Vous avez probablement tous et toutes suivi l’émergence de ce que l’on appelle la slow cosmétique. Si vous avez aimé, vous apprécierez maintenant cette nouvelle tendance qui s’intitule "Clean Beauty". Les deux s’inspirent fortement de ce qui se passe dans l’alimentaire et il serait présomptueux de ne pas s’y arrêter.
Pour mémoire, la slow cosmétique est présentée comme une démarche écologique et éthique fondée sur une volonté commune de promouvoir un mode de consommation naturel, sain et raisonnable de la cosmétique. Selon un de ceux qui se présentent comme fondateur de ce mouvement, " L’impact écologique et psychologique de la cosmétique actuelle est très lourd pour la planète, pour notre portefeuille et pour notre état d’esprit. Face à ce constat, certains se disent qu’une autre cosmétique est possible" .
Soyons sérieux, il est peu probable que la cosmétique traditionnelle mette en cause le sort du monde. Mais prenons le point. Si cette affirmation : " La cosmétique ne doit pas créer de nouveaux besoins pour la peau. Limiter le nombre de produits et de gestes nécessaires au maintien en bonne santé de la peau est fondamental pour éviter les pièges du marketing", n’est pas fausse, elle ne résume certainement pas ce que sont les cosmétiques traditionnels.
La slow cosmétique se revendique d’ailleurs d’une démarche autour d’une charte, avec un logo, ce qui en fait une sorte de clone de la cosmétique bio que certains présentent comme avant tout une démarche "marketing"
La clean beauty s’inspire, elle, du "clean eating". Ce mouvement milite en faveur d’une alimentation dépourvue de substances "toxiques" ou "synthétiques". La clean beauty reprend les mêmes thèmes. Dans la présentation de ce mouvement, on nous explique qu’il s’agit de " construire une démarche de beauté moderne accessible et non toxique. Les fondateurs croient que tout le monde peut être habilité à prendre le contrôle de ce qu’ils mettent sur leur peau" . Soyons de nouveau sérieux : comment imaginer que le consommateur puisse avoir tous les éléments d’une activité reposant sur un long savoir-faire et truffée de chausses trappes ? Et puis cette vieille opposition du naturel et du synthétique n’a plus de sens.
Dans un de ses derniers livres, Michel Serre raconte l'avènement d'un nouvel humain, né de l'essor des nouvelles technologies, "Petite Poucette", enfant d'Internet et du téléphone mobile. C’est un clin d'œil à l'usage intensif du pouce pour converser par texto. L'avènement de Petite Poucette a bousculé l'autorité et le rapport au savoir. Les autorités traditionnelles ont le sentiment d'avoir perdu leur crédibilité dès lors que Petite Poucette tient entre ses pouces un bout du monde. Et Michel Serres de poser son idée : Internet ferait naître une "présomption de compétence " . Cela se traduit par le simple fait qu’une personne qui enseigne, manage voire gouverne, doit être plus compétente que la personne à qui elle s’adresse. Autrefois, le médecin pouvait présumer que le patient qui consultait ignorait tout de la maladie dont il souffrait. Aujourd'hui, avant d'aller voir le médecin, on cherche sur Internet des informations concernant ses symptômes, pour tenter de poser soi-même un diagnostic. Le médecin a perdu l'autorité qu'il détenait par la présomption de compétence de son patient qui lui suggère ce qu’il faudrait faire. Est-ce bien vrai ? Il y a beaucoup de domaines où cet axiome ne se vérifie pas. Mais les marques, après avoir longtemps imposé leur façon de voir et de faire au travers de systèmes de classifications plus ou moins sophistiqués, de routines de beauté plus ou moins savantes et de myriades de produits plus ou moins complexes, se retrouvent dans la situation du médecin perdant sa compétence et ceux qui font leur produit eux-mêmes en présomption de compétence.
Si nous transposons ces idées à notre domaine de compétence (aussi maigre soit-elle dans mon cas), la question ne serait pas de savoir si telle ou telle approche est plus performante qu’une autre. Opposer slow, bio, clean et autres micro-positionnements en cosmétique n’a pas d’autre sens que de créer une concurrence artificielle. Le véritable enjeu est maintenant de faire progresser globalement et ensemble ce domaine d’activité pour faire face aux nouveaux défis. Je suis de ceux qui pensent qu’en faisant la synthèse de la créativité du consommateur et du savoir-faire des marques et des labos, il y a une forte probabilité de faire émerger des concepts nouveaux plutôt que d’opposer artisanat et industrialisation. Dans ma pauvre tête malade, c’est ce que j’appelle la cosmétique "pour vous" plutôt que "par vous" (voir le billet à ce sujet ). Peu de gens sont sur ce créneau actuellement, sauf quelques marques émergentes qui proposent des processus de co-création qui s’en rapprochent.
Suivons-les et encourageons-les.
Jean Claude Le Joliff