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mercredi 15 mai 2019Bases

Salvatore D'Acunto ou l'exemplarité cosmétique à la Commission européenne

Salvatore D'Acunto

Êtes-vous de ceux qui voient l’Europe comme un monstre complexe et inefficace, voire injuste ? De ceux qui imaginent la Commission européenne comme un repaire de bureaucrates, produisant des textes obscurs au mépris des intérêts des citoyens que vous êtes ? Venez faire la connaissance de Salvatore D’Acunto. Il dirige l’Unité en charge des produits cosmétiques à la Commission européenne. Diplomate autant que fonctionnaire, il choisit ses mots mais parle clair quand il s’agit de présenter son plaidoyer pour l’Europe : beaucoup est fait pour la protection du consommateur, et particulièrement dans le secteur cosmétique ; le nier et avoir une approche destructive serait un crime historique.

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Il vit aujourd’hui à Bruxelles, mais est Italien d’origine, un Italien “composé”, dit-il : “Je suis né au Nord, à Parme, mais je suis d’origine Napolitaine, donc du Sud, et j’ai vécu et fait mes études à Rome, en Italie centrale. Et je suis très fier d’avoir dans mon histoire les trois composantes de l’Italie, qui sont souvent présentées comme divisées”. Salvatore D’Acunto est en quelque sorte toute l’Italie réunifiée en un seul homme, pour qui il était logique d’ajouter à ses trois composantes d’origine la dimension européenne. Aujourd’hui, il se dit italo-européen…

Un travail passionnant à la Commission

Il dit qu’il n’avait pas de vocation claire quand il était jeune. Il a entamé son parcours par des études de droit, et c’est à l’occasion du déménagement de sa famille à Bruxelles qu’il a commencé à s’intéresser au monde de l’Union européenne. Deux maîtrises en poche, une en droit européen et l’autre en relations internationales, il passe un concours pour entrer à la Commission européenne qu’il réussit à la première tentative (“la chance”, dit-il !). Il réussit néanmoins de la même façon un peu plus tard une sélection pour devenir Chef d’Unité.

“C’est un travail franchement passionnant, d’être fonctionnaire européen. Quand j’ai commencé en 1992, on n’était encore que 12 pays membres. Aujourd’hui, on en a plus que doublé le nombre, et évidemment, le travail a beaucoup changé. Je me suis occupé de beaucoup de choses différentes”.

Il a ainsi été au cœur de l’élaboration de la Directive dite Bolkestein sur les services, s’est aussi occupé des droits des passagers : “C’est un sujet qui m’a passionné, surtout sous l’angle des consommateurs et des droits fondamentaux des usagers. C’était l’époque où il y a eu des éruptions volcaniques qui ont laissé des millions de passagers au sol”, se souvient-il. “Il fallait trouver des moyens de les aider de façon pratique, mais aussi de protéger leurs droits, et le système européen est le seul au monde qui garantit autant les droit des usagers aériens, mais aussi ferroviaires, maritimes, etc.”

Ses fonctions l’orientent ensuite dans le secteur de l’industrie agroalimentaire et pharmaceutique, avant d’arriver à la tête de l’Unité en charge des produits cosmétiques et des dispositifs médicaux à la Direction Générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME (DG Grow).
Son service comprend une vingtaine de personnes, dont un peu plus de la moitié pour les dispositifs médicaux.

Un juriste guidé par les scientifiques

“Je n’ai pas de background scientifique, et encore moins cosmétique, mais c’est un peu le destin d’un fonctionnaire européen de s’adapter à la mobilité interne”, souligne-t-il. Et il applique, pour les cosmétiques, les principes qui ont toujours prévalus dans ses activités européennes.
“Notre travail ne consiste pas seulement à promouvoir l’industrie européenne. Bien sûr, nous devons faire en sorte que le secteur dans son ensemble puisse prospérer. Mais nous ne lui donnons pas la primauté par rapport au consommateur. Ce que nous faisons est toujours le résultat d’une analyse qui englobe tous les éléments. La protection des consommateurs est un pilier fondamental de l’action de la Commission, et encore plus quand la protection de la santé ou de l’environnement est en jeu”.

Et pour ce qui concerne les cosmétiques, “toute mesure qui est prise sur le plan réglementaire, que ce soit une interdiction, une restriction ou une autorisation d’un ingrédient, est uniquement basée sur une analyse scientifique qui tient compte d’un niveau élevé de protection des consommateurs. C’est bien sûr une décision politique, puisqu’elle est prise par une institution, mais qui ne s’écarte pas des conclusions du Comité Scientifique (ndlr : le CSSC, Comité Scientifique pour la Sécurité du Consommateur, est un comité d’experts indépendants chargé de l’évaluation de la sécurité des ingrédients cosmétiques pour la Commission européenne). Et moi, juriste, je n’oserai jamais, même de façon marginale, mettre en cause ce que disent les scientifiques”.

Le travail du service de Salvatore D’Acunto s’attache donc à traduire ces analyses scientifiques dans des règles, des articles, des paragraphes, des annexes de règlement… avec la terminologie appropriée maîtrisée par les juristes, permettant d’éviter le plus possible toute ambiguïté et d’assurer la totale harmonie entre le scientifique et le juridique. Dans tous les cas, la sécurité des consommateurs est essentielle.

L’équilibre dans la mesure

Mais ces décisions ne sont-elles pas fortement influencées par les lobbies de l’industrie qui sont très présents à Bruxelles ?
“La représentation des intérêts d’une catégorie, d’un secteur, d’une industrie ou d’une entreprise individuelle est légitime. J’ai toujours eu un dialogue très ouvert avec l’industrie ET avec les consommateurs. Ce qui est important, c’est d’être transparent, d’abord, et franc ensuite, en expliquant clairement à chacun de nos interlocuteurs ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire, et enfin de trouver un point d’équilibre entre les différentes positions légitimes”.

Les services de Salvatore D’Acunto travaillent ainsi dans le dialogue permanent avec toutes les parties intéressées : représentants de la société civile, ONG, associations de consommateurs et de défense de l’environnement, représentants de l’industrie et des fournisseurs d’ingrédients… : “On a une palette très large et très diversifiée de participants à nos réunions. Évidemment, une décision ne peut toujours faire l’unanimité. Parfois, on a des plaintes d’un côté, parfois de l’autre, parfois de tous les côtés. Ce qui peut être finalement un très bon signal qu’on a trouvé l’équilibre”.

Donc oui, les lobbies existent, mais ils sont encadrés, conclue-t-il. “L’industrie est évidemment une partie qualifiée de ce dialogue, mais ce n’est qu’une partie”. Et de rappeler que les services de la Commission ne peuvent pas discuter avec des associations qui ne seraient pas inscrites dans le registre européen des porteurs d’intérêts, de manière à ce que le dialogue soit tout à fait ouvert et transparent.

“Cette unité qui m’a été confiée est vraiment à cheval entre deux dimensions”, ajoute Salvatore D’Acunto, “la dimension de politique industrielle d’un côté et la dimension de la protection de la santé des consommateurs de l’autre. Et ça l’a toujours été, qu’elle que soit la Direction générale dont elle relève. Il nous faut donc toujours trouver le bon équilibre et la bonne mesure, mais toujours en tenant compte du premier considérant du Règlement Cosmétiques (ndlr : Règlement n°1223/2009), c’est-à-dire en assurant un niveau très élevé de protection des consommateurs. C’est le principe de base de notre politique et c’est aussi notre ligne de conduite dans le travail quotidien”.

La supervision des ingrédients cosmétiques

En ce qui concerne les produits cosmétiques, Salvatore D’Acunto intervient d’abord sur la gestion au jour le jour des ingrédients, au travers de la mise à jour régulière des annexes du Règlement Cosmétiques qui listent les différents types de substances : celles qui sont interdites, celles pour lesquelles il est prévu des restrictions (par exemple, l’utilisation est possible jusqu’à un certain niveau de concentration et pas plus), et celles qui peuvent être utilisées uniquement si elles ont été préalablement autorisées (c’est le cas pour les colorants, les conservateurs et les filtres UV).

Pour établir le besoin de modifier une annexe du Règlement, les services de la Commission demandent régulièrement l’avis du CSSC. Salvatore D’Acunto explique : “On donne un mandat formel au Comité Scientifique : on a la substance X, on lui demande si son utilisation est sûre, si elle est sûre jusqu’à une certaine concentration, ou si au contraire elle n’est pas sûre du tout et qu’il faudrait l’interdire. L’élément déclencheur de cette demande vient soit de l’industrie quand elle veut introduire une nouvelle substance, soit d’un État membre ou d’une organisation de consommateurs qui veulent au contraire une nouvelle restriction ou une interdiction…”.
C’est la partie intéressée qui apporte des données pour soutenir sa demande. En effet, la Commission consulte plus rarement le Comité Scientifique de sa propre initiative, mais toujours sur la base d’un dossier suffisamment étoffé et robuste en termes de données scientifiques, d’essais cliniques, etc.

Cette étape formelle est suivie de toute une série de contacts informels pour suivre l’avancement du dossier, éventuellement pour le compléter ou le préciser jusqu’à ce que le Comité rende son avis. Vient ensuite une discussion au sein du Comité Permanent sur les Produits Cosmétiques : “Ce n’est pas la Commission qui adopte seule les mesures réglementaires, mais un vote formel des États membres à une double majorité qualifiée”, explique Salvatore D’Acunto. Et ce n’est qu’à l’issue de ce vote que la Commission peut implémenter la mesure.
“Ça ne se fait pas au fond de nos bureaux de façon obscure, ça se fait de manière tout à fait transparente avec les autres parties intéressées et par un vote formel au niveau des États membres”.
Un processus qui explique aussi que certaines décisions attendues soit assez longues à arriver.

Salvatore D’Acunto explique cette apparente lenteur : “Il faut considérer le temps qui est nécessaire pour recevoir des données, pour soumettre un mandat au CSSC qui a besoin d’au moins six mois pour arriver à un projet d’avis, qui doit alors être publié pour donner l’occasion aux parties intéressées de faire des commentaires. Ensuite, une fois que le CSSC a rendu son avis final, on prépare un projet de Règlement d’exécution pour modifier les annexes qu’on soumet aux parties intéressées dans le groupe de travail. Il faut aussi passer par une phase de consultation interne à la Commission, avec la DG Environnement, la DG Santé, le service juridique, le secrétariat général, etc. Quand cette phase est terminée, on doit notifier le projet de mesure au niveau international à l’Organisation Mondiale du Commerce. Et là, il faut attendre deux mois pour donner aux pays tiers la possibilité de réagir. Et c’est seulement ensuite qu’on peut procéder au vote du Comité Permanent. Le texte voté est en anglais : il faut alors le traduire dans toutes les langues européennes, ce qui est encore une étape supplémentaire. Après le vote, il y a aussi la période de contrôle par le Parlement et le Conseil des États membres. Les deux institutions ont trois mois pour émettre une objection. Entre le vote et l’adoption par la Commission, il est difficile de compter moins de six mois, parce qu’il y a toujours des délais pour envoyer le document et le recevoir, puis le donner au collège des Commissaires pour adoption… Je sais que ça peut paraître très long et technocratique, mais c’est prévu par le traité”.
Effectivement, le processus n’est pas immédiat. D’autant qu’il peut encore être allongé par le besoin de réunir des données scientifiques complémentaires ou par un blocage politique, particulièrement sur les ingrédients les plus “sensibles” quand les représentants des États membres n’arrivent pas à trouver un accord, comme cela a été longtemps le cas pour les substances CMR (Cancérogènes, Mutagènes ou toxiques pour la Reproduction). Mais c’est aussi la garantie d’aboutir, à la fin du processus, à une mesure réfléchie, scientifiquement justifiée, et qui fait l’objet du meilleur consensus possible.

Le suivi des thématiques horizontales

Elles ne concernent pas des substances spécifiques mais des questions cruciales pour le consommateur et l’industrie, comme ces groupes de substances qui font débat et font l’objet de préoccupations vives du public. Salvatore D’Acunto cite ainsi les substances les plus “chaudes” du moment :
• les CMR, pour lesquels la Commission a réussi à obtenir un examen automatique, chaque année, des substances nouvellement classifiées en tant que telles, afin qu’elles soient interdites systématiquement dans tous les produits cosmétiques, sauf exemption dûment justifiée,
• les nanomatériaux, qui doivent être formellement considérés comme sûrs pour les consommateurs par le CSSC (et dans un court délai de six mois) pour pouvoir être utilisés,
• les perturbateurs endocriniens, pour lesquels, après une longue réflexion, les choses ont commencé à bouger, avec un rapport présenté en novembre 2018 et l’élaboration d’une première liste des substances qui ont potentiellement des effets de perturbateurs endocriniens, de façon à les faire évaluer de façon prioritaire par le CSSC,
• les microplastiques pour lesquels l’ECHA a fait une proposition de restrictions…

Autres substances très fréquemment incriminées : les conservateurs. “Quand je suis arrivé à la DG Grow, le sujet suscitait beaucoup d’inquiétudes pour l’industrie parce que le nombre de conservateurs autorisés diminuait de manière presque inexorable. Or, les conservateurs sont nécessaires pour éviter la dégradation du produit. Et une large palette de substances disponibles protège aussi les consommateurs, pour qu’ils ne soient pas exposés à un nombre très limité de substances, ce qui représente pour eux des risques plus élevés notamment en termes d’allergies. Mais depuis, le dialogue entre le Comité Scientifique et l’industrie s’est beaucoup amélioré. Et cela commence à avoir des résultats concrets, puisqu’on voit arriver de nouveaux conservateurs. On commence maintenant à élargir la palette et pas uniquement à la limiter”.

L’interdiction sur les tests sur animaux est aussi un sujet qui surgit régulièrement au niveau politique et sur lequel le Parlement a été récemment extrêmement actif, demandant que la Commission se fasse promotrice d’une interdiction au-delà de l’Europe, même par une convention internationale aux Nations Unies.
“Nous sommes en train de promouvoir, lors des contacts et des forums internationaux, l’idée d’introduire aussi dans des États tiers l’interdiction du test sur animaux ou de travailler sur la recherche d’alternatives valables. Nous pensons que c’est un sujet qui mérite d’être exporté”, indique Salvatore D’Acunto.

Le système européen, un modèle exemplaire

Au-delà de la problématique des expérimentations animales, l’unité de la DG Grow de Salvatore D’Acunto travaille aussi à diffuser largement l’ensemble des concepts qui sous-tendent le Règlement Cosmétiques dans le monde entier.
“Nous exportons beaucoup notre modèle, et nous en sommes assez fiers. Nous avons un système réglementaire pour les cosmétiques qui est devenu une référence et de plus en plus d’États suivent ce modèle. C’est un système qui ne se base pas sur l’autorisation préalable pour tous les produits, mais sur la gestion des substances en amont et des contrôles sur le marché. Il marie en même temps la sécurité et la souplesse, pour éviter un excès de bureaucratie, tout en assurant la protection de la santé des consommateurs. Quelquefois, on a même du mal à suivre toutes les demandes qui viennent de l’extérieur, des États tiers qui demandent des prises de contact pour savoir ce qui se passe au niveau de l’Europe !”.

Et l’industrie, comme les représentants des consommateurs, reconnaissent que c’est effectivement un modèle satisfaisant. “Cela montre que ce Règlement protège de manière équilibrée les deux parties, et pas une au détriment de l’autre. Évidemment, c’est un modèle qu’il faut toujours vivifier et adapter pour suivre le progrès scientifique et technique. Ce n’est pas quelque chose de statique, mais je pense que c’est une base très solide”.

Et, plus largement, Salvatore D’Acunto invite à replacer les débats d’actualité, qu’ils concernent les produits cosmétiques ou la politique européenne de façon plus globale, dans leur juste contexte : “Il faut avoir une vision un peu historique de notre intégration européenne, même quand on discute d’un sujet qui peut être hyper sensible et hyper controversé. Il n’y a pas de système au monde qui soit plus clair ni plus protecteur pour les consommateurs que le nôtre. Et pour ce qui concerne les cosmétiques, on est arrivés à une réglementation de plus en plus affinée et de plus en plus précise. C’est vrai que c’est un système qui peut paraître complexe parce qu’on est nombreux, qu’on veut tenir compte de l’avis de tout le monde et qu’on cherche toujours le meilleur compromis possible pour toutes les parties. Mais avoir une vision qui sort un peu de l’actualité et qui est aussi contextuelle et historique est important. Parce que ça nous aide à être des consommateurs et des Européens encore plus conscients de la chance qu’on a d’être dans ce système. Bien sûr, il peut toujours être amélioré, mais il faut avoir une approche constructive et non pas destructive, ce serait vraiment un crime historique”.
Un crime qui serait certainement loin d’avoir… un effet cosmétique.

LW
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