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mardi 29 novembre 2016Ingrédients

Les céramides

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Les néophytes ou les correcteurs automatiques d'orthographe font souvent la confusion entre céramiques et céramides. Bien que l'orthographe soit assez proche, leurs fonctions et leurs caractéristiques sont bien différentes. Ce terme de céramides est apparu dans le langage cosmétique à la fin des années 80. Yves Le Guen et Karl Lintner racontent la recherche ayant préludé à la mise au point des premiers céramides synthétiques, appelés également pseudo-céramides.

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Le terme de céramides est apparu dans le langage cosmétique compte tenu que certains travaux sur la différenciation épidermique ont mis à jour l'existence de structures dont on ignorait à peu près tout, mais qui se sont avérées importantes dans la physiologie et dans l’homéostasie cutanée. Ces substances étaient déjà connues des biologistes et des neurobiologistes car on les retrouve très souvent dans le tissu nerveux. En effet, elles entrent souvent dans la composition des sphingomyélines. Mais dans le monde courant de la cosmétique et/ou de la dermatologie, ces substances n'avaient pas encore revêtu le caractère qu'elles ont acquis progressivement. De nombreux travaux se sont portés sur la caractérisation de ce processus, mais ce sont principalement Wertz et Downing(1), puis Peter Elias(2) qui vont contribuer à les caractériser et décrire précisément leur rôle. Nous sommes au début des années 80.

Un céramide est un sphingolipide résultant de la combinaison d'un acide gras avec la sphingosine via une liaison amide.
Ces céramides sont des composants essentiels de la couche la plus externe de l’épiderme, la couche cornée, dont l’intégrité aide à conserver l’hydratation de la peau en agissant comme une barrière. Ils représentent près de 40 % des lipides (graisses) de cette couche (avec le cholestérol et les acides gras) et sont comme le ciment d’un mur de briques : ils relient entre elles les cellules mortes, freinant la perte d’eau du corps et la pénétration de substances nocives de l’extérieur, tout en donnant souplesse et cohésion à l’ensemble. Dans le stratum corneum humain,  9 à 11 classes de céramides ont été identifiées. Les acylcéramides (CER 1, CER 4 et CER 9) ont une structure moléculaire remarquable ; en effet, un acide linoléique est lié à un ω-hydroxy-acide par une fonction ester avec une longueur de chaîne de 30 à 32 carbones. Très vite, on va associer céramides à hydratation et on considèrera que la diminution en céramides entraîne sécheresse, démangeaisons, desquamation et fendillement de la peau.

Dès lors, ce groupe de substances va connaître une forte actualité et l’industrie cosmétique va dans son ensemble utiliser ce concept dans le cadre de développements de nouveaux produits hydratants notamment. Une première période consistera à rechercher des sources biologiques riches en sphingolipides. C’est ainsi que quelques spécialités à base d’extraits médullaires verront le jour et seront à la disposition des marques. Mais cette période ne durera que peu de temps car les soucis associés à la maladie de la vache folle vont jeter la suspicion sur ces extraits. À partir de ce moment-là, les recherches vont s’orienter dans deux directions :
• la recherche de céramides de synthèse,
• la recherche de sources de céramides végétales.

Dans cette contribution, Yves Le Guen et Karl Lintner racontent la recherche ayant préludé à la mise au point des premiers céramides synthétiques, appelés également pseudo-céramides. Merci à eux.

Jean Claude Le Joliff

La synthèse des céramides

En 1983, Wertz et Downing publient un article intitulé : "Ceramides of pig epidermis: structure determination" qui sera suivi de nombreuses autres publications sur le thème des céramides dans la peau. C'est une analyse très poussée des lipides qui constituent le "ciment" entre les cornéocytes ("les briques") selon le très populaire modèle de la structure de la couche cornée (le stratum corneum) de la peau (Brick & Mortar model selon P. Elias(2).

Les auteurs décrivent la structure fine des sept familles de céramides ainsi que leur interprétation de leurs fonctions dans les bicouches lamellaires selon le modèle ci-dessous.

Aujourd'hui, nous connaissons 11 familles de céramides et bien plus est compris de leur rôle structurel et parfois biologique. Certes, la recherche pharmaceutique s'intéresse à ces substances dans le but de mieux comprendre et mieux traiter, si possible, les symptômes et/ou les causes de la dermatite atopique (AD) ou du psoriasis.

Le problème rencontré très rapidement est la question : comment obtenir les céramides constitutifs de la peau ?
La structure (schématisée ci-contre) ne semble pas si complexe.

Cette structure n'est qu'un modèle représentatif des 11 familles : elle est caractérisée par une liaison amide entre une chaine grasse aminée et hydroxylée (la sphingosine) et une chaine grasse d'un acide gras. Quatre détails principaux peuvent varier dans cette molécule : la présence (dans la sphingosine) ou absence (dans la sphinganine) de la double liaison indiquée ; les sites et nombre des groupes hydroxyles, ainsi que les longueurs des deux chaines grasses qui peuvent parfois atteindre des valeurs C  30 voire plus. Parfois, un groupe hydroxyle en position oméga de l'acide est également rencontré, surtout sur des chaines très longues.

Comment peut-on obtenir ces substances pour une éventuelle utilisation en médecine ?
Les seules synthèses décrites s'avèrent plus difficiles que prévu : douze étapes dont certaines sous azote et à -70°C avec des rendements très faibles… Même si "la santé n'a pas de prix", les progrès sont lents.

Les sources naturelles ne sont pas légion. En fait, les céramides sont obtenus dans notre organisme par deux voies :
• soit la N-acylation d'une sphingosine qui elle est synthétisée par la sérine et le palmitoyl-CoA via une enzyme spécifique ;
• soit par hydrolyse de la sphingomyéline, un dérivé phosphorylé des céramides que l'on trouve en quantité importante dans le cerveau et dans tout le tissu nerveux (gaines de myéline) ; ou par hydrolyse des glycosphingolipides (céramides glycosylés=glycocérébrosides).

Toute la profession s'intéressait à ces "céramides" et "cérébrosides" pour le concept "réparer/renforcer la barrière cutanée". Les études pour montrer un bénéfice de l'utilisation d'un céramide ou des sphingolipides dans un produit cosmétique (crème de soin) ont effectivement réussi à montrer que l'on pouvait diminuer la PIE (perte insensible en eau, TEWL en anglais), et ainsi mieux hydrater la couche cornée. Avec le temps nécessaire pour préparer les lancements des gammes, la publication de Wertz et Downing a vu son impact sur les formulations des années 1988-89… Les chercheurs de l'industrie cosmétique furent vite à comprendre l'intérêt de ces substances pour les inclure dans des crèmes hydratantes, adoucissantes, réparatrices de la barrière. Pour ces applications, point besoin de la substance isolée, purifiée et caractérisée analytiquement à 99 %. Ces sphingolipides et glycocérébrosides, dérivés glycosylés des céramides cutanés, pouvaient avantageusement s'utiliser pour ces mêmes applications. Et plutôt que de les synthétiser, on pouvait les extraire des lipides entourant les neurones du cerveau et de la moelle épinière du bœuf, et les purifier à un degré acceptable. Ce qui fut fait par un certain nombre de fournisseurs (d'abord au Japon, puis dans d'autres pays) et proposé à l'industrie cosmétique. La recherche se concentra donc dans un premier temps sur la préparation de sphingolipides et cérébrosides à partir des sources animales (cerveau de bœuf en particulier) dont on espéra pouvoir faire des céramides neutres. Bien que cette voie ne fût pas simple (rendements faibles, composition variable selon les procédés d'extraction et de purification), elle restait compétitive par rapport à la synthèse pure. Les applications pharmaceutiques dermatologiques se faisaient donc attendre.

Jusqu'au jour où surgit le problème de la "vache folle", de la BSE (bovine spongiforme encephalitis) ! En très peu de temps, l'utilisation de ces préparations extraites des cerveaux bovins (et autres sources similaires) était interdite par les autorités et/ou autocensurée par les responsables des marques qui craignaient de voir un titre à la Une des journaux : "La crème X contient de la vache folle"…

Comment remplacer ces belles molécules tant utiles ? Les plantes diverses ne contiennent que des infimes quantités de céramides ou cérébrosides, leur extraction est difficile, les produits ainsi obtenus étaient très (trop) chers, même pour l'utilisation à faible dose. Certes, des préparations contenant des glycolipides, dont un très faible pourcentage de vrais céramides (Un céramide doit contenir une liaison amide NH-CO pour mériter ce nom ; cette liaison se détecte facilement avec un simple spectrogramme Infrarouge vers 1640 cm⁻¹, mais est rarement observable dans les "céramides végétales"…), ont été proposées, et parfois utilisées ; mais le cœur n'y était pas.

L'idée, souvent employée dans la recherche de principes actifs pharmaceutiques, c'est-à-dire de trouver des substances similaires en structure, des analogues, potentiellement aussi actives mais plus faciles d'approche synthétique, naissait à ce moment-là (1990-91). Une collaboration de la société Sederma avec les chimistes de la société Panchim sur un programme de recherche ANVAR et Grand Projet Innovant (du Ministère de la Recherche), étalé sur trois ans, fut mise en place. L'embauche d'un chimiste compétant a permis à Panchim de synthétiser un bon nombre d'analogues de ces structures complexes, où deux chaines grasses plus ou moins hydroxylées sont attachées entre elles par une liaison amide. Les collègues de Sederma dans cette coopération formulaient les crèmes pour en tester les activités potentielles au niveau de la barrière cutanée et de l'hydratation. En même temps, les chimistes tentaient néanmoins de simplifier la synthèse des céramides identiques à ceux trouvés dans la peau (ceci fera l'objet d'une contribution ultérieure de la Cosmétothèque).

Le résultat, après environ un an, fut la structure suivante, commercialement appelée CERAMIDE HO3 (le nom "HO3" venait du fait que la partie acyle portait trois groupes hydroxyles OH…). Cette molécule avait la forme et certaines caractéristiques des "vrais" céramides, obtenue sous forme de poudre blanche, de pureté > 95 % et totalement exempte de la mauvaise presse de "vache folle", puisque nulle part n'intervenait de matière bovine. Les composants de base utilisés pour faire cet analogue étaient néanmoins d'origine naturelle (acide aleurétique, alcool myristique).

Une étude clinique montrait que cet ingrédient, au nom CTFA (INCI) imprononçable de "Trihydroxypalmitamidohydroxypropyl myristyl ether", pouvait combler l'espace intercellulaire entre les cornéocytes préalablement délipidés par un traitement agressif, et permettait de revendiquer l'effet "réparateur de la barrière cutanée". D'autres études touchant à l'hydratation et à la PIE, à la fermeté et la cohésion cellulaire, suivaient rapidement.

Il n'est pas surprenant que l'introduction de cette substance fût accueillie avec grand intérêt par tous les formulateurs qui cherchaient à garder le discours "céramide" et "barrière" tout en éliminant les sphingolipides de bœuf…

Le céramide HO3 n'est pas un "vrai" céramide identique à une des 11 structures actuellement connues, certes. Mais il a permis de montrer qu'avec un grand effort en créativité dans le domaine de la synthèse chimique, il était possible de se substituer rapidement à un problème inattendu surgissant du domaine naturel, de manière sûre, efficace et crédible. Ce succès a ensuite conduit à la poursuite des recherches en synthèse chimique (un "vrai" céramide a pu être proposé par les mêmes acteurs ainsi que par d'autres fournisseurs quelques années plus tard), ainsi qu'à l'émergence d'autres ingrédients, soit également à la proposition d'analogues des céramides, soit à la production de céramides naturo-identiques par biotechnologie (cf. prochaine contribution sur ce thème).

Notes
(1) J Lipid Res. 1983 Jun;24(6):759-65. Ceramides of pig epidermis: structure determination.- Wertz PW, Downing DT.
(2) Elias, Peter M. Epidermal Lipids, Barrier Function, and Desquamation.- Journal of Investigative Dermatology . Jun83 Supplement,. 80, p44s-49s.

Contribution réalisée par les Dr. Yves Le Guen et Karl Lintner.
Yves Le Guen est diplômé de l'école de Chimie de Paris. De 1963 à 1972, il est chargé de recherches au sein des laboratoires pharmaceutiques Innothera Chantereau à Arcueil, et obtient le Doctorat ès Sciences à l'Université de Paris. De 1972 à 1988, il assume les fonctions de Directeur des recherches et développements chez PCAS à Longjumeau. En 1988, il crée, avec un ami, la société Panchim à Lisse. Ce laboratoire se spécialise dans la chimie du domaine pharmaceutique et cosmétique, d'abord à l'échelle de la paillasse, puis dans la production à l'échelle industrielle. À la suite de la vente du groupe Panchim/Pharmasynthèse en 2006 au japonais Inabata, Yves Le Guen continue en tant que consultant à s'intéresser aux actifs cosmétiques et introduit sur le marché trois produits innovants antirides, blanchissant et anti-rougeurs.
Karl Lintner (qui coordonne les contributions à la Cosmétothèque® sur les peptides) est Ingénieur Chimiste de l'Université Technique de Vienne (Autriche) et possède un Doctorat en Biochimie (PhD) de la même Université. Après 10 ans de recherches sur les Peptides Biologiques au Centre d'Études Nucléaires de Saclay, il intègre Henkel KGaA à Düsseldorf (Allemagne). En 1990, il devient Directeur Technique chez Sederma (développement d'Ingrédients Cosmétiques Actifs), puis Directeur Général. Parmi les nombreuses réalisations de cette société, on retiendra plus spécifiquement l'introduction du concept Peptides aux applications cosmétiques ("MATRIXYL®"). Lauréat de plusieurs Prix d'Innovation pour le compte de la société Sederma, il est récipiendaire du In-Cosmetics Life Time Achievement Award 2013. Professeur associé à l'UVSQ, c'est un conférencier mondialement reconnu dans le monde de la cosmétique. Il a a fourni les détails sur le rôle que Sederma a joué dans l'aventure du CERAMIDE HO3.
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