positionnement marketing ou les grandes inspirations descendantes de la science qui n’aboutissent que rarement ne vont donc peut-être plus constituer uniquement les seules sources d’inspiration. N’en déplaise à ceux qui pensent que seuls les experts peuvent juger, félicitons-nous de cela et essayons de promouvoir du mieux possible ce type de démarches. Pas de doute non plus que ça va poser des questions de propriété intellectuelle, mais c’est en posant le problème que l’on a le plus de chances de le résoudre.
Jean Claude Le Joliff