Les peptides constituent une classe d'ingrédients exceptionnelle qui a fortement contribuée à faire progresser les réponses de la cosmétique face à différentes questions. La Cosmétothèque® essaie de contribuer à leur reconnaissance en publiant depuis plusieurs mois des contributions sur ce thème. La partie relative aux biopeptides est probablement la plus fascinante…
Depuis le début, Karl Lintner nous aide à décoder ces différentes facettes. Il nous conduit aujourd’hui, avec la contribution de l’équipe Sederma, à la découverte d’un autre peptide tout aussi passionnant que les précédents. Merci à eux.
Jean Claude Le Joliff
Les peptides nous réservent souvent des surprises. En général, et c'est leur spécialité et avantage, les oligopeptides dont la section "Peptides" dans la Cosmétothèque® se propose de relater l'historique sur ces 25 dernières années, possèdent une activité spécifique qui est fortement liée à leur composition en acides aminés et, encore plus, à l'ordre d'enchaînement de ces acides aminés dans le peptide, dit "la séquence". Pour rappel, comme indiqué dans la contribution antérieure , deux peptides de composition en acides aminés identiques peuvent avoir des activités biologiques très différentes si l'ordre des acides aminés dans la chaîne n'est pas le même. Deux publications indépendantes (Lintner K, Peschard O: Biologically Active Peptides: from a lab bench curiosity to a functional skin care product. Int J Cosm Sci 2000; 22: 207-218 ; Leroux et al. Shaping Up. Soap Perfumery&Cosmetics 2000 (12)), en sont témoin : le peptide Palmitoyl-Gly-His-Lys stimule la synthèse de collagène dans les fibroblastes dermiques et contribue à la réduction des rides in vivo , alors que le peptide Palmitoyl-Gly-Lys-His aide dans la lutte contre cellulite et graisse en excès.
Par ailleurs, ces peptides sont plutôt connus pour posséder chacun une activité unique et ne pas être des "factotums" ("fait-tout" pour les non-latinistes) comme le rétinol par exemple. Néanmoins, des exceptions existent, et les raisons de ces comportements a priori surprenants ne sont pas toujours bien élucidées ou comprises.
En voici un exemple
Une publication des chercheurs de l'Université de Kyoto (Japon) décrivait la découverte du dipeptide Tyr-Arg possédant des activités antalgiques. Le mécanisme semblait être basé sur le fait que ce peptide, injecté dans le cerveau des rats, libérait un autre peptide de la famille des enképhalines dont on connaît maintenant la capacité à se lier au récepteur de la morphine. Ces enképhalines sont donc nos antalgiques endogènes (dérivés des bêta-endorphines bien connues comme étant les "molécules du bonheur"). Il fallait bien un déclencheur de la libération des endorphines suite à une douleur, il fut dénommé Kyotorphine par ces chercheurs.
À la lecture de cet article, les chercheurs de Sederma, intéressés par tout ce qui était de nature peptidique, se sont posé la question de transcrire cette découverte en un actif intéressant et innovant pour la cosmétique. Il n’était évidemment pas question de la moindre injection de ce peptide dans une quelconque partie du corps des consommatrices à peau sensible afin d’en voir les effets, cutanés ou autres.
Une recherche bibliographique poussée permit néanmoins de constater que les enképhalines avaient été identifiées au sein de l'épiderme, près des terminaisons nerveuses sensibles aux influences et agressions de l'environnement. En outre, la libération d’un plus grand peptide, nommé POMC (proopiomelanocortine) par les kératinocytes (par exemple sous l'influence des UV) avait été documentée. Or, les enképhalines sont un petit fragment des bêta-endorphines, elles-mêmes fragments du POMC. L’expert qui travaille dans ce domaine sait que la peau est un organe très complexe au même titre que le cerveau, auquel il est d'ailleurs connecté…
L’hypothèse a été : si le Tyr-Arg libère l'enképhaline dans le cerveau et si on trouve de l'enképhaline dans la peau (la première cible de toute agression douloureuse), serait-il envisageable que le Tyr-Arg ait une activité similaire, adoucissante, calmante, au niveau de la peau ? Il ne restait plus qu’à en faire la démonstration.
Connaissant la difficulté pour un petit peptide chargé, hydrophile, à pénétrer la couche cornée, l'utilisation telle quelle de la Kyotorphine paraissait peu prometteuse et constituait un vrai challenge. Sur la base des études précédemment publiées portant sur la pénétration cutanée des peptides versus des lipopeptides, il fut décidé de modifier le Tyr-Arg pour enlever les groupements chargés, y attacher une entité lipophile et rendre alors le peptide plus biodisponible dans la peau viable. Ainsi naquit le N-Acetyl-Tyr-Arg-O-hexadecylester, (NATAH). Ce dérivé de la Kyotorphine, allait-il encore garder son activité ? Toute modification d'une structure moléculaire étant susceptible de modifier, voire abolir les caractéristiques bioactives, il fallait le vérifier. Des études génomiques de NATAH ont confirmées que la libération des bêta-endorphines était stimulée par des petites quantités de NATAH en milieu de culture des kératinocytes humaines (NHK).
Après s'être assuré au préalable de l'innocuité de NATAH par des études adaptées et pertinentes, restait à démontrer la preuve du concept d'un calmant pour peau sensible par une étude clinique. Plusieurs études ont permis de conclure sur l’efficacité de ce peptide.
• Le laboratoire Dermscan proposa un protocole basé sur le Sensitherm* muni d’une sonde TTT modifiée pour la circonstance. Une augmentation graduelle de la température sur la peau (dans le dos des panelistes) induite par cette sonde, permet de déterminer les seuils des sensations "tiède", "chaud", "très chaud" et "douloureux" et de constituer la "ligne de base" sur les 21 panelistes, après application et absorption cutanée d'une crème contenant soit le NATAH, soit la même crème sans NATAH (le "blanc" ou
placebo
). Cette expérience a montré une augmentation significative des seuils de perceptions suite à l'application de la crème au NATAH. Ceci permit de documenter une moindre sensibilité de la peau à la chaleur.
*Le Sensitherm® est un appareil qui est équipé du sonde TTT (
transfert thermique transi
toire)
donnant régulièrement la température de la peau. Ce paramètre est corrélé avec l’état cutané et permet d’évaluer certains paramètres comme l’hydratation ou le niveau d’inflammation.
•
Une étude parallèle, utilisant comme agent cutané piquant à la capsaïcine ("stinging test"), compléta le premier résultat mais pour les agressions chimiques.
• Le troisième protocole, développé par le laboratoire Spincontrol avec le Prof. Aubert de l'Université de Tours, utilisant un "détecteur de mensonge" (polygraphe) modifié, est décrit dans une publication scientifique (Mas-Chamberlin C, Mondon P, Peschard O. et al: Quantifying skin relaxation and Well-Being.
Cosmetics & Toiletries Magazine
2004; 119: 10-14). Cette étude, également conduite contre
placebo
confirma l'effet calmant et anti-irritant de ce peptide NATAH.
Il sera finalement commercialisé sous le nom de Sensicalmine®, puis, après reformulation, de Calmosensine®. Nom INCI : Butylene glycol, Aqua (Water), Laureth-3, Hydroxyethylcellulose, Acetyl dipeptide-1 cetyl ester.
La surprise
Ce qui était inattendu, et nous renvoie à l'introduction de cette contribution, a été la découverte par les chercheurs de Sederma, grâce à un programme de criblage ("screening") portant sur les actifs raffermissants, que ce dipeptide NATAH stimulait également la synthèse de l'élastine sur fibroblastes humain (NHDF). Non seulement le peptide augmentait la quantité de tropoélastine produite, mais il aidait à la mise en forme et à l'arrangement correct des microfibrilles et des fibres élastiques nécessaires pour assurer une fonctionnalité réelle de l'élastine secrétée. L'image ci-contre montre l'effet du raffermissement de la peau à la suite de l’utilisation du peptide. L'ensemble de ces travaux a également fait l'objet d'une publication en deux parties (P Mondon, A Andre and K Lintner, Part I: The in vitro effects of a natural dipeptide on the biological cascade, Cosm & Toil 127(7) 510-515 (Jul 2012) ; Mondon, S Fache, E Doridot and K Lintner, Part II: The Clinical Effects of a Natural Dipeptide on the Biological Cascade, Cosm & Toil 127(9) 658-664 (Sept 2012)).
Conclusion
Comment et pourquoi ça marche ?
• Est-ce un effet indirect du NATAH, agissant sur les kératinocytes, et qui provoque une cascade d'effets jusqu'aux fibroblastes (protection supplémentaire contre les agressions douloureuses de l'extérieur) ?
• Ou un effet indépendant, découvert par hasard ("serendipity", comme disent les anglo-saxons) ?
Formulé dans un excipient adapté et différent de la Calmosensine®, le peptide NATAH dédié à l'activité raffermissante est commercialisé sous le nom IDEALIFT®.
Les peptides nous réservent certainement encore beaucoup de surprises. Il faut néanmoins s'assurer pour chaque nouveau candidat que celles-ci ne vont pas dans un sens contraire aux intérêts de la peau, des consommateurs et des toxicologues.
Dr. Karl Lintner - KAL'IDEES S.A.S.
Pour Sederma SAS - Dr. Philippe Mondon • Dr. Olivier Peschard • Olga Gracioso
Contribution réalisée par Karl Lintner
Karl est Ingénieur Chimiste de l'Université Technique de Vienne (Autriche) et possède un Doctorat en Biochimie (PhD) de la même Université. Après 10 ans de recherches sur les Peptides Biologiques au Centre d'Études Nucléaires de Saclay, il intègre Henkel KGaA à Düsseldorf (Allemagne). En 1990, il devient Directeur Technique chez Sederma (développement d'Ingrédients Cosmétiques Actifs), puis Directeur Général. Parmi les nombreuses réalisations de cette société, on retiendra plus spécifiquement l'introduction du concept Peptides aux applications cosmétiques ("MATRIXYL®"). Lauréat de plusieurs Prix d'Innovation pour le compte de la société Sederma, il est récipiendaire du In-Cosmetics Life Time Achievement Award 2013. Professeur associé à l'UVSQ, c'est un conférencier mondialement reconnu dans le monde de la cosmétique. |
À propos de Sederma
Sederma est une société spécialisée dans le développement d'ingrédients actifs et la création de concepts innovants pour l'industrie cosmétique. Son savoir-faire est basé sur la maîtrise des biotechnologies, de la chimie fine et de l'extraction végétale. Fondée en 1964, Sederma a intégré le groupe international Croda en 1997. La société possède une gamme unique d'actifs. Sederma propose également toute une série d'ingrédients issus de la culture cellulaire végétale (acquisition IRB par Croda). Équipée d'un laboratoire de tests moderne et de haute performance, Sederma conduit des études in vitro , ex vivo et in vivo extrêmement poussées afin de démontrer l'efficacité de ses produits. La production et le laboratoire de contrôle qualité sont également dotés d'un équipement sophistiqué. Sederma est engagé dans une démarche continue d'amélioration de la qualité de ses produits et de ses services. En mai 2014, Sederma a été reconnue Société Européenne productrice d'Ingrédients Actifs Cosmétiques de l'année par Frost & Sullivan et en avril 2015, le Matrixyl® de Sederma a reçu le Prix des 25 ans d'Innovation. |