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mercredi 10 janvier 2018Actualités

Il est l'heure de mettre les cosmétiques au rythme de la peau

© CosmeticOBS-L'Observatoire des Cosmétiques

On connaît les principes de la chronobiologie depuis plus de deux siècles. Mais le prix Nobel 2017 de médecine est l’occasion de redécouvrir cette science pour exploiter ses enseignements, y compris en cosmétique. Lors des 8e Journées Jean-Paul Marty, qui se sont tenues à Paris en décembre, le Dr Étienne Soudant, Président d’honneur de la SFC, qui a beaucoup travaillé sur le sujet tout au long de sa carrière, est venu présenter les variations circadiennes de la fonction barrière cutanée et leurs implications.

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Les anglo-saxons font remonter l’origine de la chronobiologie au 18e siècle, quand l’astronome Jean-Jacques d’Ortous de Mairan a observé que les feuilles du mimosa se déployaient le jour et se repliaient la nuit, et que ce cycle se maintenait même quand on gardait la plante en permanence dans l’obscurité. C’est la première fois qu’on remarquait qu’un être vivant avait un cycle interne, lui permettant d’anticiper les changements quotidiens de son environnement.

De l’observation à l’explication

Cette horloge biologique n’est pas le propre des plantes, puisqu’il a été montré ensuite que les animaux et les hommes en étaient également munis, et qu’elle les aidait à s’adapter physiologiquement aux fluctuations de la journée et de la nuit.
Le mot circadien a alors été créé, du latin circa qui signifie “à peu près” et dies pour “jour”, les rythmes circadiens étant d’à peu près une journée, à comprendre en réalité comme les 24 heures qui vont d’un jour à l’autre.
Dans la terminologie chronobiologique, le mot circamensuel désigne les rythmes d’environ un mois, circannuel ceux d’environ un an, et ultradien ceux inférieurs à 24 heures.

C’est un peu plus tard, au début du 19e siècle, que la chronobiologie actuelle est née, quand Julien-Joseph Virey, médecin-chef de l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, a remarqué que les médicaments avaient des effets variables en fonction de l’heure à laquelle ils étaient administrés. Il a également décrit un cycle circannuel de mortalité : “On a plus de chances de mourir d’une crise cardiaque en février et en mars que durant les autres mois de l’année”, a donné en exemple Étienne Soudant.

Depuis cette époque, et jusque dans les années 80-90, la chronobiologie a été battue en brèche du point de vue scientifique, car si elle décrivait des rythmes, réels et reproductibles, il n’y avait aucune base physique ou physiologique pour les expliquer…
Tout a changé avec la découverte des noyaux suprachiasmatiques dans le cerveau, ainsi que celle des “gènes horloges” et des mécanismes moléculaires qui contrôlent les rythmes circadiens par des chercheurs américains. Cela a valu à Jeffrey C. Hall, Michael Rosbach et Michael W. Young le prix Nobel de Médecine en 2017.

De l’utilité des rythmes circadiens

“On a des rythmes parce qu’on ne peut pas tout faire en même temps”, a expliqué Étienne Soudant. “Et l’organisme a tout avantage à savoir s’adapter aux différentes phases de la journée, mais aussi et surtout à les anticiper”.

Une horloge adaptative

Un exemple : chez l’homme, la température du corps est plus basse pendant la nuit, et, deux heures avant le réveil habituel, elle commence à ré-augmenter.
Tout la monde a pu expérimenter, en cas de réveil forcé plus tôt qu’à l’habitude (parce exemple quand on doit prendre un train ou un avion à la première heure le matin), l’impression désagréable de froid ou d’articulations et de muscles qui fonctionnent mal : cela est dû au fait que les horloges biologiques n’ont pas pu s’adapter à ce réveil prématuré.
Nos horloges biologiques jouent ainsi un rôle important dans la régulation du sommeil, de l’appétit et des prises alimentaires, de la libération des hormones ou de la pression sanguine.

Étienne Soudant a alors donné quelques exemples de l’activité de nos organes et des sécrétions hormonales en fonction de l’heure :
• 0h00 : fin de l’activité maximale du cerveau ;
• 1h00 : pic de division cellulaire dans l’épiderme ;
• 2h00 : niveau minimum de vigilance ;
• 3h00 : pression artérielle la plus basse ;
• 4h00 : sécrétion d’histamine ;
• 5h00 : forte activité de l’hypophyse ;
• 6h00 : raideur des articulations ;
• 7h00 : début de la sécrétion de cortisol ;
• 8h00 : activation de la sécrétion d’adrénaline et de la lipolyse ;
• 9h00 : forte coagulation du sang, synthèse du glycogène ;
• 10h00 : sécrétions des catécholamines, activation de la lipolyse ;
• 11h00 : taux maximal de globules rouges dans le sang ;
• 12h00 : sécrétion de l’insuline et de l’hormone corticotrope ; • 13h00 : nouvelle baisse de vigilance ;
• 14h00 : activité maximale des poumons, sécrétion d’insuline ;
• 15h00 : force musculaire au maximum, forte consommation d’acides gras libres ;
• 16h00 : pression sanguine et rythme cardiaque à leur maximum ;
• 17h00 : température corporelle la plus haute ;
• 18h00 : sensibilité accrue à la douleur ;
• 19h00 : capacités du cerveau à leur maximum, aptitude accrue aux tâches complexes ;
• 20h00 : début de la baisse des capacités mentales et physiques ;
• 21h00 : baisse de la pression artérielle et de la température corporelle ;
• 22h00 : forte activité de l’estomac et de l’enzyme LPL (lipoprotéine lipase) ;
• 23h00 : taux maximal de globules blancs dans le sang, début de la baisse de la vigilance.

Commentaire de l’intervenant : “Sachant cela, vous comprendrez qu’il vaut mieux éviter d’aller chez le dentiste aux alentours de 18h00, quand la sensibilité à la douleur est la plus forte, d’autant que c’est aussi l’heure à laquelle les anesthésies sont les moins efficaces !”
Mieux vaut aussi éviter de prendre le volant entre 23h00 et 2h00 du matin, ou de commencer tous travaux (physiques ou intellectuels) à 20h00…

Les synchroniseurs de l’horloge interne

Chaque espèce a ainsi ses rythmes circadiens spécifiques, génétiquement contrôlés.
Mais ces horloges internes sont régulées par des signaux externes, qui jouent le rôle de synchroniseurs. Ce sont eux qui permettent, en cas de déplacement à l’étranger, de s’adapter au décalage horaire en quelques jours.

On peut mesurer l’importance respective des horloges internes et des synchroniseurs par le biais d’expériences dites en libre cours : les cobayes sont placés dans des lieux coupés de toute stimulation extérieure, comme des blockhaus ou des grottes.
Une des plus connues s’est déroulée en 1988 avec une volontaire, Véronique Le Guen, qui a passé 100 jours, complètement seule, dans une grotte. En surface, trois équipes se relayaient pour garder un contact avec elle, avec pour mission de ne jamais lui indiquer quelle heure il était, ni si c’était le jour ou la nuit. Son rythme s’est rapidement déphasé de celui de la surface (elle pouvait faire des siestes de plus de 10 heures), à tel point qu’à l’issue des 100 jours prévus, elle a d’abord refusé de remonter, croyant n’être qu’au 66e jour de l’expérience ! Conclusion : en dehors de l’influence des synchroniseurs, les rythmes jour/nuit perçus s’allongent considérablement.
“Chez l’homme, les synchroniseurs sont essentiellement l’alternance jour/nuit, le moment des repas, et les réunions conviviales”, a cité Étienne Soudant.

La lumière du jour a donc un rôle prépondérant, et elle est captée au niveau de la rétine par un groupe de cellules photo-réceptrices particulières, les cellules ganglionnaires à mélanopsine, reliées aux noyaux suprachiasmatiques du cerveau par un système nerveux différent de celui qui est impliqué dans la perception visuelle.
C’est ainsi que les personnes aveugles perçoivent l’alternance jour/nuit sans percevoir la lumière elle-même. À l’inverse, des personnes voyantes peuvent ne pas percevoir l’alternance jour/nuit en cas de dysfonctionnement de ces cellules.
Le signal transmis à l’horloge interne provoque la remise à l’heure du cycle pour le synchroniser sur 24 heures. Ce même signal est aussi transmis à d’autres structures cérébrales dites “non-visuelles”, qui sont notamment impliquées dans la régulation de l’humeur, de la mémoire, de la cognition et du sommeil, ainsi que dans la sécrétion de mélatonine, plus forte en l’absence de la lumière du jour.

“Il faut aussi se rappeler que des cycles existent aussi au niveau cellulaire, et que chacun de nos organes a ses cycles circadiens : le cerveau joue le rôle de master-horloge qui régule toutes celles de l’organisme pour assurer son fonctionnement homogène et optimal”, a souligné l’intervenant.

Les applications de la chronobiologie

Chaque discipline a son vocabulaire propre. Celui de la chronobiologie témoigne de toute l’étendue des applications qu’elle offre :
• chronesthésie : variations périodiques de la réponse d’une cible biologique à un agent actif (médicament, poison…) avec des périodes pouvant être de 24 heures, d’un an, etc.;
• chronocinétique : variations rythmiques de la disponibilité d’un agent après son introduction dans l’organisme (ainsi, le changement de concentration de l’agent dans le plasma sanguin dépend de son heure d’administration) ;
• chronoefficacité : variations des effets désirés d’un agent thérapeutique en fonction des heures de sa mise en œuvre ;
• chronopathologie : variations périodiques prévisibles d’un processus pathologique (les accidents d’hémorragie cérébrale sont ainsi deux fois plus fréquents en hiver qu’en été) ;
• nycthémère : désigne un rythme biologique dont la période moyenne est de 24 heures (c’est un cas particulier de rythme circadien chez des sujets synchronisés dans des conditions naturelles d’alternance jour-nuit) ;
• chronothérapie : détermine l’heure optimale d’administration d’un traitement, pour augmenter les effet désirés et réduire les effets non-désirés ;
• chronotoxicité : variations périodiques, donc prévisibles, des effets potentiellement nocifs d’un agent chimique ou physique (médicament, polluants, poisons des bactéries ou des végétaux…) ;
• chronotolérance : l’antonyme de la chronotoxicité, qui désigne l’heure où un traitement ou un agent est le mieux toléré ;
• chrononopharmacologie : variations rythmiques prévisibles des effets d’un agent chimique…

Et c’est bien dans ses applications concrètes que la chronobiologie est particulièrement intéressante :
• la chronopathologie est par exemple utilisée dans le traitement de dépressions (30 % sont dues à un déphasage des informations des hormones sécrétées par le cerveau, qui peuvent être resynchronisées par une exposition à la lumière le jour, et un noir complet la nuit) ;
• la chronotoxicologie et la chronopharmacologie peuvent améliorer les traitements des cancers : nombre de substances, utilisées dans les protocoles de soin, ont un maximum d’efficacité et de toxicité à des heures différentes, ce qui permet, en adaptant le planning des soins, d’augmenter la performances des traitements tout en minimisant ses effets secondaires…
Et ce ne sont que deux exemples parmi les très nombreux bénéfices que l’on peut tirer des enseignements de la chronobiologie.

Les rythmes de la fonction barrière

La peau aussi a ses rythmes chronobiologiques, c’est même un des premiers rythmes circadiens qui se met en place chez l’enfant. “À sa naissance, l’enfant ne sait pas que la journée dure 24 heures, ce qui explique qu’il ne fait pas ses nuits, mais sa peau acquiert très tôt ses variations circadiennes, et notamment pour son hydratation”, a expliqué Étienne Soudant.

On observe ainsi un pic de mitose épidermique, ce processus de division cellulaire qui permet la régénération de la peau, vers 1 heure du matin, alors qu’il est très faible durant la journée. “C’est une façon naturelle d’éviter des mitoses en plein soleil qui pourraient s’accompagner de trop nombreuses mutations”, a souligné l’intervenant. “Mais attention : si vous voyagez en Australie, par exemple, les mitoses interviendront en pleine journée durant une dizaine de jours”. Une autre raison de parfaitement protéger sa peau des rayons UV…

Des variations ont également été observées sur la microcirculation cutanée ou la perte insensible en eau, qui est à son minimum vers midi et à son maximum vers minuit. Cette dernière observation laisse supposer que la peau peut être plus perméable durant la nuit que durant la journée, et que la pénétration de certaines substances (y compris cosmétiques) peut être plus performante la nuit que le jour.
Une donnée qu’Étienne Soudan a pu vérifier dès 1990 en participant à une étude sur l’efficacité plus ou moins importante d’une crème, selon qu’elle est appliquée le jour ou la nuit. D’autres expériences ont mesuré la différence de pénétration d’actifs cosmétiques dans la peau. Tous les résultats concordent : c’est la nuit que la peau est la plus réceptive, que les actifs la pénètrent le mieux et qu’ils sont les plus efficaces.
Une belle réponse à tous ceux qui soupçonne le concept de crème de nuit de n’être que marketing !

Et on n’a pas fini d’en apprendre sur les implications des rythmes circadiens sur la peau : Étienne Soudant a annoncé la publication prochaine des résultats d’autres études.
“Ces données sont encore trop peu exploitées en cosmétique”, a-t-il encore commenté. “Si vous voulez qu’une substance pénètre la peau, donnez-là la nuit ! Pensez alors aux ingrédients hydrosolubles, puisque c’est à ce moment que la perte insensible en eau est la plus importante… Et au contraire, si vous voulez qu’une substance reste en surface de la peau et ne risque pas de pénétrer dans l’organisme, prévoyez-là seulement dans des produits à appliquer de jour !”
C’est donc tout un pan d’une autre cosmétique qui reste encore à développer…

LW
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