Essayer de refaire l'histoire des produits anti-âge pour la peau revient à essayer de réécrire celle de la beauté d'une façon générale. Ceci est fortement associé avec le fait que la peau est le seul organe dont le vieillissement se voit. De tout temps, les femmes ont été préoccupées par l'accompagnement du vieillissement, sa "dissimulation", voire son "traitement". Il serait long et fastidieux de faire l'inventaire exhaustif de toutes les solutions qui ont existé. Rappelons toutefois les grandes étapes de l'histoire des produits anti-âge et des principaux ingrédients qui les ont accompagnés.
Conférence donnée par Jean-Claude Le Joliff pour le compte de la Cosmétothèque dans le cadre des Journées de la Société Francophone d’Ingénierie et d’Imagerie Cutanée qui tenait congrès en janvier 2015 à Lyon.
Après une longue période de recettes miraculeuses (car toutes les grandes marques ont dans leur histoire un épisode de recettes miraculeuses), la pratique s'est rapidement installée sur une catégorie de produits assez particuliers, que l'on appellera les "crèmes nourrissantes". Il s'agit de pommades, c'est-à-dire de systèmes anhydres, ou de crèmes riches et grasses également connues sous le nom de "cold-cream", et qui sont à la base de ces produits.
Le rôle et la fonction des principes actifs étaient tout à fait secondaires, bien souvent très peu mis en avant. Dans l'un des principaux produits de cette époque, la Crème Nivea, l'ingrédient remarquable, et qui a été mis en avant, est un émulsionnant permettant de stabiliser ces formules. Tout a commencé en 1911, lorsque le Dr. Oscar Troplowitz, pharmacien et entrepreneur visionnaire, se rendit compte du potentiel que représentait l'Eucerit, un émulsifiant développé par le chimiste Isaac Lifschütz.
En Asie, les traditions sont également largement imprégnées de ces questions. C'est ainsi que la marque Shiseido lance, à la fin du XIXe siècle, une lotion de soins pour la peau s’intitulant
Eudermine
. Là encore, la formulation prime sur le rôle et la nature des types d'actifs.
Ces produits reposent très souvent sur l'idée de crèmes riches réalisées sur la base de formules du type du cérat de Galien. Ces cérats apparaissent dans la pharmacopée européenne à partir du XVIIe siècle. Il s'agit de crèmes grasses, riches, réalisées quelquefois sur la base des systèmes anhydres, c'est-à-dire sans eau. Ce sont également des émulsions de type eau dans l'huile comportant une proportion importante de phase grasse. Le rôle de ces produits était de "graisser" la peau, et de compenser la sensation de peau sèche accompagnant le vieillissement cutané.
Les principaux ingrédients ont pour rôle d'être fonctionnels et occlusifs. Ils présentent des propriétés assouplissantes, comme les alcools de lanoline ou la lanoline entière, émollientes comme les huiles végétales, occlusives comme les huiles minérales ou encore humectantes comme la glycérine.
Parmi les grands produits, citons la crème Nivea , ou encore la crème Nutrix proposée en 1936 par Armand Petitjean, fondateur de la société Lancôme, formulée par le docteur Velon, et présentée comme une "crème de beauté nourrissante et réparatrice", dite "aliment pour la peau".
Assez rapidement, un autre type de produits vient compléter cette offre. Il s'agit de crèmes dites "aux vitamines. On se rappellera que le début du XXe siècle marque la découverte de cette notion de vitamines (1912), ou "amine vitale", ainsi que celle des principales vitamines, de leur mode d'action, de leur rôle et de leur intérêt. Plusieurs spécialités utilisent cette idée pour supplémenter les produits de soins du visage. Parmi les plus remarquables, citons la crème Skin Vitamin proposée par Pond’s dans les années 30.
Quelques vitamines sont rapidement réservées à l'usage pharmaceutique et n'entrent pas dans la composition de ces produits comme la vitamine K ou la vitamine D. Mais presque toutes les autres sont utilisées, avec plus ou moins de succès.
Les propriétés anti-âge associées aux vitamines A, E et C viennent plus tardivement (années 70). Concernant le Rétinol, ce sont par exemple les produits proposés par le groupe Lancaster au travers d’une gamme s’intitulant
Résultante
®. L’utilisation de la vitamine A ou plus précisément du Retinyl acetate était la conséquence d’une collaboration avec un dermatologue anglais, le Dr A. Jarett, spécialiste de la physiologie de l’épiderme, qui avait publié dès 1970 une étude exhaustive sur les actions de la vitamine A sur la peau.
L’utilisation de la vitamine E comme actif anti-âge est fortement associée à l’émergence du concept de la lutte contre les radicaux libres. Les premiers produits sont proposés par la marque Guerlain, déjà précurseur de nombreuses années auparavant avec des produits comme
Secret de Bonne Femme
®, une des toutes premières crèmes hydratantes au début du siècle. Cette gamme s’intitulait
Évolution
® et avait comme actif l’acétate de tocophérol.
Il convient également de signaler la vitamine C et ses trois actions : éclaircissante, antioxydante et stimulant de la synthèse de collagène, car elle reste avec le Rétinol et le Tocophérol les actifs vitaminiques toujours utilisés et connus du public.
Mais revenons un peu en arrière. Dans la mouvance de la découverte du rôle des estrogènes , les marques abordent la question de l'anti-âge sous l'angle de la compensation de la chute d'imprégnation hormonale chez la femme au moment de la ménopause. En effet, les connaissances médicales ont bien identifié cette période particulière et les dermatologues avaient relevé des modifications de la qualité de la peau. D'où l'idée de compenser cette perte de production d'œstrogènes. Les premiers produits sont à base d'extraits glandulaires comme la gamme Amor Skin proposée par une marque allemande Opterapia.
Puis, ce sont assez rapidement des substances de synthèse décrites comme des hormones, la mise au point des œstrogènes de synthèse datant des années 30. En effet, et particulièrement aux États-Unis, la réglementation a permis pendant longtemps d'utiliser des substituts hormonaux comme les œstrogènes, la progestérone ou encore de la prégnénolone.
C'est ainsi que la marque Helena Rubinstein propose dans les années 30 un produit composé de deux spécialités s’intitulant
Hormone
Twin Youthifiers
.
Cette situation dure assez longtemps, globalement jusque dans les années 60 où la réglementation limite fortement l'utilisation de ce type de substances.
En Europe, la réglementation ne permettant pas l'utilisation de ces dérivés hormonaux, les marques optent pour un autre type d'extraits biologiques, ce qui donne naissance aux crèmes dites "placentaires". Cette pratique repose à l'époque sur les travaux de certains chercheurs comme Filatov, dont la théorie consistait à utiliser des "stimulateurs biogéniques" pour améliorer le fonctionnement des tissus vieillissants.
Ces substances sont souvent des extraits biologiques dont les propriétés stimulantes sont connues. Dans un premier temps, il s'agit d'utiliser des extraits placentaires humains, mais ces pratiques compliquées et problématiques sont remplacées par d’autres types d’extraits biologiques.
Rapidement, les usages se sont orientés vers des produits à base d'extraits placentaires animaux, principalement le liquide amniotique bovin, facilement accessible et largement disponible sur le marché. Il est à la base de nombreuses spécialités, dont la fameuse Skin Life Cream à base de Placene, ou encore comme la gamme Amnioderm de Payot.
Les revendications de base sont par exemple : cosmetics contained a ‘Vital Substance’ which could provide rebirth of the skin, thus enabling the skin to remain in the ‘bloom’ of babyhood; … would provide one with a younger appearance and with a look that was incredibly younger ( des cosmétiques contenant une "Substance Vitale" qui peut faire renaître la peau, et ainsi lui permettre de rester dans la "fleur" de l'enfance ; lui permet d'avoir une apparence plus jeune et de d'avoir l'air incroyablement plus jeune ).
Dans les années 50, une substance proche fait son apparition : le placenta végétal, mis au point par un passionné de botanique, le docteur Bernard Guillot. S'appuyant sur la gemmothérapie, la phytothérapie par les bourgeons (NB : cette approche reviendra dans les années 2000 avec les extraits de méristèmes que l’on appelle improprement "cellules souches végétales"), le placenta végétal puise son efficacité dans les nutriments essentiels qu’il contient : acides aminés, peptides, sels minéraux contenus dans les tissus végétaux à l'état natif. Situé sous le pistil des jeunes plantes, il joue le rôle de liquide nourricier en alimentant le fruit pendant sa croissance.
Toujours à la recherche de solutions originales, d'autres marques essayent une voie différente en utilisant des extraits embryonnaires dans le but de stimuler la peau. Cette approche repose essentiellement sur les travaux d'Alexis Carrel, prix Nobel, qui avait montré la possibilité de maintenir en survie des tissus au contact de tels extraits. Ils étaient exclusivement d'origine animale, provenant du poulet principalement. Lorsqu'ils sont utilisés dans les cosmétiques, les propriétés stimulantes de ces extraits sont décrites comme de nature à aider à guérir et rajeunir la peau, induire l'élasticité, réduire les rides, élever le tonus musculaire et même réduire l'enflure autour des yeux !!!
Dans une recherche d’originalité que cette industrie continue de manifester, toute une série de substances dotées de propriétés miraculeuses sont également utilisées, comme la gelée royale, et plusieurs marques s’intéressent à l'utilisation de ce type de substances.
Quelques solutions reposant sur l'idée du progrès technique se font jour, mais quelquefois associées à des pratiques un peu particulières. La crème Tho Radia illustre parfaitement ces tentatives. L'idée est d'utiliser des sels radioactifs pour stimuler les tissus sains sur la base de concepts qui avaient été évoqués dans ce sens.
Au début des années 70, on assiste petit à petit à l'entrée de la biologie dans les laboratoires. Ceci se fait par l'intermédiaire de l'utilisation d'ingrédients biologiques ayant comme fonction d'activer certains processus biologiques essentiels comme la vitalité cellulaire ou la respiration cellulaire que l’on commence à savoir mesurer. Citons la Crème B21 d’Orlane à base de dérivés vitaminiques biostimulants, ou la Crème FRE de Chanel à base d’extraits de levure stimulant la production d’ATP. C'est à cette époque que naît le concept d’ATP booster.
L'initiation de produits anti-âge tels qu'on les connaît aujourd'hui date du milieu des années 80. Ces produits s'installent sous l'effet de deux éléments :
• une meilleure connaissance de la physiologie de la biologie cutanée,
• un effet sociologique associé au baby-boom : 1946 + 40 = 1986 !
Des produits cultes apparaissent à cette époque et on peut citer rapidement :
•
Night Repair
® du Groupe Estée Lauder,
•
Niosomes
® de Lancôme
•
Capture
® de Dior.
Ces produits constituent de véritables innovations car ils proposent des modifications très sensibles de différents aspects :
• la nature des produits avec l'apparition de mono produit,
• de nouveaux types de formules, comme les sérums,
• l'apport de la technologie, comme les liposomes,
• un nouveau mode de communication, de type sponsoring scientifique,
• etc.
Dès lors, l'anti-âge s'intéresse à de nombreux processus biologiques. La biologie et la physiologie du collagène figurent parmi les initiateurs, et l’exemple du collagène natif (Travaux de D.Herbage et A.Huc au CTC de Lyon) dans les produits anti-âge illustre très bien cette contribution de la compréhension des mécanismes biologiques du vieillissement. Puis l’élastine prend le relais (Travaux de Ladislas Robert - Laboratoire de Biochimie du Tissu Conjonctif). Petit à petit, l'utilisation d'extraits biologiques indéfinis, ayant comme rôle principal de stimuler les fonctions biologiques, laisse la place à des principes actifs dont la définition progresse, dont les modes d'action sont de plus en plus précis et de mieux en mieux maîtrisés.
Cependant, certaines marques continuent de proposer des produits plus traditionnels pour compenser le vieillissement. C’est ainsi que Clarins lance en 1983 un soin unique, le
Double Sérum
, qui réunit dans le même flacon toutes les matières premières connues pour lutter contre le vieillissement et améliorer la peau, anti-âge, antirides et fermeté : des matières qui ne peuvent, a priori, pas cohabiter ensemble, certaines étant solubles dans l'eau, d'autres dans l'huile. Mais l’apport de la biologie cutanée est fortement ancré dans l’approche anti-âge et reste durablement le fil conducteur de l’industrie.
À ce jour, il existe de très nombreuses façons de faire de l'anti-âge. Sans vouloir en dresser un catalogue exhaustif, on peut citer rapidement(1) :
• les produits s’intéressant à la prévention et incluant les systèmes de filtres UV, les photo-protecteurs, les antioxydants naturels et synthétiques permettant de piéger les radicaux libres, tels que les tocophérol, acide lipoïque, OPC, polyphénols, etc. ;
• les produit s'intéressants à la pollution : détoxification, autophagie, stimulation du système ubiquitaire, etc.;
• les produits prévenant la glycation ou permettant la déglycation de protéines fonctionnelles ;
• la protection du matériel génétique, incluant en plus de systèmes simples, filtres, OPC et polyphénols, des endonucléases, des actifs agissant sur les télomérases, les sirtuines et bien évidemment les approches reposant sur l’épigénétique, une démarche particulièrement attractive.;
• les actifs permettant de compenser ou de le remplacer ce qui "manque" : céramides, pro-céramides, collagène, élastine, silicium organique, etc.;
• la stimulation des systèmes biologiques impliqués dans le vieillissement ou l’antivieillissement : pour stimuler ce qui manque et les processus de réparation. Citons les matrikines, biopeptides, facteurs de croissance, caroténoïdes, etc.;
• l’hydratation, à ranger dans cette catégorie également avec
l’ensemble des solutions possible
;
• l’exfoliation : AHA, BHA, enzymes, biostimulants, dermabrasion instrumentale douce ;
• la dermocrisaption qui s’inspire des mécanismes du Botox : Argireline (INCI : Acetyl hexapeptide-3
),
SNAP-like, extraits d’algues, extraits de Boswellia ;
• les produits fonctionnant par analogie avec ce que l’on appelle les "fillers" : promoteur de GAG et d’acide hyaluronique en particulier, lipopeptide (Matrixyl), extrait de plancton, vitamines, caroténoïdes, stimulation de la production de collagène, protection des fibres dermiques, protection ou reconstituants de la MEC, etc., sans oublier les produits dits "repulpants" agissant par stimulation de la lipogenèse ;
• quelques solutions physiques ou optiques comme les effets soft focus ou des micro-éponges de collagène dites "sphères de comblement" ;
• les approches reposant sur la correction des dyschromies, soit en agissant sur la production de mélanine, soit en s’adressant à la structure de la peau, et, bien entendu, les effets direct de masquage ou de maquillage :
• l’effet d’hormesis, les cellules souches et particulièrement les actifs issus par élicitation de cellules souches végétales, les microRNA, l’inflam‘age, l’innervation cutanée, les glycokines, etc.
L'un des facteurs clés de succès de toute cette approche repose sur une meilleure connaissance de la physiologie cutanée. C'est ainsi que de nombreux principes actifs nouveaux reposent sur la mise en évidence de processus impliqués dans le vieillissement.
Mais un autre aspect a contribué fortement au progrès et à la mise au point de nouveaux concepts et de nouveaux actifs. Il s'agit de l'ingénierie cutanée. En effet, la mesure des caractéristiques biophysiques et biologiques de la peau a permis de comprendre précisément les mécanismes qui sous-tendent les modifications observées. Cette science relativement nouvelle propose régulièrement des avancées permettant de compléter la panoplie des concepts ou des actifs utilisables.
L'aventure commence à la fin des années 70 avec l'apparition des techniques biophysiques et de métrologie cutanée, consécutive en particulier aux travaux reposant sur des techniques de prise d'empreintes permettant d'étudier systématiquement la micro-topographie de la surface de l'épiderme. Plusieurs équipes universitaires se sont intéressées à ces questions, et, petit à petit, des appareils permettant l'évaluation de ces caractéristiques envahissent les laboratoires. Les méthodes biophysiques tiennent dans un premier temps une place importante.
Les tests de rugosité et d'état de surface de la peau permettent également de progresser significativement. Certains se rappellent peut-être du fameux Silflo ou encore de l'apparition de l'analyse d'images.
Cette ingénierie cutanée permet de confirmer des notions importantes concernant la physiologie de la peau, comme la présence et les caractéristiques du réseau micro-dépressionnaire (RmD). Elle permet également de mesurer de façon objective les effets de certains produits à la surface de l'épiderme. Au-delà de son utilisation comme mode de revendication, elle permet de faire des progrès significatifs dans la compréhension de ces mécanismes. On voit même apparaître les premières marques de prescription personnalisée reposant sur la notion de prise d'empreintes ( Concordance, 1980).
Comment les nouvelles tendances vont-elles impacter ces différentes techniques ? Est-ce que le Pro-aging, qui se base sur comment assumer son vieillissement, va modifier notre perception ? La globalisation peut également la faire évoluer. Est-ce que la cosmétique instrumentale, qui va de l'utilisation de nouveaux principes actifs comme la lumière, l'électricité, le froid, va impacter ces approches ? Le proche avenir nous le dira, mais tout ça reste passionnant à vivre et à suivre.
1. New trends In antiaging cosmetics Ingredients and treatment: an overview - Peter Clarys and André O'Barel - Handbook of Science and Technology - Third édition - 2009 - 291-300.
Contribution réalisée par Jean Claude Le Joliff Remerciements particuliers à Pierre Perrier, ex-Directeur R&D Parfums Christian Dior et Jacques Leblay, Ex-Directeur R&D Guerlain.
Biologiste de formation, Jean Claude Le Joliff a été un homme de R&D pendant de nombreuses années. Successivement en charge de la R&D, puis de la Recherche et de l’Innovation dans un grand groupe français de cosmétiques et du luxe, et après une expérience de création d’un centre de recherche (CERIES), il s’est tourné vers la gestion de l’innovation.
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