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mercredi 11 janvier 2017Cosmétothèque

Une jeune fille pleine de vitalité : la réglementation cosmétique européenne

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Cette jeune création, qui continue d’être l’objet du tourment permanent d’un grand nombre de professionnels de l’industrie cosmétique, en bien ou en mal, fait encore l’actualité. Mais qui est-elle ? Après avoir été en vigueur pendant plus de 30 ans avant d’être entièrement revue sous la forme du Règlement (CE) N°1223/2009, la réglementation européenne cosmétique vient de fêter ses 40 ans.

Temps de lecture
~ 23 minutes

La France a joué un rôle moteur dans son élaboration au niveau européen à la suite du malheureux accident du Talc Morhange, en proposant, dès 1972, une Directive au Conseil de la CEE. Elle deviendra la Directive 76/768/CEE qui a posé les bases réglementaires de la cosmétologie moderne. Elle introduit une notion essentielle avec une nouvelle définition du cosmétique, abandonnant le terme de produit de beauté. L’article L658-1 du Code de la Santé publique dit dorénavant que les produits cosmétiques et les produits d’hygiène corporelle sont définis comme " toutes les substances ou préparations autres que les médicaments destinées à être mises en contact avec les diverses parties superficielles du corps humain ou avec les dents et les muqueuses, en vue de les nettoyer, de les protéger, de les maintenir en bon état, d’en modifier l’aspect, de les parfumer ou d’en corriger l’odeur" .

Nous ne saurions attaquer un nouveau règne, qui sera au minimum aussi long, sans refaire le point sur ces premières décennies. Qui mieux que le Docteur Gerald Renner, Directeur des affaires réglementaires de Cosmetics Europe, pouvait nous donner son analyse personnelle de la situation réglementaire ? Avec la collaboration de Raffaëlla Berioli, Conseillère Scientifique et Règlementaire à la FEBEA, il nous propose sa vision au travers d’une sélection personnelle des événements majeurs. Nous les remercions pour ce voyage commenté dans le monde de la réglementation cosmétique. En complément, je vous rappelle ces deux publications qui font également le point sur le même thème :
 40 ans de règlementation cosmétique européenne , sur L'Observatoire des Cosmétiques,
Joyeux anniversaire ! Notre réglementation cosmétique a 40 ans , sur The Conversation.

Bonne lecture.

Jean Claude Le Joliff

Quarante ans de législation cosmétique européenne harmonisée
Étapes clés règlementaires : Une sélection personnelle

En 1976, année de l’adoption de la directive "Cosmétiques" de l’Union européenne, j’avais 9 ans et je vivais dans un pays dont l’entrée dans l’UE se ferait environ 20 ans plus tard. Mes contacts avec les cosmétiques se limitaient à une dose quotidienne de dentifrice et un soupçon occasionnel de savon ou de shampooing, et l’UE était encore plus éloignée de moi que la Lune. C’est pourquoi, lorsque l’Autriche entra dans l’UE en 1995 et que j’eus l’opportunité, un an plus tard, de rejoindre le Colipa (aujourd’hui "Cosmetics Europe") pour travailler sur la sécurité des ingrédients et les aspects réglementaires de la directive "Cosmétiques", j’avais beaucoup de choses à rattraper. Vingt ans plus tard, après un amendement, quelques 50 adaptations techniques et une refonte, je crains d’être devenu l’un des "vétérans chevronnés du secteur", ce qui apparemment m’autorise à présenter les étapes réglementaires clés passées de la législation cosmétique européenne.

 1976 – La directive "Cosmétiques" de l’UE - 76/768/CEE

À mon arrivée dans le secteur, il me semblait évident que l’objectif de la directive européenne était de garantir la sécurité des cosmétiques – point final. Mais en y regardant de plus près, la sécurité pouvait aussi être assurée via la législation nationale, et de fait, des lois relatives aux cosmétiques existaient déjà dans les États membres de l’UE avant 1976. J’ai rapidement été curieux de découvrir s’il y avait peut-être d’autres raisons à la loi européenne…

En parlant à des "vétérans chevronnés du secteur" de l’époque, j’ai été surpris d’apprendre que c’était l’industrie cosmétique qui avait été à l’origine de l’ébauche d’une directive "Cosmétiques" au début des années 1970 : elle s'était rendu compte que l’avenir de la législation ne se situait plus au niveau national mais bien européen. Des lois et des normes de sécurité différentes étaient devenues tout simplement incompatibles avec la notion de libre circulation des biens.

C’est une tendance que j’ai vue se reproduire de nombreuses fois depuis 20 ans : l’industrie cosmétique européenne n’est généralement pas hostile à la réglementation, mais elle saisit des opportunités émanant de règles claires et aisément utilisables. Si elles sont harmonisées au sein de l’UE, ces règles peuvent créer une situation équitable et une sécurité juridique pour un marché qui compte (aujourd’hui) 550 millions de consommateurs. Une législation européenne crédible peut également créer la confiance des consommateurs dans la sécurité des cosmétiques, quel que soit le pays où ils sont fabriqués.

L’objective initial de la directive "Cosmétiques" peut être décrit ainsi : "des exigences et des normes de sécurité qui permettent la libre circulation des cosmétiques, parce qu’ils assurent un niveau de protection des consommateurs qui est accepté par tous les États membres de l’UE".

L‘objectif et les principes essentiels de ce texte quarantenaire restent aujourd'hui d’une remarquable pertinence et continuent à servir d’inspiration aux législations émergentes partout dans le monde.
• Une définition des cosmétiques, reposant sur la forme physico-chimique, la zone d’application et la fonction prévue, qui
> inclut le maquillage, les parfums, les produits de soin et de toilette,
> établit une frontière claire avec les médicaments, les dispositifs médicaux et les produits biocides,
> tout en incluant les cosmétiques qui contribuent à la santé publique, comme les dentifrices ou les produits solaires.
• Les produits placés sur le marché de l’UE doivent être sûrs dans des conditions normales d’utilisation.
• Pas d’enregistrement préalable à la mise sur le marché, mais un contrôle du marché par les autorités nationales.
• La responsabilité juridique en matière de sécurité et de conformité est du ressort de l’entité responsable de la mise sur le marché de l’UE.
• Le nom et l’adresse de cette entité, qui doit être établie dans l’UE, doivent figurer sur l’étiquette.
• Une approche par des listes positives / négatives pour des ingrédients spécifiques.
• Les États membres n’ont pas le droit d’interdire ou de restreindre la mise sur le marché de produits conformes à la législation européenne (sauf en cas de mesures d’urgence justifiées, répondant à un risque sérieux pour la population).

 1979 - Le CSC, comité scientifique de cosmétologie
(devenu SCCNFP, puis CSPC, aujourd’hui CSSC)

La directive prévoyait que certains ingrédients devaient faire l’objet d’une réglementation spécifique (interdiction / restriction / autorisation) pour un usage particulier en cosmétique. Comme cela a été confirmé à plusieurs reprises (le cas le plus radical étant l’affaire "Angelopharm"), de telles mesures doivent s’appuyer sur une approche scientifique solide. Alors que dans la plupart des cas, les données de sécurité fondamentales sont fournies par l’industrie, leur examen doit être effectué par des scientifiques indépendants.

En janvier 1978, la Commission européenne publia une décision portant sur la création d’un comité scientifique consultatif qui " peut être consulté par la Commission pour tout problème de caractère scientifique ou technique dans le domaine des produits cosmétiques et notamment sur les substances utilisées dans la préparation des produits cosmétiques et sur la composition et les conditions d’utilisation de ces produits". Les membres de ce comité furent choisis sur des critères d’excellence scientifique et d’indépendance, et on leur demanda de travailler de façon transparente. En janvier 1979, le CSC se réunit pour la première fois afin de fournir une évaluation scientifique du risque de "l’utilisation du chloroforme dans les dentifrices", et depuis ses membres n’ont cessé de travailler…
Renouvelé plusieurs fois au fil du temps, ce comité est reconnu au niveau mondial et ses centaines d’opinions continuent à servir de base aux décisions réglementaires dans l’UE et au-delà.

Années 80 - Introduction des listes positives

La plupart des ingrédients sont à la disposition des entreprises cosmétiques tant que leur utilisation garantit la sécurité du produit cosmétique. Cependant, pour certains types d’ingrédients prioritaires, les régulateurs européens ont considéré dès le début qu’un "filet de sécurité" supplémentaire était nécessaire pour assurer un haut niveau de sécurité pour le consommateur. C’est ainsi que le concept de listes positives a été défini en 1978 dans la directive "Cosmétiques".
Pour les types d’ingrédients suivants, le régulateur européen a considéré qu’il était nécessaire de fixer des concentrations adéquates et des conditions d'utilisation.
• Conservateurs : ils remplissent un rôle important par exemple en contrôlant / détruisant les micro-organismes et évitent ainsi le risque de contamination microbienne. Pourtant cette activité peut aussi poser un problème de toxicité pour le consommateur.
• Filtres UV : ils jouent un rôle important pour la protection contre les rayons ultra-violets. Les consommateurs et les autorités doivent pouvoir avoir confiance en leur sécurité et leur efficacité en conditions parfois extrêmes (exposition intense aux radiations UV).
• Colorants : ils peuvent être utilisés à haute concentration dans certains produits cosmétiques. Les préoccupations de sécurité concernant les "colorants dérivés du goudron de houille" (et en particulier certaines impuretés) ont entraîné une réglementation générale des colorants alimentaires et cosmétiques par la FDA américaine. Cela a servi d’inspiration pour les réglementations cosmétiques dans les États membres de l’UE, et a abouti finalement à la nécessité d’une liste positive.
• Teintures capillaires : ce sont ou des colorants (teintures capillaires temporaires) ou des  précurseurs incolores qui réagissent au contact d’une molécule colorée dans le cheveu (teintures capillaires permanentes). En particulier, les précurseurs réactifs peuvent susciter des préoccupations en termes de sécurité.
• Antioxydants : je ne suis pas certain de la raison pour laquelle ils ont été proposés dans le cadre des listes positives. Il y a peut-être eu un lien avec les discussions sur le BHA et le BHT en tant qu’additifs alimentaires, qui eurent lieu au moment où la directive "Cosmétiques" était élaborée.

De nombreuses substances furent intégrées dans le texte d’origine, sous la mention "provisoirement autorisées", mais il fallut plusieurs années avant de réaliser une première évaluation de la sécurité et d’établir formellement les listes positives de conservateurs (1982), filtres UV (1983) et colorant (1988).
Même si un nombre important de colorants capillaires fut évalué, les ingrédients continuèrent à être réglementés par les listes générales restrictives de la directive. L’objectif d’une liste positive fut reconfirmé en 2009, mais son introduction prendra sans doute encore quelques années.
L’idée initiale d’une liste positive pour les antioxydants disparut au fil du temps, probablement à cause des preuves croissantes de leur sécurité dans le secteur alimentaire.

On pourrait débattre du fait que l’introduction de listes positives n’est pas réellement une "étape clé" mais plutôt un long et sinueux chemin pavé, qui a mobilisé des ressources considérables, aussi bien chez les industriels que chez les régulateurs. Cependant, le résultat final de cet exercice est une étape clé, une approche novatrice et performante de la gestion des nouveaux ingrédients. Un effet secondaire de l’évaluation de centaines d’ingrédients fut de clarifier les exigences en matière de données et de modalités d’examen, énoncées dans le document "SCC Notes of Guidance for the Safety Evaluation of Cosmetic Ingredients" ("Notes du CSC relatives à l’évaluation de la sécurité des ingrédients cosmétiques" - 1982, première mise à jour en 1990).

Malgré des normes et des exigences relatives aux données de grande qualité, le cadre prévisible et transparent d’inscription de nouveaux ingrédients dans les listes positives a permis à l’industrie cosmétique européenne de maintenir son leadership mondial en terme d’innovation sur les ingrédients. Hélas, les évolutions réglementaires récentes ont créé un écart entre les exigences liées aux données sur les nouveaux ingrédients cosmétiques et la disponibilité de ces données pour l’industrie. J’y reviendrai plus loin.

 1993 – Le 6e amendement

Avec l’achèvement des listes positives, davantage de ressources réglementaires furent disponibles pour une révision complète de la directive "Cosmétiques". Le "6e amendement" qui en résulta permit d’améliorer, de compléter et de clarifier les grands principes de la législation.
En revanche, l’objectif du texte, son champ d’application, l’exigence de produits sûrs, le concept de personne responsable et l’obligation de contrôle au sein du marché par les autorités ne furent pas modifiés.

Le changement le plus marquant fut l’obligation de constituer un dossier d'information produit (DIP), qui comprend l’évaluation de la sécurité et la justification des revendications. Cette nouvelle exigence a permis un contrôle du marché plus efficace et plus effectif, en clarifiant et en harmonisant le type d’informations attendues par les autorités pour se prononcer sur la sécurité et la conformité d’un produit. Très peu d’indications furent données dans la directive de 1993 concernant le format ou le niveau de détails à appliquer au DIP, à l’évaluation de la sécurité et à la justification des revendications. Dans une certaine mesure, les lignes directrices de bonnes pratiques développées par le Colipa (Cosmetics Europe aujourd’hui) pouvaient combler ce vide, mais au fil du temps, une réelle hétérogénéité dans la qualité et la profondeur du DIP s’est développée dans le secteur.

Ce qu’il faut noter, c’est que le 6e amendement a également instauré l’étiquetage obligatoire des ingrédients. Inspirée du système américain INCI, l’approche d’étiquetage a été légèrement adaptée pour prendre en compte les multiples langues de l’UE (par exemple : utilisation du latin plutôt que de l’anglais pour les noms courants d’ingrédients).

En termes d’étapes clés, le 6e amendement est certainement l’une des plus importantes, sinon la plus importante. Non pas parce qu’il a créé une nouvelle approche réglementaire, mais parce qu’il a fourni les outils (DIP, évaluation de la sécurité, justification des revendications et liste d’ingrédients) pour appliquer l’approche existante d’une façon efficace.

Le 6e amendement a favorisé également le développement d’un nouveau secteur. Depuis 1993, il existe une opportunité commerciale croissante pour les "évaluateurs de la sécurité cosmétique" ainsi que pour les organismes de formation spécialisés. La directive européenne, sous sa forme 6e amendement, est également devenue source d’inspiration pour de nombreuses législations émergentes en Asie et Amérique Latine.
Au regard de l’impact qu’il a eu sur les pratiques de l’industrie cosmétique et sur les réglementations au niveau mondial, il est surprenant de voir que le texte du 6e amendement ne fait que 5 pages.

 1993 - Interdiction des tests sur animaux

Je reconnais qu’en vous faisant part de mon enthousiasme pour le 6e amendement, j’ai délibérément choisi d’en ignorer un élément important, les interdictions de tests sur animaux. Ces dispositions ne rentrent vraiment pas dans la logique globale de la directive "Cosmétiques" et de son 6e amendement, et c’est pourquoi j’ai choisi de les traiter à part, comme une étape clé distincte. (Personne ne dit que les étapes clés ne consistent qu’en des développements positifs).

Les dispositions sur l’expérimentation animale ne figuraient pas dans la proposition initiale de la Commission européenne pour le 6e amendement, pas plus qu’elles n’ont été des amendements des États membres. L’initiative en revint exclusivement au Parlement européen, où elle reçut un soutien politique considérable. Le Conseil et la Commission avaient d’abord considéré que la base légale et l’objectif de la directive "Cosmétiques" (libre circulation des biens sur la base de normes de sécurité convenues) n’étaient pas adaptés pour interdire les tests sur animaux. De telles dispositions auraient dû être traitées au niveau de la réglementation horizontale sur le bien-être animal. Pourtant, lors des négociations ultérieures, le Parlement européen fit de l'interdiction des tests sur les animaux une "condition impérative" pour l’adoption du 6e amendement.

Les trois institutions trouvèrent finalement un compromis. L’amendement interdit, à l’échéance de 1998, la mise sur le marché de produits cosmétiques contenant des ingrédients testés sur les animaux "pour satisfaire aux exigences de la directive". Reconnaissant la réalité scientifique que les méthodes alternatives nécessaires ne seraient pas forcément disponibles à cette date (comme c’était vrai !), la Commission fut autorisée à proposer des prolongations de délai. De telles prolongations furent votées chaque année par les États membres jusqu’en 2003.

Donc, même si les dispositions d’interdiction de tests sur animaux de 1993 n’eurent pas d’impact réglementaire immédiat, le texte de 1993 se transforma en épée de Damoclès qui pouvait tomber à chaque date de révision annuelle. Du fait de cette incertitude, cela incita également l’industrie à redoubler d’efforts de recherche sur des méthodes alternatives et, point crucial, à regrouper ces activités dans un cadre collectif et coordonné. Ainsi, l’industrie cosmétique européenne est aujourd’hui le leader mondial dans la recherche et le développement d’approches alternatives à l’expérimentation animale pour l’évaluation de la sécurité.

 1995 - Élargissement de l’UE et ses répercussions

Tout nouvel État membre doit reprendre "l’acquis communautaire", autrement dit, l’ensemble des règles et réglementations de l’UE. À partir de 1976, au cours de plusieurs cycles d’élargissement de l’UE, 22 nouveaux États membres adoptèrent la directive "Cosmétiques" et la transposèrent dans leurs lois nationales. (Une étape clé très personnelle est celle de l’adhésion de l’Autriche, de la Suède et de la Finlande en 1995). À chaque fois, un travail préparatoire considérable a été réalisé avec les pays candidats, aussi bien au niveau de l’industrie que des autorités. Les séminaires "TAIEX" ont permis aux pays candidats de bien comprendre la législation harmonisée de l’UE, y compris sur les cosmétiques. Cela a permis une transition et une intégration en douceur de ces pays et de leurs produits dans le marché intérieur de l’UE.

L’une des conséquences des élargissements fut la nécessité de réformer le processus de prise de décision de l’UE en termes de démocratie, de transparence et d'efficacité. Même si cela ne prit pas la forme d’une Constitution européenne (ce que je regrette encore à titre personnel), la réorganisation fut finalement adoptée lors du Traité de Lisbonne de 2007. Ce traité ne se contenta pas de rééquilibrer les pouvoirs des trois institutions, il créa également de nouvelles procédures de prise de décision réglementaire (actes délégués, actes d'exécution). Il était plus que temps, car l’UE comptait désormais 27 membres et risquait une paralysie décisionnelle. La mise en œuvre du Traité de Lisbonne s’est faite lentement et n’a pas encore affecté le fonctionnement de la législation cosmétique. Mais quand notre tour viendra (probablement en 2017), cela provoquera des changements significatifs pour le processus de modification des Annexes relatives aux ingrédients.

 1997 - Évaluation du risque / Gestion du risque

Au cours de ces années, et malgré le déplacement de "l’unité Cosmétiques" à l’intérieur d’une Commission en perpétuelle évolution, une chose était restée stable jusqu’en 1997 : le Comité scientifique de cosmétologie était toujours géré par le même service de la Commission, en charge de la législation "Cosmétiques". Autrement dit, l’évaluation du risque et la gestion du risque dépendaient du même service.

La crise de la vache folle au milieu des années 1990 a montré la faiblesse de cette approche, en particulier en ce qui concerne la confiance du consommateur. Afin de retrouver cette confiance, la Commission réorganisa le processus d’analyse du risque (évaluation du risque - gestion du risque - communication du risque) selon trois principes :
• d’abord, la responsabilité législative doit être séparée de celle de l'évaluation scientifique ;
• ensuite, la responsabilité législative doit être séparée de celle de l’inspection ;
• enfin, il faut plus de transparence et plus d’information largement disponible tout au long du processus de décision et des mesures d’inspection.

Alors que ces principes émanaient du secteur alimentaire, ils furent également appliqués à toutes les législations basées sur l’évaluation du risque, y compris la directive "Cosmétiques". Première conséquence : les membres du CSC ne furent plus proposés par les États membres, mais choisis lors d’un processus ouvert de candidature. Puis, la gestion du SCCNFP, comme il s’intitulait désormais, fut transférée vers une autre Unité de la même Direction générale de la Commission. Plus tard, il fut transféré encore plus loin, au sein d’une autre Direction générale et les réunions du CSSC (son nom de l’époque) furent déplacées de Bruxelles à Luxembourg. Pour certains, c’est pousser la séparation entre l’évaluation du risque et la gestion du risque à un niveau extrême, ce qui a des conséquences sur l’efficacité du processus et la possibilité pour les parties prenantes d’interagir avec le comité scientifique.

 2003 - Le dernier amendement majeur à la directive "Cosmétiques" de l’UE

Le septième (et dernier) amendement à la directive "Cosmétiques" résulta essentiellement de l’impatience grandissante du Parlement européen face au report d’année en année des interdictions de tests sur animaux. Même si ces ajournements reflétaient l’état réel de la science et permettaient d’éviter une discussion potentiellement désagréable avec les partenaires commerciaux internationaux de l’OMC, il était devenu de plus en plus difficile à la Commission d’obtenir le soutien politique nécessaire au sein de l’UE pour une nouvelle prolongation du report.

Dans sa proposition pour le 7e amendement, la Commission proposa simplement de transformer l’interdiction de mise sur le marché (de produits contenant des ingrédients testés sur des animaux) en interdiction de tester les produits ou ingrédients cosmétiques dans l’UE. Cette proposition fut directement rejetée par le Parlement européen qui craignait qu’une telle approche n’aboutisse simplement à "exporter" l’expérimentation animale de l’UE vers des pays tiers. Après quelques négociations, le Conseil et le Parlement se mirent d’accord pour maintenir l’interdiction de mise sur le marché du 6e amendement, et de la compléter par l’interdiction de tests proposée par la Commission. On fixa la date butoir définitive à mars 2013 pour l’application des interdictions, indépendamment du progrès scientifique et de la disponibilité de méthodes alternatives. Comme il fut déclaré à plusieurs reprises par le Parlement européen, cette date limite avait été fixée en toute conscience que des méthodes alternatives ne seraient pas disponibles en 2013. La loi reflète une décision politique qui met le bien-être animal au-dessus de la capacité de l’industrie à innover. De plus, l’argument de la sécurité du consommateur fut écarté par l’argument selon lequel l’industrie avait déjà suffisamment d’ingrédients sûrs à sa disposition pour continuer ses activités.

L’amendement apporta aussi un autre changement fondamental. Il introduisit, à l'initiative de la présidence danoise du Conseil, une interdiction inconditionnelle et reposant sur le danger des substances classées selon la législation des produits chimiques comme CMR (carcinogène, mutagène, reprotoxique) de catégorie 1A ou 1B, indépendamment de savoir si leur utilisation dans les cosmétiques est sûre.

En parallèle de ces deux bombes, les autres exigences du 7e amendement semblent relativement mineures : une exigence de collecte dans le dossier d’information produit de tous les rapports d’effets indésirables, et des exigences accrues d’information du consommateur sur les allergènes de parfumerie et sur la durabilité des produits.

Personnellement, je considère le 7e amendement comme un "creux" dans les 40 ans de l’histoire de la législation "Cosmétiques" de l’UE. Il marque une déviation, pour des raisons politiques, d’une approche reposant sur la science qui avait été l’un des points clés de la directive "Cosmétiques", et qui avait contribué au leadership mondial du secteur cosmétique de l’UE. Alors que la directive "Cosmétiques" avait jusqu’ici été un "produit d’exportation" pour les réglementations émergentes, aucune région du monde ne reprit le 7e amendement, pas même celles qui avaient précédemment suivi le modèle réglementaire de l’UE sur un mode "copier-coller".

 2009 - Le règlement "Cosmétiques" de l’UE

Trente ans après l’adoption de la directive "Cosmétiques", le texte était devenu, de l’avis de tous, quelque peu complexe. Sept amendements et environ 50 adaptations techniques du texte d’origine avaient créé un patchwork de textes comportant parfois une terminologie et des concepts incohérents ou dépassés. Un patchwork qui fonctionnait plutôt bien, reposant sur 30 ans d’expérience pratique, mais néanmoins prêt pour une révision.

Partant de la version consolidée du texte, la Commission décida finalement d’aller plus loin et de procéder à une "refonte". Autrement dit, de réunir en un seul acte la directive d’origine et tous les amendements / adaptations, et, là où c'était nécessaire, de modifier, d'actualiser et de simplifier le texte. En outre, une refonte permet aussi d'introduire de changements substantiels.

Durant le processus, les principes de base de la directive "Cosmétiques" furent repris quasiment tels quels dans le nouveau règlement (même si dans certains domaines, ils sont maintenant développés plus en détail). Les concepts de personne responsable, dossier d’information produit, évaluation de la sécurité, contrôle du marché, étiquetage, etc. ont résisté à l'épreuve du temps et sont aussi importants et valides que jamais.

Étant donné que l’adoption d’une refonte suit la procédure normale de codécision Parlement européen / Conseil, la Commission européenne a dit clairement dès le début qu’elle ne ré-ouvrirait pas le sujet politiquement sensible de l’expérimentation animale, qui aurait pu bloquer l’accord sur la refonte complète. S’étant débarrassé de cet écueil, la refonte de la directive en règlement fut négociée de façon relativement fluide et rapide et publiée en 2009 (pour une application en 2013).

Le plus important, c’est que cette étape marque "l’apothéose" de l’harmonisation de la législation cosmétique dans l’UE. Passer de la forme juridique "directive" à "règlement" signifiait que le texte juridique européen ne nécessitait plus de transposition dans le droit national des États membres (un processus parfois lent et imparfait). Le texte européen est maintenant une loi directement applicable dans tous les États membres.

Dans l’esprit d’harmonisation et de simplification, la refonte a aussi introduit un système de notification électronique unique, qui a remplacé les quelques 20 différents systèmes nationaux qui existaient à l’époque.

Dans plusieurs domaines, la refonte a introduit explicitement des exigences qui reflètent 30 ans de pratique et d’expérience non écrites :
• définitions (beaucoup de concepts clés qui avaient été utilisés dans la gestion de la législation depuis sa création, furent en fait définis pour la première fois en 2009 : mise sur le marché, fabricant, distributeur, importateur, personne responsable, colorant, conservateur, filtre UV, produit rincé et non rincé, etc.) ;
• évaluation de la sécurité (qualification de l’évaluateur de la sécurité, contenu de base de l’évaluation de la sécurité) ;
• revendications (critères à remplir pour qu’une revendication soit considérée comme non trompeuse).

En ce qui concerne les substances CMR, une décision importante fut prise : revenir, du moins en partie, à une approche basée sur le risque. La refonte a assoupli l’interdiction inconditionnelle basée sur le danger en créant la possibilité d’exemptions basées sur l’évaluation du risque, si certaines conditions strictes sont respectées. À l’origine la Commission avait interprété les calendriers et les étapes du processus d’exemption d’une façon qui rendait les exemptions quasiment impossibles. Le changement récent d’interprétation par la Commission est une importante étape clé en soi. L’article sur les substances CMR inclut également une possibilité de dispositions spécifiques sur les modulateurs endocriniens, sujet à gros potentiel pour devenir une autre étape clé à l’avenir.

La refonte a également renforcé la surveillance post-commercialisation en obligeant les entreprises à notifier les effets indésirables graves aux autorités (c’est-à-dire : les effets indésirables ayant entrainé des conséquences graves pour le consommateur).

Enfin, la refonte a introduit un régime de notification pré-commercialisation des nanomatériaux qui se situe à mi-chemin de l’approche par liste positive. Cette disposition, ainsi que l’identification obligatoire des nanomatériaux dans la liste des ingrédients, permettra aux archéologues de l’avenir lointain de dater la création de la refonte dans les années 2007/2008 (c’est-à-dire la période où le monde était sous l’emprise d’une "nano-phobie" collective.)

Au total, la refonte a permis de polir et de faire briller la directive "Cosmétiques" et en a fait un règlement "Cosmétiques" lisible, facile à utiliser et cohérent (autant qu’un texte juridique puisse être simple et lisible). Ce qui me surprend le plus, c’est la modestie des changements de fond qui ont permis d’ancrer solidement une loi des années 1970 dans le XXIe siècle.

Conclusion

Donc voilà, c’était la liste de mes étapes clés préférées dans la réglementation "Cosmétiques" européenne. N’hésitez pas à être en désaccord : Quid de la directive de 1976 sur les méthodes analytiques ? Et l’étiquetage des parfums de 2003 ? Et la période après ouverture de 2003 ? Et la note de la Commission de 2013 sur l’application pratique des interdictions des tests sur animaux ? Et le jugement de la Cour européenne de justice de 2016 déclenché par cette interprétation de la Commission ? Et le rapport de la Commission de 2016 sur les revendications ? Je suis certain que la liste de vos étapes clés préférées sera différente de la mienne, en fonction de votre expérience personnelle et de votre rôle spécifique dans l’industrie.

De plus, nous ne devrions pas croire que le règlement "Cosmétiques" dans sa forme actuelle marque la fin de l’histoire. Il continuera à évoluer, que l’industrie le veuille ou non. L’actuelle Commission européenne (2015-2020) se concentre sur la mise en place et l’application de la législation actuelle, plutôt que sur le lancement de changements radicaux (un premier amendement est théoriquement possible sous la Commission actuelle, mais serait probablement limité à des questions très spécifiques). Il est donc maintenant temps de regarder en avant plutôt qu’en arrière et d’élaborer les étapes réglementaires que l’industrie aimerait voir à l’avenir.

N’hésitez pas à me contacter, je serai ravi d’entendre vos idées, suggestions ou commentaires sur les directions dans lesquelles la législation "Cosmétiques" européenne devrait se développer afin de continuer à soutenir une industrie cosmétique européenne durable et innovante.

Gerald Renner

Contribution réalisée par Gerald Renner.

Le Docteur Gerald Renner est né à Graz (Autriche) en 1967. Il a fait ses études scientifiques fondamentales en génie chimique à la Technische Universität Graz où il a obtenu son diplôme en 1993. Il s'est ensuite spécialisé en génie biochimique et a travaillé pour son doctorat à la Technische Universität Graz et l'École Polytechnique de Montréal. Il a terminé ses études doctorales sur la production bactérienne de plastiques biodégradables en 1996. Après des études complémentaires sur les techniques de culture cellulaire animale et l'immunologie à l'Université Libre de Bruxelles, il rejoint le département scientifique de Colipa (devenu Cosmetics Europe) à la fin de 1996. Depuis 2001, il est le Directeur des affaires réglementaires techniques de Cosmetics Europe. Ses principaux domaines de responsabilité sont :
• la gestion des activités de Cosmetics Europe dans la mise en œuvre de la nouvelle réglementation européenne sur les cosmétiques (ayant précédemment co-développé et coordonné l'apport technique de Cosmetics Europe au processus de codécision législative) -  les activités de mise en œuvre sont menées en étroite collaboration avec la Commission européenne et les États membres ;
• l'application du règlement sur les cosmétiques de l'UE et de ses adaptations techniques en mettant l'accent sur la défense des ingrédients et la frontière des produits cosmétiques à d'autres législations de l'UE (par exemple, REACH, Biocides, RAPEX) ;
• la responsabilité des activités d'alignement international de Cosmetics Europe (Chine, Russie, ICCR, ISO) et la mise en œuvre de la dimension internationale en tant que composante clé de toutes les activités de réglementation technique ;
• jusqu'en 2010, le management du programme de recherche de Cosmetics Europe sur les méthodes alternatives et la négociation d'un nouveau partenariat privé / public, programme de recherche avec la Commission européenne dans le cadre du 7e programme-cadre.

La traduction du document original du Docteur Renner a été faite grâce aux bons soins de la FEBEA. Depuis plus de 125 ans, la Fédération des Entreprises de la Beauté (FEBEA) est au service des professionnels du secteur cosmétique (parfum, soin, maquillage, produits d’hygiène ou de toilette, produits capillaires). Unique syndicat professionnel des entreprises fabricantes opérant en France, elle fédère plus de 300 adhérents (82 % de TPE-PME et 18 % d’ETI ou grands groupes) représentant plus de 95 % du chiffre d’affaire du secteur.

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