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mardi 17 avril 2018Ingrédients

Les ingrédients et la lumière

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La maîtrise de la lumière en cosmétique a commencé par les effets des pigments et des charges utilisées pour modifier la perception de couleur ou de l’aspect de la peau. Nous ne reviendrons pas dans cette contribution sur les poudres blanches permettant le maquillage, comme la fameuse poudre de céruse (en fait du carbonate de plomb qui a causé bien des soucis) ni sur les charges telluriques comme le talc, kaolin, mica et autres traitées par ailleurs, ou sur la fameuse poudre de riz de nos grands-mères. Le théâtre a été bien souvent un moteur avec des marques iconiques comme Dorin ou Bourjois. Mais comme ce fut le cas très souvent, c’est avec le cinéma que la cosmétique moderne a connu ses avancées les plus intéressantes.

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La plupart des premiers films muets américains ont été réalisés en noir et blanc, en utilisant comme pellicule un film sensible au bleu ou orthochromatique. Ces films étaient insensibles à la lumière rouge, ce qui signifiait que, dans les œuvres en noir et blanc, les rouges étaient noirs et la peau naturelle avait l’air sombre sur l’écran. L’application du maquillage de cinéma s’avérait problématique et de nombreux acteurs des premiers temps ont eu recours à un maquillage bleu, vert et/ou jaune vif pour obtenir un résultat approprié, ou alors tout blanc pour éclaircir la peau. Les choses ont dû avoir l’air très étrange sur les premiers films !

L’apport du cinéma et le pancake

Le film panchromatique est venu résoudre en partie cette question. Comme son nom l’indique, ce film est sensible à tout le spectre visible, et du coup, les films en noir et blanc avaient des couleurs plus fidèles que les tons bleus ou orthochromatiques. Des expériences avec des films panchromatiques ont eu lieu dès 1913 aux États-Unis. Ils ont été utilisés dans certains films américains dès 1918.
Bien que le film panchromatique ait une sensibilité au spectre plus large que le film sensible au bleu ou orthochromatique, son utilisation a été limitée par le fait qu’il était moins stable, plus lent et plus cher. En 1923, Eastman Kodak a commencé la production commerciale d’un nouveau support, plus stable, plus rapide et panchromatique.

Le passage à Hollywood de films sensibles orthochromatique à des films panchromatiques a été très rapide. En plus de réduire son prix, Eastman Kodak a commencé activement la promotion d’un nouveau film, soulignant sa capacité à rendre plus fidèlement les tons de peau en gros plan et de produire de meilleures images de paysages et de ciel dans les scènes de plein air.
La sortie par Du Pont de son film panchromatique sur le marché américain en 1928 et l’introduction par Eastman Kodak de Ciné Panchromatic Type II film dans la même année, a accéléré également ce processus. Au moment où Eastman Kodak a présenté son film Ciné Panchromatique Super-Sensitive en 1931, la conversion était en grande partie terminée.

Bien que le film panchromatique puisse enregistrer la lumière sur tout le spectre visible, il était plus sensible au bleu qu’au rouge, contrairement aux lampes à incandescence qui émettaient plus dans le bleu. Il fallait donc un maquillage qui équilibrait les couleurs et produisait une image monochrome qui semblait naturelle à l’œil humain.
La société Max Factor a été très impliquée dans ces travaux. Elle a envoyé le maquilleur Edward Kaufman pour participer aux “tests Mazda”, du nom des lampes de l’époque. Pendant les quatre mois de tests, la société a réussi à développer un maquillage panchromatique qui tenait compte des différences entre la sensibilité de la couleur du film panchromatique et de l’œil humain, ainsi que de la caractéristique spectrale des lampes incandescentes. Max Factor, très impliqué dans ces recherches, tentait ainsi de garder le nouveau maquillage panchromatique aussi naturel que possible.
Il a mis au point toute une série de réponses “produit” spécifiques à ces questions qui font référence. Elles étaient souvent réalisées à partir de ce que l’on appelle le “greasepaint”, sorte de produit de maquillage fait de gras et de poudre. Ces produits ont été développés au milieu du XIXe siècle dans le monde du théâtre, en particulier par Leichner, un grand nom du maquillage de théâtre, déjà comme réponse aux sources lumineuses qui étaient devenues plus puissantes.
En dépit de ses excellentes qualités, comme sa capacité à masquer les défauts de la peau dans les gros plans, le “greasepaint” présentait des défaillances majeures quand il s’agissait de film couleur. Par ailleurs, la réponse était essentiellement colorimétrique.

En fait, c’est au Technicolor et aux problèmes qu’il a posé que nous devons la naissance d’une grande famille de cosmétiques, les pancakes. Le Technicolor est une série de procédés de films en couleurs lancés par la Technicolor Motion Picture Corporation, fondée par Herbert Kalmus, Daniel F. Comstock et W. B. Westcott en 1914.
Initialement utilisé en 1916, l’évolution du Technicolor a été inégale, et ce n’est que lorsque Technicolor Process 3 a été développé à la fin des années 1920 qu’il a commencé à gagner du terrain dans les studios d’Hollywood.

Bien qu’un certain nombre de films aient été réalisés en utilisant ce nouveau processus durant la Grande Dépression (1929 et plus), les studios hollywoodiens ont réduit leur production jusqu’en 1932, date à laquelle une nouvelle caméra tri chromique (appelée caméra à trois bandes ou Technicolor Process 4) a été développée.
La caméra Technicolor trichrome est chargée de trois négatifs noir et blanc qui sont entraînés en synchronisme parfait par le même mécanisme, l’un étant sensible au rouge, l’autre au vert et le dernier au bleu. Cette caméra exposait simultanément les trois bandes pour enregistrer la lumière rouge, verte et bleue sur trois négatifs distincts. Ceux-ci étaient ensuite combinés pour produire une impression de projection en couleur.

Avec l’introduction de cette technique, de nombreux problèmes ont dû être résolus. L’un d’eux était le maquillage. Lorsque le Technicolor a commencé à être largement utilisé par les studios, des éclairages plus clairs étaient nécessaires pour avoir suffisamment de lumière, ainsi que des négatifs verts et bleus. Du coup, dans les lumières plus vives, la légère couche de gras laissée sur la peau brillait, laissant apparaître les couleurs et les reliefs dus à l’environnement, ou des couleurs proches sur le plateau.

Les spécialistes du maquillage de l’époque ont alors recherché des solutions auprès de spécialistes. En 1935, Elisabeth Arden achète les laboratoires DeLong et Make-up Studio à Hollywood et les utilise pour créer la division Screen and Stage d’Elizabeth Arden. Le maquillage Nuchromatic, acquis par Arden lors de l’achat de DeLong, a été utilisé dans plusieurs films en Technicolor.
De son côté, Max Factor, ce grand nom du maquillage professionnel, cherchait également une meilleure solution aux problèmes de maquillage posés par le Technicolor. À la fin des années 1930, la société Max Factor a adopté une approche différente du problème. Après plus de deux années d’expérimentation, à la fois au laboratoire Factor et à Technicolor, un nouveau maquillage, connu sous le nom de série T-D, a été créé. Frank Factor a été mis en charge du projet car son père, Max Factor, avait été gravement blessé lors d’un accident d’automobile. La première utilisation commerciale du nouveau maquillage a eu lieu dans un film en 1937. Très réussi, il a été bientôt adopté par tous les studios, reléguant le Nuchromatic aux oubliettes. Arden a fermé la division Stage and Screen à la fin de la décennie 30.

Le Pancake était né.

Selon certains auteurs, le nom Pancake” vient du fait que le produit ressemblait à un gâteau. Cependant, étant donné que le maquillage qui a été développé pour le Technicolor utilisait le film panchromatique, il semble probable que le “pan” soit le raccourci pour “panchromatique”.

Le Pancake était fabriqué à base d’eau, contenant une forte charge pigmentée incorporée dans une crème à base de stéarate de triéthanolamine, de lanoline et d’eau. Il était fabriqué en ajoutant les charges (par exemple du talc) et les pigments (par exemple des oxydes de fer) aux huiles et cires qui avaient été préalablement mélangées dans de l’eau à l’aide d’un agent de dispersion, le savon de TEA. Après avoir travaillé le tout pour obtenir une pâte homogène, puis séchée, il était micronisé en une fine poudre. Pour finir, le produit était compacté dans une coupelle.

En 1936, la société Max Factor obtient le premier des deux brevets pour une nouvelle base de maquillage conçue spécifiquement pour le film Technicolor. Initialement utilisé dans le film “Vogues de 1938” (Walter Wanger Productions), il fut commercialisé en 1938 sous le nom de “Pancake” pour le grand public. Cela a été un incroyable succès pour la société Max Factor. Il a d’abord été largement copié avant de finir par définir un groupe entier de produits cosmétiques.

Il a fallu ensuite attendre de nombreuses années pour voir des avancées remarquables. L’application la plus connue est assez probablement un oxyde de titane dopé avec des oxydes de fer, connu également sous les noms de Photogénica ou Photolight™. L’exposition à la lumière du pigment provoque un changement de valence de l’oxyde de fer qui, conséquemment, change de couleur pour foncer. Ce processus est réversible avec l’arrêt de l’exposition.
Ce concept de formulation a été utilisé initialement par des marques japonaises, Shiseido en tête qui a été primé en 1992 (K.Ohno Paper 31, table 2.1- IFSCC Congress 1992) au congrès de l’IFSCC sur ce thème. De nombreuses marques occidentales, européennes ou américaines, ont suivi.

Pour finir, faisons une mention pour les pigments diffractant la lumière. Ce sont principalement dans un premier temps ce que nous appelons les “micatitanes”, constitués d’un sandwich de couches d’éléments métalliques de propriétés optiques différentes. À chaque plan de joint, le trajet de la lumière réfléchie est modifié pour créer des effets de réflexion spécifiques, allant de la réflexion totale (blanc à effets de nacre) à des réflexions interférentielles, ce qui permet de créer des effets chromatiques par décomposition de la lumière, type effet de prisme.

Ces produits peuvent être complétés d’une couche externe de pigment d’absorption combinant une couleur réfléchie et une couleur transmise (effet duochrome).
Ces spécialités sont utilisées pour développer des couleurs chatoyantes et nacrées dans pratiquement toutes les catégories de produits de maquillage. Elles ont été également utilisées à faible dose et très finement broyées pour générer une correction de couleur de la peau dans certains produits aux revendications antiâges. Dans ce cas, ils sont dénommés pigments correcteurs (Chanel 1990).

Les produits les plus élaborés, à base de plaquette de silice comme matrice, permettent de créer des effets de multi-interférences très attractifs (Xyrallic™, Merck).
L’objet change de couleur en fonction de l’angle d’observation ou du niveau de relief.

Une autre approche consiste en le développement de ce qui a été nommé l’effet “soft focus”, puis plus tard “flouteur” ou “Blur”. Cette approche consiste en l’utilisation d’un type de pigments particuliers ayant comme propriété de base de diffracter la lumière à la surface de la peau. Ceci conduit à une diminution significative de la perception du microrelief cutané par un effet de flou, avec comme conséquence une apparence lisse. Ce concept a été initialement proposé par des équipes japonaises (Pola dans les années 80 - Nakamura and all, paper 23, table 21, 14e IFSCC Congress 1986) qui s’est généralé ultérieurement avec d’autres variétés de pigment.
Si, au début, les pigments étaient constitués principalement par des formes spécifiques, comme des billes de silice fixées sur des plaquettes de mica, la technologie a progressivement proposé d’autres types de substances comme les billes de silice ou de PMMA, Nitrure de bore ou encore, plus près de nous, avec les poudres de silicones élastomériques fonctionnant comme des sortes de piège à lumière.
Des approches encore plus spécifiques ont été proposés comme une association d’une charge soft focus et d’une substance fluorescente, complétant la diffraction d’une réflexion complémentaire (EP1099437A1).

Enfin, les pigments nanométriques sont à la base de ce que l’on appelle le maquillage photonique ou “Butterfly make Up”, par analogie aux processus de création de couleur dans la nature. Ces pigments sont très souvent des structures nanométriques très difficilement utilisables pour des raisons techniques (interférences optiques avec les ingrédients traditionnels) ou de positionnement réglementaire, mais ils sont connus. Tout comme les pigments photo adaptatifs comme les spiropyranes, mais qui ne sont pas listés dans le cadre réglementaire.

La lumière dans le soin

Il y a très peu d’exemples où la lumière blanche ou autre est utilisée pour modifier ou activer des substances à usage cosmétique. Au-delà d’applications dans le domaine médical, comme la photothérapie dynamique (PDT) ou la Puvathérapie, on ne trouve en cosmétique que des usages très limités. Dans les deux cas précédemment cités, on est clairement dans des applications médicales.

Dans la PDT, une technique née en début de XXe siècle (1904), le principe consiste à appliquer une substance qui est activée avec de la lumière. La molécule devient alors cytotoxique et détruit les cellules sensibles.
Parmi les molécules candidates, on trouve l’acide aminolévulinique ou plus généralement l’aminolévulinate de méthyle. Cette substance pénètre les cellules et les sensibilise à la lumière. Les lésions sont alors illuminées avec une lumière spécifique (rouge à 630 nm), ce qui conduit à l’élimination des cellules concernées. Aucune application cosmétique n’est connue, tout au plus des procédures de correction de cancers cutanés associés au soleil.
La PUVA thérapie est une photo chimiothérapie efficace dans certaines maladies de peau, dont le psoriasis est l’une des principales indications. Elle associe un médicament, le psoralène, et un illuminant ultraviolet. Le psoralène, sous l’effet de la lumière, forme des pontages avec les brins d’ADN, ce qui mène les cellules à l’apoptose et conduit à leur élimination. Il y a bien eu une tentative très connue d’utiliser ce principe pour améliorer la formation de la mélanine en sensibilisant la peau aux UV. C’est le fameux épisode du Bergasol™, un produit de protection solaire susceptible de provoquer un bronzage plus rapide. Mais cela s’est terminé par une interdiction . Les peptides actuellement proposés dans ce domaine ne sont pas sensibles à la lumière.

Si l’on s’intéresse spécifiquement aux applications cosmétiques, on retiendra tout d’abord, dans le domaine dentaire, les dispositifs de blanchiment des dents qui ont existé. En partant du bicarbonate de soude, mais surtout en passant par un peroxyde (eau oxygénée, carbamate ou urée) qui produit de l’eau oxygénée sous l’effet de la lumière blanche, on peut espérer un blanchiment relatif des dents. À domicile, ce sont principalement des solutions de peroxydes appliqués grâce à des goulottes spécifiques qui existent, avec peu de dispositif lumineux. Une pratique dans des salons spécialisés, dits “bars à dents”, à l’aide d’appareil adaptés, à existé de façon fugace.

Dans le domaine de l’antiâge, le travail le plus aboutit l’a été par un fabricant, Sederma, qui a proposé une association de principes actifs, chacun étant potentialisés par l’effet de la lumière blanche. Cette association de Darutoside (une molécule végétale pure cicatrisante extraite de Siegesbeckia orientalis) et d’une matrikine (lipopeptide stimulant la production de protéines et de constituants matriciels comme le collagène, l’élastine, l’acide hyaluronique) a été utilisée par Filorga dans son dispositif Lumithérapist™.

Enfin, citons l’effet biocide souvent décrit de la lumière bleue. Ses indications sont les imperfections cutanées, de type boutons ou efflorescences cutanées, associées à un développement bactérien. Il existe plusieurs dispositifs spécifiquement positionnés sur ce segment. Mais dans ce cas, c’est l’effet direct de la longueur d’ondes qui est en cause, et non l’activation d’une substance.

Contribution réalisée par Jean Claude Le Joliff
Biologiste de formation, Jean Claude Le Joliff a été un homme de R&D pendant de nombreuses années. Successivement en charge de la R&D, puis de la Recherche et de l’Innovation dans un grand groupe français de cosmétiques et du luxe, et après une expérience de création d’un centre de recherche (CERIES), il s’est tourné vers la gestion de l’innovation.
Il a été par ailleurs Professeur associé à l’Université de Versailles Saint Quentin (UVSQ) et reste chargé de cours dans le cadre de plusieurs enseignements spécialisés : ISIPCA, IPIL, ITECH, UBS, UCO, SFC etc.
Il est le fondateur de inn2c, société de conseil en R&D et Innovation. Consultant auprès de plusieurs sociétés internationales, il a participé activement à des projets comme Filorga, Aïny, Fareva, et bien d’autres.
Il a créé la Cosmétothèque®, premier conservatoire des métiers et des savoirs faire de cette industrie.

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