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mercredi 2 avril 2014Marques

La Maison Dorin, un patrimoine hors pair

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En ce matin pluvieux de février, je pousse la porte d’un endroit insolite au cœur de Chatou, ville des artistes peintres du XIXe, dont les célèbres Derain et Vlaminck, ont été les créateurs du fauvisme (ou École de Chatou). Là, je découvre avec émerveillement un lieu hors du temps, le musée de la Maison Dorin. Découverte de cet univers merveilleux et fantastique avec les propriétaires, la famille Nasri (Bashar et Imane). Propos recueillis par Michelle Vincent.

Temps de lecture
~ 5 minutes

Michelle Vincent : Comment cette histoire a-t-elle débuté ?
H. Nasri : À vrai dire, on ne connaît pas exactement la date de la création de la Maison Dorin. Probablement pendant la dernière période de l’Ancien Régime (1745 peut-être). Mademoiselle Montansier, femme d’affaires redoutable, demi-mondaine passionnée de théâtre, amie de Marie-Antoinette et de Bonaparte, se fait bâtir un théâtre à Versailles (aujourd’hui, Théâtre Montansier) inauguré le 18 novembre 1777 en présence de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Elle en sera, par privilège royal, la directrice, et officiellement chargée d’organiser les "spectacles, bals et fêtes à la suite de la Cour". Grâce à elle, la Maison Dorin se fera connaître à la cour par son fard à joue pour le théâtre. Il se dit aussi que cette Mademoiselle Montansier aurait racheté la petite échoppe Dorin à Paris et qu’elle aurait donné son nom à une poudre.

MV : L’histoire de Dorin est très liée au théâtre et à sa "bonne fée" Mademoiselle Montansier ?
HN : En effet. Mademoiselle Montansier a apporté à la marque son sens de l’esthétique, sa connaissance du luxe, beaucoup de féminité, pour un résultat très artistique. Les produits étaient de véritables chefs-d’œuvre, d’un raffinement extrême. En 1840, le premier rouge de théâtre fait son apparition. Il est formulé à base de poudre de riz.
En 1780, Dorin devient fournisseur officiel de la cour royale de Versailles.
À partir de 1818-19, la Maison Dorin se développe sous l’égide de G.M. Dorin.
En 1885, Dorin édite son premier catalogue. Très luxueux, celui-ci compte plus de 427 références produits. Il n’a malheureusement pas été conservé. La poudre libre devient une poudre compacte car beaucoup plus pratique pour les voyages et notamment ceux des troupes de théâtre. Le rouge à lèvres initialement présenté dans un écrin de porcelaine se meut en stick solide…

MV : Ils étaient aussi très innovants d’une certaine manière ; le catalogue de l’époque fait état de précautions pour certaines substances (voir la page 1 et les recommandations du Pr. Reveil, en 1865 et du chimiste L’Hôte en 1889) et d’une qualité remarquable. (Nous avons eu le privilège de l’admirer)
HN : Le catalogue de 1914 est un véritable trésor. Il est déjà à l’époque traduit en plusieurs langues (anglais, espagnol, allemand…). Les dessins sont remarquables, peints à la main à taille réelle. Il traduit de manière extraordinaire les valeurs de la marque, son exigence, l’excellence de l’exécution et son côté précurseur ; nous sommes en 1914 !
D’ailleurs les produits Dorin ont obtenu de nombreuses récompenses lors des expositions universelles : Moscou (1891), Chicago (1893), Bruxelles (1897), couronnés d’une médaille d’Or à Paris en 1900, Grand prix à Saint Louis en 1904, à Liège en 1905 et à Bruxelles en 1922. Cette reconnaissance des produits Dorin a contribué à la notoriété de la marque et à l’ouverture vers de nouveaux marchés du luxe en Russie, en Angleterre, aux États-Unis et en Espagne.
Aux États-Unis justement, la Maison Dorin a été pionnière pour le développement des poudres compactes. À New York, l’expression "give me a Dorin" était très commune et signifiait "Donnez-moi un rouge à lèvres". Le nom Dorin était passé dans le langage commun, c’est dire sa popularité.

MV : En France, Dorin avait des usines, des laboratoires ?
HN : Oui. L’usine Dorin était située à l’angle de la rue de Wattignies et de la rue de Fécamp, dans le XIIe. On y produisait les parfums La Dorine, le rouge brunette, la crème ÉclatLys, les poudres… À partir de 1936, Dorin installe son usine à Colombes à côté d’autres grandes marques (Guerlain notamment). L’usine compte plus de 85 employés et exporte les produits Dorin dans une vingtaine de pays à travers le monde.
La marque a cessé son activité dans les années 80, se consacrant exclusivement à la production à façon pour d’autres maisons.

MV : Et aujourd’hui ?
HN :
Nous avons repris cette belle endormie en janvier 1998 avec toute une collection de parfums. La plus emblématique est La Dorine, en hommage à Marguerite Brunet, dite Mademoiselle Montansier, composée de trois jus : Charmeuse, Passionnée, et Romantique. Mais aussi Air de Paris, réédité en 2007, à partir de la formule originale de 1886, ce grand classique reprend les codes du parfum traditionnel. Il est décliné en version florale, fruitée et spicy.

Cette contribution a été réalisée par Michelle Vincent.

Diplômée de l’ENSAM Montpellier (aujourd’hui SupAgro)  en sciences des aliments, Michelle commence sa carrière comme ingénieur Qualité dans le groupement Intermarché. Au cours de cette première expérience, elle côtoie des PME et des filières amont de l’industrie agro-alimentaire. En 1993, le destin la conduit vers un univers plus glamour, celui des cosmétiques. Elle intègre Chanel à Neuilly sur Seine. Son challenge : mettre en place un laboratoire d’analyse sensorielle afin d’optimiser les galéniques des formules cosmétiques. En 2008, changement de cap pour la presse professionnelle en tant que directrice des rédactions. Parallèlement fin 2012, elle crée son cabinet conseil pour accompagner les entreprises dans le développement de méthodes d’évaluation cosmétique et de rédaction de contenu scientifique. Enfin, elle est enseignante à l’ISIPCA sur des modules de développement durable, RSE, filière du naturel. Elle collabore à la Cosmétothèque® depuis sa création.

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