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Cosmetic Days - Protection solaire
mercredi 14 mars 2018Tendances

Le vernis Mamamouchi !

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Je m’entretenais récemment avec l’un de ceux avec qui nous avons usé une partie de notre temps à travailler sur les vernis à ongles sur le sujet des "nouveaux vernis", dont on cause beaucoup. Ce spécialiste, Éric Wimmer, qui a passé une grande partie de sa vie dans ce domaine, avait déjà gratifié la Cosmétothèque d’une belle fable sur l’histoire du vernis. Notre discussion lui a inspiré un billet d'humeur, que je partage avec vous et avec délectation car j’en partage tous les mots ! Merci Éric et bonne lecture à tous. Jean-Claude Le Joliff.

Temps de lecture
~ 9 minutes

Lower Manhattan, un jeudi soir…

Il est 18h20. Les lumières de la ville brillent depuis un moment. La nuit tombe tôt en décembre, à New York. Chez Joe’s, il y a quelques habitués devant une bière qui échangent les mêmes sempiternels arguments autour du dernier tweet présidentiel. Et Steve, accoudé au comptoir, comme tous les soirs.
- What’s going on, man ?

Bronco, le barrista, le connaît bien, Steve, depuis toutes ces années (Bronco était déjà le barman de cette nouvelle ).
- Tu t’es mis sur ton trente-et-un ce soir. Rendez-vous galant ?
- Oh non, man, non, c’est plus pour moi tout ça, depuis que ma Martha est partie.
- Yep. Great lady, Martha. Elle nous manque à tous. Alors ? Pourquoi le costume ?
- Ben, j’étais chez moi, ce matin, tranquille à faire mes mots croisés, et voilà le téléphone qui sonne !
- Quelle aventure ! Ta vie est totalement échevelée !
- Ne te moque pas. Il me l’avait dit, Saul : "Travaille le plus longtemps possible". Je ne l’ai pas écouté, mais j’aurais dû.
- Mais oui, c’est vrai, tu as travaillé longtemps avec lui ?
- Les 12 dernières années de sa carrière, avant que les tours du 9/11 ne l’emportent.
- Great guy !
- Yep. Et il m’a appris tout le métier. J’aurais dû continuer. Ça me manque le labo, les odeurs, les couleurs, les collègues.

Bronco se penche sur le verre de Steve et lui sert la dose de Rye qu’il réserve à ses clients préférés.
- Et alors, le téléphone, on attend la suite de ce côté du bar ?
- Ah oui. Merci pour le verre. Ben, c’est un jeune gars qui m’a appelé. René, il a dit. À son accent, un français, je crois.
- Qu’est-ce qu’il veut le Frenchie ?
- Il me dit comme ça : Steve d’Avato ? Mon nom est René, je travaille pour un grand groupe de cosmétique. J’ai eu votre adresse par votre ancien employeur.
- Ne me dit pas qu’il t’a proposé un poste ?
- Oh non ! Il était tout embêté, il me semble, sa voix était sombre : "Écoutez, voilà, qu’il me dit, mes patrons me mettent une pression d’enfer. Ils disent que le segment dont je m’occupe n’est plus assez innovant, que nous perdons des ventes, qu’il faut arriver à revamper la ligne"… Okay, je lui dis. À entendre le nom de votre groupe, vous ne manquez pas de ressources, non ? Il fait quoi votre labo ?
- Bien répondu, Steve. Il a dit quoi ?
- Il a dit que cela faisait des années que plus personne ne travaillait sur les vernis, chez eux. Il a dit qu’ils se reposaient complètement sur les fournisseurs, par économie. Il a dit qu’aucun des fournisseurs n’a réussi à l’aider.

Bronco soulève sa grande carcasse, étend ses gros bras, l’index pointés vers Steve :
- Et ils ont besoin de toi !
- Voilà, Sherlock, tu as compris. Il voudrait parler avec moi et voir un peu si je ne pourrais pas lui amener des idées novatrices, comme il dit.
- Tu as refusé ?
- Non, ça me sort de ma routine, tu sais. Je lui ai dit de venir me voir ici. Il a dit Okay et il ne devrait pas tarder.
- Et combien il paye ? Ces groupes, ils ont des poches profondes. Profites-en !
- Ah, je te reconnais bien là, old pal, la bosse du commerce ! Eh bien non, on n’a pas parlé de gros sous, on verra bien plus tard.
-
Are you kidding me? Tu devrais…

Et la porte du bar s’ouvre.
Un jeune gars en imper entre. Il est grand, mince, les cheveux bruns ondulés et arbore une barbe de trois jours soigneusement entretenue avec la dernière tondeuse aspiratrice de chez Philips, les mêmes qui avaient inventé le " Moon shaver " grâce auquel Neil Armstrong s’est posé sur la lune rasé de près. Un costume bleu nuit sur une chemise blanche près du corps et des derby noires à bout très effilées complètent sa mise.

Bronco désigne du menton la table libre derrière Steve, qui se lève et se dirige vers le jeune gentleman.
- René ? Je suis Steve. Voulez-vous vous assoir ici ?
- Bonsoir Steve. Merci de prendre le temps de parler avec moi.
- Que buvez-vous ?
- Un verre de Bourgogne rouge serait bien.
- Bronco ? Tu as ça, s’il te plait ?

Les yeux ronds de Bronco vont de Steve à René, puis de René à Steve, avant que Bronco ne se lève et, ostensiblement, ouvre la porte du frigo qui contient une collection de bières locales.
- Et que diriez-vous d’une bonne Sam Adams, plutôt ?
- Une Yuengling, alors ?
- Atta boy ! Bronco, une Yuengling pour notre ami René, please.

Il a une façon de parler avec son corps, Bronco, qui vaut tous les Esperanto du monde. Le voilà qui se déplie de derrière son bar, bien lentement, qui prend la bouteille de la bière commandée, qui la décapsule d’un mouvement ample et précis et qui retourne un verre sur le goulot. Son pas majestueux amène ses 400 pounds d’ancien boxeur vers la table de Steve où il dépose bouteille et verre et, majestueusement, il retourne dans son royaume.

C’est Steve qui reprend le dialogue :
- So, what’s up ?
- Comme je vous l’ai dit brièvement au téléphone, je suis à la recherche de toute idée qui me permettrait de rénover notre image dans les vernis.
- Oui, j’ai un peu réfléchi et il y a deux voies qui s’ouvrent peut-être.
- Ah….
- Oui, hum, d’abord le packaging, ou plutôt le véhicule qui sert à poser les vernis.
- Oh, je vois. On a tout essayé, Steve, tout. Des formes de flacons différentes, des pinceaux ronds, plats, fournis, fins, ronds, creux, taillés en V. Des stylos avec embout en feutre, ou avec des pinceaux, ou même avec des pompes pour doser le vernis. On a même essayé de commercialiser un spray, c’est vous dire !
- Des stylos à ongles, vraiment ? On avait déjà essayé pas mal de choses dans les années 80. Belle réception par les clients, grosse attente, et grosse déception, hélas !
- Oui, eh bien grosso modo, pareil avec ce spray.
- Je dois dire que l’idée du spray est excellente. Mais comment faites-vous pour contrôler le jet et ne colorer que les ongles ?
- Ben, on fait pas, on n’a pas trouvé de moyen satisfaisant. Il fallait passer les doigts sous l’eau pour enlever l’excès sur la peau, et ça ne marche pas très bien. Alors on retourne au bon vieux couple flacon-pinceau….
- Je vois. Alors, si l’option pack a déjà été épuisée, il reste peut-être la formulation ?
- Voilà, exactement. Toute notre gamme de cosmétique s’oriente vers le naturel, le bio. Vous pensez qu’on peut faire quelque chose de similaire avec les vernis ?

Si René pouvait lire dans les yeux de Steve, il y verrait une grande lassitude, mêlée d’un peu d’amusement mais malgré tout le désir d’aider. Combien de fois a-t-il vu ces jeunes gens bien mis, des idées plein la tête, venir au labo, parfois humbles, parfois agressifs, toujours exigeants du nouveau : produit, packagings, idées….

René lui semble du genre au bout du rouleau. Il veut bien jouer le jeu.
- Formulation, hein ? Quelle serait l’orientation à prendre ?
- Vert, bio, naturel, préserver la nature, low VOC, tout ça…
- Vous réalisez bien, René, que nous parlons de vernis à ongles, ici. De vernis aux solvants…
- Oui, ou vernis aqueux ?
- Nous avons tant travaillé sur les vernis aqueux. Êtes-vous prêt à faire des compromis : moins de tenue, couleur dans le flacon différente de la couleur sur l’ongle, mauvaise résistance à l’eau, de la chimie, des polymères et des glycols partout mis à part l’eau, etc. Ça a trouvé sa place chez les enfants, mais est-ce bien utile ?
- Certainement pas ! Non, non !
- Bien, alors, il nous reste à regarder les formules solvants. Vous savez que les solvants utilisés, les fameux esters, acétate de butyle et d’éthyle viennent ou peuvent venir d’ingrédients naturels ? C’est fait à partir d’acide acétique, quelque chose que l’on peut obtenir à partir du vinaigre.
- Ah oui ? Vraiment ?
- Oui, et la nitrocellulose est aussi d’origine naturelle, elle est faite à partir de coton. Le coton peut même être bio ! De même pour les agents rhéologiques, qui sont des argiles naturelles, et modifiées. Ajoutons à ça des plastifiants à base de citron (citrate) ou de maïs (isosorbide), un peu de camphre (de l’écorce d’arbre) et voilà !
- ???????
- Nous avons ici décrit près de 85 à 90 % de la formule ! Il vous suffit de choisir une résine d’origine naturelle, comme le shellac, ou encore un peu d’huile de lin comme dans les peintures des artistes, et votre vernis est complètement d’origine naturelle ! Pour finir, on va revendiquer de ne pas utiliser des ingrédients particuliers, même si nous ne les avons jamais utilisés. On doit bien pouvoir en trouver une douzaine !
- C’est vrai, mais c’est merveilleux, alors ! Je retourne tout de suite au labo du fournisseur et leur expliquer l’idée novatrice que je viens d’avoir !
Et Steve d'ajouter :
- N’ayez pas la bonne idée de les faire faire par les utilisatrices vos vernis ! Saul, mon maître, et moi avons passé toute notre vie à essayer avec beaucoup de difficultés, ce serait bien le diable si elles y arrivaient !

Et René, laissant sur la table la bouteille de bière entamée (et la note) sort du bar sans même dire "goodbye" !

- On dirait qu’il a trouvé ce qu’il cherchait ?
- Yep, Bronco, et pour moi une formulation pas trop dure à imaginer !
- Ah bon, génie, tu ne te vantes pas un peu, là ?
- Non, non, c’est un vernis que nous faisons depuis des dizaines d’années. Le tout est de croire et faire croire que c’est nouveau. Peut-être appelleront-ils la ligne "Le Vernis Mamamouchi" ?

Éric Wimmer

À propos d'Éric Wimmer

Depuis 1980, Éric est au service de l’industrie, d’abord chimique, puis cosmétique.
Doctorat en Chimie 1979, Doctorat ès Sciences Physiques 1985, il a commencé sa carrière à Sorgues (Vaucluse) comme chimiste de synthèse. Là, les dérivés nitrés l’ont conduit à s’intéresser à la Nitrocellulose, puis à la formulation des vernis à ongles.
Il a par la suite évolué dans l’industrie cosmétique en France, aux USA et en Europe, aussi bien dans des entreprises de sous-traitance (Durlin, Tevco, IL Cosmetics) qu’au sein de marques (Parfums Christian Dior) à plusieurs niveaux de postes, des Opérations à la Direction de groupes multinationaux, en passant par la mise en place et la gestion de Laboratoires, activités qu’il continue d’exercer aujourd’hui.

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