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mercredi 21 décembre 2016Tendances

Pollué par… la pollution ?

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Doit-on être sceptique face à la vague spectaculaire qui nous envahit autour du thème de la pollution ou plus exactement de l’antipollution ? J’avoue pour ma part commencer à être pas mal agacé par l’omniprésence de ce concept. Je pense que je ne vais pas me faire que des amis en abordant cette question, mais force est de constater que c'est devenu pratiquement un mode de pensée unique puisque, quoi que l'on fasse, et où que nous regardions, la pollution et surtout l'antipollution constituent le thème dominant.

Temps de lecture
~ 7 minutes

Toute l'année a été jalonnée d'événements, de symposiums, de webinars, de congrès et de publication diverses et variées ne parlant que de cela. La fréquentation des sites traitant de ces questions a fait un véritable succès comme l’atteste ce graphique :


Je ne discute pas l'importance de cette question, je discute simplement l'importance qu'on lui donne. J’avais déjà abordé cette question lors d’un précédent billet . En effet, on a l'impression que c'est un phénomène absolument dominant vis-à-vis duquel il serait d’une urgence extrême de prendre les dispositions.

Est-ce un phénomène si nouveau que ça ? Rappelons-nous de ces temps là :


La pollution était bien différente, mais pas moins importante et même assez probablement plus intense. Au XIXe siècle, les nouvelles formes de pollution se sont développées de façon massive et récurrente dans les villes de la Révolution industrielle, notamment à cause de l'utilisation croissante du charbon et des usines. Les marques de produits cosmétiques en faisaient déjà état. C'est ainsi qu'en en 1917, Pond's utilisait comme slogan pour son cold cream : 'C leanse your skin of all the dirt which lodges in the pores through the day, and which, more than anything else, injures the skin' . On recommandait dans le même temps d'utiliser la crème de la nuit pour parfaire cette action : ' Its gentle oils will sink deep into the pores especially during sleep and cleanse the skin thoroughly (Pond's advertisement, 1927)' . Dans les années 90, quelques marques comme Clarins proposaient déjà une protection anti pollution, sans pour autant que la proposition ne rencontre un très grand succès. De 1992 à 2015, la pollution urbaine s'est constamment réduite à Paris, à l'exception de la pollution à l'ozone :
• Dioxyde d'azote : passé de 54 à 30 µg/m³
• Oxydes d'azote NOx : passés de 105 à 47 µg d'équivalent NO₂/m³
• Monoxyde d'azote NO : passé de 36 à 11 µg/m³
• Fumées noires : passées de 34 à 10 µg/m³
• Particules PM10 : passées de 21 à 11 µg/m³
• Particules PM2.5 : passées de 22 à 13 µg/m³, baisse sensible surtout à partir de 2010
• Benzène : passé de 5,6 à 1 µg/m³
• Monoxyde de carbone (CO) : passé de 500 à 300 µg/m³
• Dioxyde de souffre (SO₂) : passé de 27 à 6 µg/m³, puis sous la limite de détection depuis 2007


Si, depuis les années 1990-2000, les niveaux de divers polluants primaires ont fortement régressé dans l’air ambiant, les niveaux de certains composés sont encore supérieurs à ceux qui s’imposent en vertu des recommandations sanitaires. Ceci concerne notamment l’ozone, les particules fines, les oxydes d’azote. Par ailleurs, bien que la qualité de l’air des agglomérations soit globalement meilleure qu’il y a 10 ou 20 ans, l’urbanisation et la croissance du trafic automobile, ainsi que certaines activités industrielles, provoquent encore localement ou épisodiquement des situations de forte exposition aux polluants de l’air. Est-ce suffisant pour expliquer cet engouement soudain pour cette question ? La réponse est à rechercher assez probablement à plusieurs niveaux.

Au premier rang, l’Asie. Sur cette photo on voit très bien les conséquences environnementales de ce phénomène :

Il fallait bien se douter que ça concernerait de plus en plus les gens au fur et à mesure de son avancement. De plus, ce phénomène concerne principalement les pays asiatiques pour le moment. Sur cette carte on peut suivre en direct les taux de pollution de l’air dans le monde.

Ces niveaux de pollution justifient-ils que l’ensemble de l’industrie cosmétique se précipite sur cette question presque comme un seul homme ? Pas sûr. D’autant que toutes les marques n’ont pas vocation à être "chinois compatible" ! Il y a donc d’autres raisons.

Dans le même temps, les moyens de tests progressaient significativement. Alors qu'il n'avait pratiquement jamais été possible de démontrer objectivement les conséquences de la pollution sur la qualité de peau, de nouveaux tests et surtout de nouvelles cibles biologiques ont permis de s'intéresser de nouveau à cette question. C'est ainsi, alors que nous n'en n'avions jamais entendu parler, qu'il a fallu se familiariser avec le ligand ArH, nr2f, diverses cytokines, mRNA et quelques autres de leurs cousins et cousines médiateurs ou acteurs de l’inflammation. On retrouve là le fameux "effet test" qui revient régulièrement. Ce sera bientôt le cas avec les effets botox-like étudiés avec les nouvelles puces microfluidiques qui répliquent la jonction neuromusculaire.

Enfin la dernière cause est peut-être à rechercher dans un processus au moins aussi délétère que la pollution : la commoditisation ou ce processus qui fait que soudain, tout le monde fait la même chose en même temps. C'est d’avantage sur ce dernier point que je voudrais me focaliser. En effet, et bien que ce soit un processus commun dans le monde de l'innovation (on appelle ça l'innovation en breloque), il me semble que dans le cas qui nous intéresse, ce processus est assez pernicieux. En effet, la question est de savoir qui précède qui : le savoir et la science ou le marché ? Ça ne me dérangerait pas que ce soit le marché. Mais selon moi, ce qui est dérangeant, ce serait de croire que c'est la science qui précède le marché alors qu'en réalité, il s'agit presque essentiellement de faire du marketing de la demande. Je ne suis pas sûr que l'industrie y trouvera son compte, d'autant que ce sera, comme toujours, à celui qui le fait au moindre coût. Et dans tous les cas, ça lisse considérablement les choses, et surtout ça amenuise fortement la capacité à innover sur d’autres champs.

Par ailleurs un autre phénomène complique sérieusement cette question, qui est : "quelle réponse y apporte-t-on" ?

Face à ces questions, les fournisseurs d'ingrédients cosmétiques et, par extension, les marques, proposent actuellement essentiellement deux types de solutions :
• Les "boucliers" qui protègent physiquement la peau et évitant ses contacts avec la pollution environnante ,
• La lutte contre les effets de la pollution , à l'aide de substances antioxydantes, anti-radicaux libres et/ou anti-inflammatoires .

La confusion est, entre autres, entretenue par le fait que si certains fabricants proposent des solutions basées sur de nouvelles démonstrations, d'autres propositions consistent à remettre au goût du jour des spécialités déjà existantes. D’autant qu’au bout du compte, tout fini généralement par un test antirides, comme beaucoup d’autres choses ayant des modes d’action bien différents !!! On trouve même des ingrédients de type commodité chaleureusement recommandés dans ce sens.

Au bout du compte, un discours confus, dans lequel même les leaders d'opinion ont du mal à trouver le juste ton. Faudrait-il une classification en fonction des modes d’action ? Toujours compliqué de mettre les choses dans des cases. Développer une approche plus globale sous l’intitulé "biorémédiation" ?
Alors, en conclusion, je reprendrai tout simplement celle du précédent billet traitant de cette question : " Alors oui, intéressons-nous à la pollution, mais n'en faisons pas un mode de la pensée unique et le centre de toute préoccupation. Le risque de commoditisation est la conséquence de ce type d'approche généralisée. N'oublions pas non plus certains concepts récents qui proposent des applications particulièrement attractives, comme les microARN ou les exosomes, parmi les nouveaux thèmes de recherche".

Ne prenez pas ces remarques comme des critiques systématiques, mais plutôt comme des éléments de discussion et peut-être de facteurs de progrès. L’affrontement des marques sur ces créneaux réduits ne se fera au bénéfice de personne.

En cette période de fin d'année, il ne me reste plus qu'à vous remercier de votre attention, vous souhaiter de bonnes fêtes et formuler des vœux pour que l'année qui commence soit ponctuée de succès et de satisfaction.

Jean Claude Le Joliff

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