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mercredi 11 octobre 2017Cosmétothèque

L’ingrédient le plus précieux de l’industrie cosmétique : l’eau

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Dans l'industrie cosmétique, l’eau représente le principal ingrédient, tout d'abord quantitativement, mais également de par l'importance qu'il revêt en formulation, ou encore de son rôle vis-à-vis de la physiologie cutanée. Cette histoire d'eaux est contée par Jean-Claude Le Joliff.

Temps de lecture
~ 26 minutes

Généralement, la liste des ingrédients d'un cosmétique commence par le terme "Aqua/Water". Cette liste étant établie en fonction des concentrations en ordre décroissant, c'est dire qu'elle représente une proportion élevée dans les formulations. C'est d'ailleurs une critique régulièrement entendue qui voudrait que les produits cosmétiques ne contiennent que de l'eau. C'est bien mal connaître son rôle et son importance en formulation.
À titre d'exemple, une crème pourra contenir de 60 à 80 % d’eau, les lotions, gels-douche ou shampoings jusqu’à 95 %. Son importance proportionnelle rend donc sa qualité primordiale. Une eau "ordinaire" comme celle du robinet, qui a été utilisée pendant très longtemps, et peut-être même encore, a été remplacée régulièrement par des eaux sur lesquelles sont appliquées certains traitements de purification, et pour plus près de nous, par ce que l'on peut appeler les eaux spéciales.

Qu’est-ce que l’eau ?

Liquide fondamental, source de vie, c’est peut-être l’ingrédient le plus important sur terre.

Le terme eau dérive du latin aqua via les langues d'oïl, comme le mot ewes . Le terme aqua a été ensuite repris pour former quelques mots comme aquarium . Un mélange aqueux est un mélange dont le solvant est l'eau. Le préfixe hydro dérive quant à lui du grec ancien ὕδωρ (hudôr) et non pas de ὕδρος (hudros), lequel signifie "serpent à eau". Les appellations oxyde d’hydrogène ou acide hydroxyque peuvent également se trouver.

Quel est son intérêt en cosmétologie ?

Sur le plan physiologique, comme chacun sait, c'est un ingrédient indispensable. La peau est composée de différents compartiments dans lesquels l'eau est un des constituants de base. Au niveau de l'épiderme, même si c'est le compartiment le moins riche en eau, elle joue un rôle important dans la structuration des différents éléments constituant ce que l'on appelle "l'effet barrière". Cet effet barrière est responsable de différentes fonctions essentielles, comme la régulation de la température corporelle en ajustant la perte insensible en eau. Ou plus spécifiquement en organisant les lipides structurels de la peau, phospholipides et céramides, de façon à maintenir une cohésion importante. Remarquable plastifiant du stratum corneum (la couche la plus externe de la peau ), l’eau est à l'origine du confort cutané. Si le caractère de "peau sèche" n'est pas relié quantitativement avec la concentration en eau, la régulation des mouvements hydriques en est l'origine.

Au niveau du derme, elle constitue l'ingrédient de base de la substance fondamentale, dite matrice extracellulaire, dans laquelle figurent les différents éléments composant ce compartiment : fibroblastes, protéines structurelles, muccopolysaccharides.

Mais, comme chacun sait, ce n'est pas en apportant de l'eau à la peau que l'on peut interférer avec ces processus. Ce n'est donc pas à ce niveau-là que les enjeux concernant la qualité de l'eau utilisée dans les produits se situent, mais principalement à des niveaux techniques de formulation, voire de perceptions sensorielles ou encore dans les procédés.

L’eau en formulation

L'utilisation de l'eau en formulation remonte à la nuit des temps, mais a pris une importance de plus en plus grande quand l'industrie a remplacé petit à petit la notion de "pommade", composée principalement de mélanges de corps gras, par des émulsions qui sont des mélanges de corps gras et d’eau. Les plus anciennes émulsions utilisées dans nos métiers sont assez probablement des produits réalisés sur la base ce que l'on appelle le "Cérat de Galien", un excipient réalisé par mélange d'eau florale avec de la cire d'abeille. Cette notion a été reprise à partir de la fin du XIXe siècle pour réaliser des produits que l'on appelle les Cold Cream.

Les crèmes à base d’eau présentent des caractéristiques organoleptiques plus agréables à l'utilisation, l'application étant plus fraîche et les effets gras et luisants sur la peau moins marqués. À partir de là, l'utilisation de l'eau est devenue une constante et son importance renforcée par l'utilisation croissante d’émulsions à phase aqueuse continue dans lesquelles l'eau constitue l'ingrédient majoritaire.
Plus que des notions d'ordre réglementaire, la qualité de l'eau que l'on utilise dans la fabrication des produits cosmétiques tient pour une part importante de son utilisation dans ce type de produits. En effet, si les premiers produits contenant de l'eau étaient des produits gras contenant peu d'eau, l'apparition d'un type de formulation devenue une référence quasi incontournable dans le monde de la formation, les crèmes stéarate, a impacté beaucoup la définition de la qualité de l'eau utilisée dans ces systèmes. Ces formules réalisées à base de savon, des stéarates alcalins, présentent la caractéristique d'être extrêmement sensibles à la dureté de l'eau, c'est-à-dire à son taux d'électrolytes. Rien de plus efficace pour relarguer un savon qu'un électrolyte à base de calcium.

Cette caractéristique a été renforcée par l'utilisation d'un autre type d'ingrédients génériques devenant progressivement incontournables, les gélifiants à base de polymères acryliques. Plus connu sous le nom de "Carbomer", les premières qualités de ces produits présentaient également une très forte sensibilité à la dureté de l'eau, renforçant ainsi la contrainte d'une eau de qualité constante.

C'est ainsi que petit à petit l'industrie a dû mettre en place des moyens de purification permettant de stabiliser la qualité de l'eau en termes de composition, pour garantir une bonne reproductibilité des fabrications.

Le premier traitement qui a été appliqué consiste en l'utilisation d'adoucisseur d'eau. Un adoucisseur d'eau est un appareil qui réduit la dureté de l'eau en réduisant la quantité de calcaire (carbonates principalement de calcium et de magnésium) en suspension dans l'eau. Dans cette technique, on remplace les ions calcium par des ions sodium plus solubles. L'appareil nécessite des régénérations permanentes, et une quantité non négligeable d’eau est rejetée, diminuant fortement les rendements.

Très vite, cette technologie a été remplacée par des techniques de déminéralisation sur résines, dites échangeuses d’ions, permettant d'obtenir de meilleurs rendements et une qualité d'eau plus constante. Les échangeurs d’ions sont des substances granulaires insolubles, comportant dans leur structure moléculaire des radicaux acides ou basiques susceptibles de permuter les ions positifs ou négatifs, "fixés" sur ces radicaux. Ces échanges d’ions permettent de modifier la composition ionique du liquide objet du traitement, sans modification du nombre total de charges existant dans ce liquide avant l’échange. Les échangeurs d’ions ont d’abord été des terres naturelles (zéolites), puis des composés synthétiques minéraux (silico-aluminates) puis organiques, ces derniers étant presque exclusivement employés actuellement sous le nom de résines. Elles se présentent soit sous forme de grains, soit, pour la majorité d’entre elles, sous forme de billes. On distingue le squelette de la résine et les sites actifs greffés sur ce squelette. Actuellement, trois types de squelette existent industriellement : polystyrénique, acrylique et formo-phénolique. Par convention une résine ayant des sites actifs greffés anioniques est appelée résine cationique puisqu’elle permet d’échanger les cations et vice versa, et l’on note cette résine R-Ca ou R-Na selon qu’elle est chargée d’ions Ca  2+ ou Na + . Ces techniques fonctionnent relativement bien, et permettent d'obtenir une eau de qualité satisfaisante. Toutefois, les rejets d'eau et surtout les rendements sont des questions permanentes.

Parallèlement à cela, certaines sociétés ont opté pour la distillation. C’est la méthode de purification la plus ancienne. Cette technique, qui permet de purifier l'eau par ébullition suivie d'une condensation de vapeur produit une eau très pure. C'est également celle que l'on pourrait utiliser pour purifier l'eau au laboratoire. Économique, cette technique ne peut être utilisée pour des procédés utilisant l'eau sur demande en grandes quantités. L'eau doit alors être distillée puis conservée pour une utilisation ultérieure, ce qui complique sérieusement les opérations.

À la fin des années 80, on a vu se développer une technologie assez sophistiquée, s'instituant l'osmose inverse. C'est un procédé de filtration très fin permettant de purifier l'eau. Souvent désignée par l'abréviation RO, l'osmose inverse représente le niveau de filtration des liquides le plus raffiné. Au lieu d'un filtre, il s'agit d'utiliser une matière poreuse agissant comme un tamis unidirectionnel pouvant séparer les particules de taille moléculaire. L’eau passe d’abord dans un filtre qui retient les éventuelles particules puis dans un filtre à charbon actif qui capte notamment le chlore. Enfin, elle traverse une très fine membrane qui sépare l’eau pure de l’eau de rejet porteuse de ce qui reste d’éléments indésirables et de minéraux, et envoie cette eau dans le circuit des eaux usées. L’osmoseur consomme énormément d’eau : il en rejette en moyenne quatre litres pour un litre d’eau osmosée produit ! Cette consommation phénoménale est nécessaire pour éviter le colmatage de la membrane. Mais, comme il peine à traiter l’eau dure, les installateurs recommandent parfois de s’équiper aussi d’un adoucisseur afin de faire entrer une eau sans calcium dans l’osmoseur.

Les technologies se sont petit à petit sophistiquées, et on rencontre dans l'industrie ces différents procédés en fonction des besoins et des moyens. Ces installations coûtent finalement assez chères, pour aboutir maintenant à des eaux de très haute pureté, bien que techniquement et réglementairement parlant, aucune obligation ne soit faite d'utiliser de l'eau de très haute pureté.

Mais la question de la plus importante concernant l'utilisation de l'eau dans les opérations de fabrication porte sur les rendements instantanés et sur la conséquence la plus immédiate : la contamination microbiologique. En effet, aucun de ces systèmes ne permet de disposer de quantités d'eau mises à disposition instantanément pour satisfaire aux opérations de fabrication. Cette question des rendements est donc une question difficile à gérer, les débits instantanés nécessaires dans les opérations de fabrication conduisant soit à stocker de l'eau, soit mettre en place des installations disproportionnées par rapport à leur usage.
C'est la solution du stockage qui a généralement été privilégiée. Mais de ce fait, la propreté microbiologique de l'eau, présentée souvent à tort comme étant le facteur essentiel de la nécessité de traiter l'eau, est devenue une problématique permanente. En effet, compte-tenu des besoins instantanés en eau lors des opérations de fabrication, l'eau purifiée est souvent stockée car il est difficile d'alimenter les machines de fabrication en continu à la sortie des installations de purification. Or, cette eau purifiée est très fragile. Le fait de la stocker conduit assez régulièrement à ce qu'elle soit contaminée par des germes résidants. Cette contamination est également souvent renforcée lors des traitements sur résine, par le fait que ces résines sont capables de fixer des microorganismes présents dans l’eau de réseau et leur permettent de se développer, ce qui a comme conséquence de contaminer l'eau lors des processus de purification.
Il est bien connu que la présence d'eau est un facteur aggravant au regard de la propreté microbiologique des préparations, et l'ensemble de ces considérations, purification plus protection microbiologique, a conduit à ce que les industries cosmétiques se sont souvent dotées de stations de traitement d'eaux extrêmement sophistiquées. Il n'est pas rare de trouver des installations combinant une technique de purification, puis un stockage à température ambiante ou à température élevée, le tout maintenu en agitation permanente dans un circuit en boucle dans lequel on insert des stations de décontamination, comme la filtration stérilisante ou ionisante (UV). Ces installations deviennent des contraintes majeures et, contrairement à une idée communément répandue, l’eau utilisée en formulation devient une substance d'un coût non négligeable.

Les bonnes pratiques de fabrication, dites BPF, s'appliquent également à cet ingrédient. Pour plus d'informations, on consultera avec intérêt le document proposé par CosmeticOBS-L'Observatoire des Cosmétiques et réalisé à la suite des premières Rencontres de la Qualité Cosmétique, organisées le 30 mars par l'IFIS et la FEBEA, où Pascal Moreau, Directeur Qualité de BCM Cosmétique, a fait le point sur le sujet.

L’eau de process

Une utilisation peut-être un peu moins courante et moins connue de l’eau est son rôle dans les procédés de fabrication. En effet, sous forme de vapeur, elle constitue souvent le fluide caloporteur permettant de chauffer les machines de fabrication, faire fondre les ingrédients en vue des mélanges, etc.
C'est aussi le fluide caloporteur dans les procédures de refroidissement et de contrôle thermique des échanges en cours de fabrication.

Enfin, elle est également à la base des processus de sanitization lors des les opérations de fabrication, machine et locaux.

Compte tenu de l'importance que revêt maintenant l'environnement, cette question est au centre d'un grand nombre de faire marche de type RSE (Responsabilité Sociétale et environnementale ), dans lesquelles la gestion de l'eau est devenue un problème central. En particulier en ce qui concerne les eaux de rejet.
C'est ainsi qu'un procédé de fabrication se développe autour de ces problèmes, s'intitulant Cold Process, qui consiste à essayer de fabriquer les produits en évitant le chauffage pour préserver la qualité des ingrédients et du produit fini, et d'éviter par voie de conséquence les procédures de refroidissement. Ceci conduit à diminuer le plus possible les rejets d’eau dans l'environnement industriel.
Un autre procédé connu sous le nom de LES pour Low Energy System va dans ce sens. Dans ce procédé, on chauffe uniquement pour faire fondre les ingrédients puis réaliser une émulsion concentrée avec une partie de l'eau de la formule. La quantité d’eau restante est alors ajoutée à froid dans l'émulsion concentrée, ce qui contribue à diminuer la température et ramener le tout à température ambiante.

Les différentes typologies d’eau

Purifiée et stérile, l’eau n’apporte rien en elle-même, et est ainsi souvent qualifiée d’ingrédient "mort". Ce qui n’est pas vrai. L’eau a été longtemps principalement utilisée en guise de solvant. Elle est en effet incomparable pour dissoudre des actifs à l’origine solides. On en fait l’expérience chaque jour quand on jette un morceau de sucre dans sa tasse de thé. Mais les propriétés sensorielles qu’elle confère aux systèmes l’incorporant en font un ingrédient central.
Enfin, si elle peut être des plus pures, et même 100 % naturelle, et même n’avoir subi aucun traitement chimique, l’eau ne peut jamais être qualifiée de biologique. Tout simplement parce qu’elle n’est pas "cultivée" selon les critères de l’agriculture biologique. Vu son pourcentage important dans les produits, cela constitue un réel handicap, en particulier pour la cosmétique bio, surtout à l’heure d’afficher les pourcentages d’ingrédients issus de l’agriculture biologique sur l’étiquette ! Sans parler des eaux spéciales, comme les eaux thermales, utilisées ancestralement pour traiter des problèmes de peau.

On a donc vu ces 15 dernières années se généraliser l'utilisation d'autres types d’eaux que l'eau "courante". La solution est venue des eaux florales pour la cosmétique bio ou naturelle. Parce qu’elles remplissent le même rôle de solvant que l’eau pure, mais qu'elles sont issues d’un élément végétal qui parfois peut aussi agir en actif intéressant : purifiant, astringent, hydratant ou équilibrant. Enfin, les végétaux à partir desquels elles sont obtenues ayant été cultivés dans des conditions biologiques, elles répondent aux critères de certification. Elles peuvent également être de "qualité biologique".
L'utilisation des eaux thermales est moins récente, mais la profusion de marques issues de ce positionnement les a rendues plus permanentes.
Enfin, dans cette mouvance, toute une série d'eaux particulières ont fait l'objet de développements spécifiques. À date, on peut distinguer plusieurs catégories d’eaux.
• L’eau courante, encore largement majoritaire.
• Les eaux forales, obtenues par hydro-distillation généralement à partir de fleurs : les plus connues et les plus utilisées depuis longtemps seront l'eau de rose (Cérat de Galien), l'eau de bleuet (spécialités du contour de l’œil), l’eau hamamélis (Which Hazel qui donnera Hazeline Snow, probablement la première crème stéarate), mais aussi bien d'autres.
• Les eaux thermales, eaux de sources ou de résurgences ayant une composition spécifique et souvent utilisées depuis longtemps : Vichy, La Roche Posay, Avène, source marine, etc.L’usage d’eaux thermales dans les cosmétiques a connu beaucoup de succès, et de nombreuses spécialités proposées par des marques leader existent sur le marché. Au-delà des vaporisateurs d’eaux thermales pures, qui ont un réel intérêt, on trouve de nombreux types de préparations. Dans certains cas, les effets ont pu être formellement démontrés (voir ici , ici , ici et ici ). Le groupe L’Oréal est très engagé dans ces approches .Les eaux thermales trouvent également de nouvelles applications en regard avec le microbiome cutané et des affections cutanées associées. Une étude française sur 55 patients a comparé l’action de deux traitements différents pour soigner les lésions inflammatoires. D’un côté, un antibiotique classique (l’Erythromycine 4 %), de l’autre un produit dermocosmétique à base d’eau thermale. Dans les deux cas, on constate une amélioration importante de l’acné. Mais en regardant de plus près, on s’aperçoit que si l’antibiotique réduit la proportion de P. Acnes, le produit à base d’eau thermale fait baisser à la fois le nombre de P. Acnes et celui des Staphylocoques, un germe associé qui est en fait plus quantitativement plus important que le P.Acnés dans les cas d’acné. Ce type de travail n’en est qu’au début et il est probable que des confirmations se feront dans ce sens.
• Les eaux de fruit : obtenues par déshydratation de fruits ou de végétaux.
• Les eaux spéciales : issus d’origines diverses, comme l'eau de mer, l’eau de glacier ou des origines exotiques de cette nature.

Cold cream*
• 4 oz. of the purest almond oil
• 1¼ oz. of white beewax
• 2 oz. of diluted rose-water
• A few drops of pure essential oil of roses
*Verni, 1946, p. 407


En collaboration avec CosmeticOBS-L'Observatoire des Cosmétiques, qui a réalisé un important travail d'inventaire, nous avons essayé d'établir le panorama de l'utilisation de ces eaux fin 2016 :

La France des eaux thermales (1/2)
La France des eaux thermales (2/2)
Que d’eaux, que d’eaux… en cosmétique !
L'eau de mer par Seltag
Les eaux florales par Codif Technologie Naturelle
Les eaux de composition par Gattefossé
Eaux-Mères© : une approche originale de l’eau en cosmétique
Enfin, citons des utilisations un peu particulières, inattendues ou inhabituelles, et ce dans des familles de produits plus improbables comme les poudres rouges à lèvres. Pour les rouges à lèvres, on pourra relire cette contribution de la Cosmétothèque .

Pour les poudres, il existe depuis quelques années une technique de formulation permettant de "transformer" l'eau en poudre. Il ne s'agit pas de fabriquer du sel de table, mais plus exactement d'absorber une certaine quantité d'eau dans un polymère acrylique spécifique. Cette opération permet d'obtenir une poudre "humide". Cette poudre est ensuite dispersée dans un support pulvérulent classique, talc par exemple, permettant d'incorporer une dose assez significative d’eau, jusqu’à 20 %, dans une matrice poudreuse. À l'utilisation, lorsque l'on frotte le produit, l’eau est libérée, transformant le produit de l'état de poudre en un état ressemblant à une crème. Une des magies des textures se transformant !!!!

L’Eau de Kangen ou eau hydrogénée

Depuis quelque temps, une nouvelle qualité d’eau est apparue dont l'utilisation se développe dans différents domaines, incluant la cosmétique. Il s'agit de l'Eau Kangen, appelée également "eau alcaline", ou encore "eau hydrogénée".

Le principe consiste à soumettre au départ soit de l'eau de ville, soit de l'eau obtenue par osmose inverse ou par un autre système de filtration, à un processus électrolyse qui va la débarrasser de ses différents éléments et ions en solution, mais également la recharger en éléments chargés électro-statiquement. Le traitement par électrolyse se fait donc sur une eau purifiée, dans une cellule contenant deux compartiments séparés par une membrane qui laisse passer le courant, mais empêche le mélange des eaux transformées à la cathode et à l'anode.

À la cathode se forme une eau basique et chimiquement réductrice. Sur l'anode, on observe la formation d'une eau acide et oxydante. La première est conseillée pour la boisson, la seconde, ayant des vertus désinfectantes, peut servir pour l'hygiène corporelle ou pour la désinfection des objets. En fonction de la charge ionique finale, l’eau peut présenter différents pH, de très acide à alcalin. Les qualités mises en avant sont les qualités alcalines que certains qualifient d’eaux thérapeutiques. Les qualités acides sont considérées comme plus adaptées aux travaux domestiques.

Les propriétés qui sont prêtées à cette qualité d’eau sont :
• son alcalinité,
• un pouvoir antioxydant élevé,
• une micro-structuration ou "eau hexagonale".

Son alcalinité permettrait de lutter efficacement contre l’acidose, processus général concernant le corps humain, son pouvoir antioxydant de lutter contre les radicaux libres, et la micro-structuration permettrait une meilleure assimilation de l'eau pas les tissus.

Ce procédé est arrivé initialement en Asie, Japon et Corée, et a fait l’objet d'un développement ces dernières années principalement par les efforts de certaines sociétés produisant des appareils. C’est le cas de la société Enagic qui propose des appareils permettant la production de ces qualités d’eau. Idrogen est également un fournisseur d’appareil. Dans cette mouvance, de nombreux appareils sont proposés dont le fonctionnement ou les caractéristiques sont à préciser.

Les avis sont très partagés sur les propriétés de ces eaux. D’un côté, on trouve les partisans de cette approche qui en vantent les mérites, même si elle n’a fait à ce jour l’objet d’aucune démonstration formelle. De l’autre, des positions qui mettent en cause la confusion entre alcalinité et effets, sur la micro-structuration ou encore sur la nature ionique de ces eaux. Une publication récente suggère un effet modéré sur le vieillissement d’un modèle animal, peut-être par effet d’hormèse.

En cosmétique, ces eaux spécifiques sont encore peu utilisées. À date, le seul développement significatif est un produit s’intitulant "Hydrogen water" par la marque Perricone, une marque de cosmétiques bien connue. Encore qu’il s’agisse de boisson, et pas de produits pour application topique. La marque Idrogen propose quelques produits topiques.
Tel que présenté dans les différents supports, l’intérêt de ce type d’eau pour des produits cosmétiques restent à confirmer. En effet, l’acidose n’est pas un processus concernant la peau, ou beaucoup moins que pour l’organisme en général. En effet, les caractéristiques de la peau sont plutôt orientées vers l’acidité (pH du revêtement cutané acide), certains problèmes cutanés étant associés à une alcalinisation (décarboxylation oxydative, donc alcalinisation dans certaines pathologies cutanées). Le piégeage des radicaux libres peut se faire avec des substances très efficaces. Enfin, l’hydratation du tissu cutané ne se fait pas par l’eau mais par la régulation du flux hydrique.
Mais ne doutons pas que la créativité soulever ces objections !!!!!

Si on parle de l'eau hydrogénée, il serait dommage de ne pas ajouter quelques mots concernant son pendant qui est l'eau oxygénée. Bien que ses utilisations soient relativement peu répandues dans la formulation cosmétique, l’eau oxygénée a fortement contribué à l’industrie cosmétique au travers de l’une de ces propriétés, sont pouvoir blanchissant. C’est grâce à elle que les techniques de coloration capillaire se sont ouvertes à d’autres approches que celle de l’utilisation des teintures végétales. L’ère de la coloration moderne a pris naissance au XIXe siècle. À cette époque, le cheveu n'est encore qu'un tube creux susceptible d'être teint en surface, mais dans lequel il était impensable d'introduire quoi que ce soit pour fixer la couleur. La solution a vu le jour avec la découverte des colorants organiques.
Mais une autre a tout d’abord modifiée l’une des pratiques les plus courantes : la décoloration du cheveu. Si, depuis l'Antiquité, on savait éclaircir ou au contraire foncer les cheveux avec des décoctions de plantes, en 1818, un scientifique français, Louis-Jacques Thénard, découvre l’eau oxygénée. Cette substance va devenir très courante dans la teinture capillaire. En effet, les pigments mélaniques du cortex du cheveu doivent être modifiés plus ou moins partiellement pour l'"éclaircir". Cette action est possible avec des oxydants et l’eau oxygénée est devenue cet oxydant. Cette action décolorante est complétée par l’oxydation in situ de colorants organiques. Ceci permet d’obtenir une coloration tenace, et surtout de donner une coloration différente de la coloration de base du cheveu. Dès les années 1860, on faisait commerce de solution d'eau oxygénée décolorante (eau de fontaine de Jouvence) mais néanmoins, elle n'a pas été employée à des fins esthétiques avant 1879. Le peroxyde d'hydrogène est un composé chimique de formule H2O2. Sa solution aqueuse est appelée eau oxygénée.

Historiquement, le peroxyde d'hydrogène est préparé par l'électrolyse d'une solution aqueuse d'acide sulfurique ou de bisulfate d'ammonium (NH4HSO4), suivie par l'hydrolyse du peroxodisulfate S2O82 formé. Actuellement, le peroxyde d'hydrogène est produit presque exclusivement par l'auto oxydation de la 2-alkyl anthrahydroquinone en 2-alkyl anthraquinone. Ce procédé est dit "procédé à l'anthraquinone". Le peroxyde d'hydrogène est non seulement produit par des micro-organismes mais aussi par des protéines enzymatiques. En dehors de ses propriétés éclaircissantes, l’eau oxygénée ne trouve pas d’utilisation courante en cosmétique.

Pour terminer, un petit clin d'œil à des Eaux célèbres.
La première concerne la fameuse Eau Précieuse Dépensier qui continue de connaître le succès permanent malgré son âge qui commence à devenir canonique.

Le Bore et la Beauté – Un produit culte : Eau Précieuse Dépensier©

La lotion Eau Précieuse est utilisée pour éliminer les impuretés, les cellules mortes et absorber l'excès de sébum des peaux à imperfections.
Ce que dit la marque :
• Une action efficace : L'Eau Précieuse favorise l'élimination des impuretés, des cellules mortes et de l'excès de sébum en un geste frais et léger. Alliant des propriétés antibactériennes et exfoliantes, la lotion Eau Précieuse n'a pas son pareil pour vous aider à lutter contre les petites imperfections de peau. Très douce, elle n'agresse pas l'épiderme et laisse la peau fraîche et purifiée.

• Des propriétés et des actifs éprouvés : Lotion reconnue pour les peaux à tendance acnéique, sa formule à base d'acide salicylique et d'acide borique permet une double action : purifier la peau en éliminant les impuretés et l'excès de sébum et l’assainir en favorisant l'élimination des points noirs et boutons. Elle laisse la peau nettoyée et purifiée des cellules mortes et excès de sébum.

L'Eau précieuse en quelques dates clés :
• 1890 : Naissance de la lotion Eau Précieuse Dépensier destinée à soulager les maux de jambes et les maladies de peau.
• 1927 : Le laboratoire Charles Roux rachète la lotion Eau Précieuse.
• 1942 : L'Eau Précieuse Dépensier se voit attribuer le statut de médicament dédié au traitement des problèmes de peau.
• 1950 : la marque lance son premier spot radio pour vanter les bénéfices du produit.
• 1982 : Eau Précieuse arrive sur nos écrans TV avec une campagne qui met en avant ses propriétés "calmante, tonique et rafraîchissante". Au début des années 2000, son slogan devient "Eau Précieuse, un secret qui se transmet de mère en fille".
• 2004 : Les laboratoires Omega Pharma France rachètent la lotion.
• 2010 : L'Eau Précieuse célèbre son 120e anniversaire.

Développée par le pharmacien Charles Dépensier en 1890, l'Eau précieuse, la lotion dédiée aux peaux à imperfections ou à tendance acnéique, a célébré son 120e anniversaire en 2010. Pour l'occasion, elle s’est 'habillé d'un flacon collector. Limitée à 100 000 exemplaires, " L’Eau Précieuse collector 120 ans " retrouve sa bouteille de verre originel, sérigraphiée de bulles d'argent.

Voir également le site eau-précieuse-maman-m'a-dit , sur lequel les internautes échangent librement leurs astuces de grand-mère, remèdes home-made et autres conseils beauté.

Liste des ingrédients
Aqua, Boric acid, Salicylic acid, Glycerin, Tannic acid, Propylene glycol, Eucalyptus globulus leaf extract, Parfum, Eucalyptol, Menthol.
• Ne pas utiliser le produit chez les enfants de moins de 3 ans.

Note réglementaire
Compte tenu de son statut de médicament, l'Eau Précieuse Dépensier est en dehors du champ d'application du Règlement sur les produits cosmétiques, les restrictions concernant l’utilisation du bore et de ses dérivés ne s’appliquent pas à ce produit.

L'eau de Botot

L'histoire de la seconde eau célèbre nous est contée par Céline Couteau et Laurence Coiffard . L’eau de Botot n‘est pas de la première jeunesse puisqu'elle est née en 1755.

Ce produit vient d’être relancé !

Conclusions

Cet inventaire, qui ne peut pas avoir la prétention d’être exhaustif et de couvrir tous les types d‘eau et tous les types de produit, a tout de même la volonté de proposer une idée plus précise des utilisations de cet ingrédient trop souvent décrié. Ce travail ne demande qu’à être complété.

Avis aux amateurs !

Contribution réalisée par Jean Claude Le Joliff
Biologiste de formation, Jean Claude Le Joliff a été un homme de R&D pendant de nombreuses années. Successivement en charge de la R&D, puis de la Recherche et de l’Innovation dans un grand groupe français de cosmétiques et du luxe, et après une expérience de création d’un centre de recherche (CERIES), il s’est tourné vers la gestion de l’innovation.
Il a été par ailleurs Professeur associé à l’Université de Versailles Saint Quentin (UVSQ) et reste chargé de cours dans le cadre de plusieurs enseignements spécialisés : ISIPCA, IPIL, ITECH, UBS, UCO, SFC etc.
Il est le fondateur de inn2c, société de conseil en R&D et Innovation. Consultant auprès de plusieurs sociétés internationales, il a participé activement à des projets comme Filorga, Aïny, Fareva, et bien d’autres.
Il a créé la Cosmétothèque®, premier conservatoire des métiers et des savoirs faire de cette industrie.
Remerciements à Jasmine Salmi de CosmeticOBS-L’Observatoire des Cosmétiques pour le travail de documentation sur les différentes typologies d’eau.

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