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mardi 21 janvier 2014Cosmétothèque

Mike Kliffer : Interview

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Le monde du vernis à ongles a été longtemps concentré sur un nombre restreint de sociétés dans lesquelles des personnages importants ont joué un rôle assez fondamental. Mike Kliffer a été l’un d’entre eux. Après avoir exercé des responsabilités dans plusieurs sociétés de cosmétique, il a jeté les bases de l’un des principaux fabricants européens de vernis, International Lacquer. Revenons avec lui sur cette aventure.

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Mike Kliffer, quel a été votre premier contact avec le monde des cosmétiques ?

Mike Kliffer : Mon histoire familiale est liée aux cosmétiques. Je suis la troisième génération travaillant dans ce domaine. Mon grand-père paternel faisait du négoce de produits considérés comme cosmétiques en Autriche. Après avoir immigré en Israël en 1934, mon père a créé la 1ère parfumerie à Tel Aviv et était le 1er importateur de parfums et de cosmétiques de France. De mon côté, je suis titulaire d’un diplôme d’ingénieur chimiste. Après avoir été chercheur au CNRS sur des molécules pharmaceutiques puis dans l’industrie du caoutchouc, j’ai intégré à l’âge de 25 ans la société Coty où j’ai travaillé durant 18 mois au contact entre autres d’Annie Raynal qui m’a initiée au monde du maquillage (cette personne a été ensuite la prêtresse de la couleur chez Dior). Je suis ensuite passé chez Isabelle Lancray, puis en 1963 chez Helena Rubinstein où je suis devenu Directeur Technique en 1969 avec des responsabilités au niveau du développement des produits de soin et de maquillage.

À cette époque, aviez-vous déjà une expertise dans le domaine des vernis à ongles ?

Mike Kliffer : Mon implication dans les vernis à ongles a commencé à la fin de mon expérience chez HR où il m’a été demandé dans les années 1975 d’étudier l’introduction d’une gamme de vernis à ongles. Il faut savoir qu’à cette époque, le maquillage des ongles se résumait à quelques teintes, essentiellement du rouge. On parlait d’ailleurs de rouge à ongles, c’était un produit assez cher, d’un prix équivalent à celui d’un rouge à lèvres, et que l’on trouvait dans des marques de grande diffusion comme Innoxa, Cutex, Chen Yu, Mavala. Les volumes des marques de référence de l’époque comme Margaret Astor ou Jade avoisinaient alors les 50 tonnes par an. Le luxe ne s’intéressait que très peu au vernis.

Comment avez-vous intégré ce milieu plus proche de l’industrie des peintures que de la cosmétique ?

Mike Kliffer : Il est vrai que la formulation d’un vernis à ongles est proche de celle d’une peinture avec des filmogènes, des solvants, des résines, des matières colorantes (pigments et nacres). C’est un produit très différent des autres cosmétiques, avec une certaine dangerosité pour ceux qui le fabriquent car le produit est inflammable. C’est le propriétaire de Revlon, Charlie Revson qui transposa en collaboration avec Abe Rosenbaum, une personne expérimentée dans le domaine des peintures, la technologique des vernis cellulosiques aux vernis à ongles. Nous étions alors dans les années 30. Abe Rosenbaum a été un acteur très important dans l’histoire du vernis à ongles car c’était une sorte de "magicien" du vernis. Il a collaboré à tous les projets importants de vernis.

J’ai eu l’opportunité à la suite de mon départ de chez HR de rencontrer une société américaine Kircker spécialiste du vernis à ongles et dirigée par Mr Bier. Après être avoir pris une participation dans cette société, j’ai contribué au développement de leur activité en Europe. Nous avions deux entités en Belgique : Parbel, spécialisé dans les produits de maquillage (RAL – mascara – ombre à paupière) et Promoter, active dans le vernis à ongles. Au départ, Promoter importait des USA les bases de vernis à ongles ainsi que les solutions colorées permettant, une fois mises ensemble, de réaliser un vernis à ongles. Les américains étaient en avance sur la technologie des vernis à ongles et utilisaient déjà un agent de suspension : la bentone, qui assure une suspension des pigments dans le produit et évite ainsi qu’ils ne tombent au fond du flacon. Les vernis américains étaient décrits comme des "vernis modernes". Ils maîtrisaient également la préparation des dispersions pigmentaires, qui est un poste important du processus de fabrication.

Promoter a fabriqué des vernis à ongles au centre de Bruxelles jusque dans les années 90, date à laquelle nous avons alors décidé de construire au Luxembourg une unité de production de nos propres bases de bases de vernis à ongles pour ne plus dépendre de celles des américains, mais aussi des variations du cours du dollar. Ces développements ont été conduits en collaboration avec Mr Djelassi.

En 1990, Promoter fabriquait 500 à 600 tonnes de vernis par an. La nouvelle société luxembourgeoise devient alors International Lacquers. Son début a été marqué par un accident industriel nous obligeant à une reconstruction et une fabrication durant quelques mois en Allemagne.

À la fin des années 90, j’ai quitté mes activités industrielles pour me consacrer à du conseil. (Mike Kliffer a été entre autres consultant pour Kao France)

Selon vous, quels ont été les faits marquants au niveau des vernis à ongles ?

Mike Kliffer : Un des premiers faits marquants a été l’introduction des bentones comme agent de suspension dans les vernis à ongles, qui a permis la résolution de nombreux problèmes techniques. Ensuite, l’évolution des contraintes réglementaires nous a amenés à substituer peu à peu les matières dangereuses comme le toluène, les résines formaldéhydes, les phtalates. Par ailleurs, la démultiplication des teintes, l’introduction de paillettes, de nacres, le besoin d’avoir des vernis qui sèchent vite, applicables en une seule couche, font que les formules sont devenues très complexes et bien loin des premières qui souvent étaient composées d’une petite dizaine d’ingrédients. Le vernis à ongles est aujourd’hui un produit incontournable dans une gamme de maquillage, c’est un produit très lié à la mode, au besoin des femmes de se mettre en valeur, de finaliser une tenue. Il y a 20 ans, les présentatrices de télévision avaient des ongles transparents, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Par contre, le vernis est toujours resté sur base nitrocellulosique qui a l’avantage de former un film poreux laissant respirer l’ongle. Les vernis à l’eau ont peu de succès car encore déceptifs. L’odeur, la qualité de tenue, les couleurs disponibles ne sont pas optimales.

Pour finir, pouvez-vous nous faire un inventaire à la Prévert sur le produit qui vous a le plus marqué ? Celui dont vous êtes le plus fier ? Votre meilleur flop ? Une anecdote marquante ?

Mike Kliffer : Le rouge noir de Chanel a été très osé. Je suis également très content d’avoir contribué au succès du mascara Long Lash d’Helena Rubinstein, avec une tige filetée mais aussi des creamy eye shadow qui apportaient un maquillage tenace et résistant. Un flop a été une teinte de mascara qui est devenue en raison d’un pH trop acide "couleur caca d’oie".

Sinon, nous avions développé un mask peel off pour les hommes dont la durée de pause était de 20 min. Interrogé par une journaliste de Paris Match interloquée par cette durée à ses yeux trop importante, je lui répondais qu’elle correspondait à celle du concerto n°3 de Rakmaninoff et que l’application du produit pouvait ainsi être un moment agréable. En finalité, nous n’avons pas vendu un seul mask peel off mais le concerto n°3 fut en rupture.

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