La pratique du rasage est souvent, pour ne pas dire presque automatiquement, associée à l'utilisation de produits qui permettent soit de le faciliter, soit de le compléter, soit de tenir compte de problématiques spécifiques et particulières. Dans cette contribution, consacrée aux liquides, poudres, savons et crèmes à raser, nous allons voir progressivement les différentes typologies de produits utilisés dans ces pratiques.
L'utilisation de produits facilitant le rasage n'est pas répertoriée dans la préhistoire, bien qu'on ait retrouvé des rasoirs dans les bronzes du Néolithique, en Europe ou chez les Esquimaux. On sait que les Égyptiens fabriquaient déjà des produits similaires au savon : un document médical daté de 1500 avant JC., le Papyrus Ebers, décrit l'association d'huiles végétales et de sels alcalins pour former une matière proche du savon destinée à l'hygiène et aux soins des maladies de peau.
Un produit de rasage est un produit qui doit permettre un rasage facile, en douceur, sans douleurs ni coupures, limiter les irritations, prévenir l'apparition de boutons liés à la repousse du poil sous la peau. L'histoire et l'évolution technique des produits de rasage sont indissociables de l'évolution des outils et des pratiques de rasage. Bien plus tard, les produits après-rasage viendront compléter l'ensemble de l'offre en la matière.
Les premières utilisations de produits mentionnent l’eau comme élément facilitant le rasage, mais, très vite, l’ajout de savon prend place dans les pratiques courantes. Le savon permet de "mouiller" le poil plus efficacement et apporte un effet lubrifiant pour les couper sans blesser la peau.
Ces effets "mouillant" (permettant de ramollir le poil) et "lubrifiant" sont les points essentiels de ces catégories de produits. Une fois le poil et la peau mouillée, avec de l'eau chaude éventuellement pour dilater les pores, on applique un produit de rasage qui, d'une part, maintient une bonne hydratation du poil et, d'autre part, protège la peau de l'agression de la lame.
Les produits à raser ont un rôle bien défini dans l’opération de rasage. Ce rôle est dû à quatre actions principales :
• détergente : le produit débarrasse le poil des salissures et de l’huile ou du sébum naturellement présent à la surface de la peau, l’action tranchante est facilitée ;
• mécanique : la mousse développée tend à maintenir le poil dans la position redressée, sinon, celui-ci resterait couché sur la peau et le rasoir glisserait dessus ;
• émolliente et lubrifiante : les produits contiennent des substances actives permettant de ramollir le poil et le rendre moins résistant ;
• protectrice : les produits contiennent des substances traitantes qui forment un film protecteur empêchant le rasoir de trop racler la couche superficielle de l’épiderme (couche cornée).
L'eau
La règle de base du rasage est "l’hydratation". En effet, le poil mouillé est plus tendre (comme les cheveux après un bain). Cette tendresse rend le rasage plus facile, demandant ainsi moins de passages de la lame et, en conséquence, moins d'irritations.
Le premier produit de rasage utilisé par l'homme préhistorique est assurément l'eau. Le poil s'attendrit à son contact prolongé. Le poil immergé finit par perdre son enveloppe de sébum, permettant à l'eau de pénétrer dans sa structure pour le ramollir. Ce changement des propriétés physiques le rend plus tendre et plus facile à couper.
L'eau reste à notre époque le produit de préparation essentielle du rasage. Mais si elle change la nature du poil à couper, elle apporte cependant assez peu de lubrification de la peau sous la lame. Si c’est le produit le plus simple à utiliser, ce n’est pas le plus courant.
L'huile
La Rome Antique améliore la technique en faisant suivre le mouillage du poil d'une application d'huile d'olive. Agissant comme une huile de coupe, celle-ci assure la lubrification nécessaire au glissement de la lame sur la peau. Elle réduit les frottements entre la lame et la peau, permettant à celle-ci de rester mieux tendue et de présenter moins d'aspérités susceptibles d'être coupées. L'huile d'olive assure également une hydratation bénéfique à l'épiderme. Cette amélioration présente cependant un inconvénient majeur : la nature grasse de l'huile rend le rinçage très difficile à l'eau, et la sensation d’après-rasage est assez inconfortable. Cette pratique est progressivement abandonnée, même si certaines huiles de rasage sont encore commercialisées.
Le retour à des produits plus naturels et en apparence moins techniques a permis le développement contemporain d'huiles de rasage fonctionnant selon le même principe que l'huile de l'Antiquité.
Les huiles de rasage offrent une lubrification améliorée par rapport à l'huile végétale utilisée dans l'Antiquité, mais leur composition peut rendre le rinçage de la peau difficile. Il peut également se faire que la matière épaisse formée par le mélange de l'huile et des poils coupés obstrue plus facilement l'espace entre les lames, rendant le rasage plus difficile.
Un exemple de formule de 2015
CAPRYLIC/CAPRIC TRIGLYCERIDE, GLYCERIN, OLEA EUROPAEA (OLIVE) FRUIT OIL, AQUA (WATER), SUCROSE LAURATE, SUCROSE STEARATE, PARFUM (FRAGRANCE), VACCINIUM VITIS-IDAEA FRUIT EXTRACT, RUBUS CHAMAEMORUS FRUIT EXTRACT, RUBUS ARCTICUS FRUIT EXTRACT, CITRIC ACID, LIMONENE. |
Les poudres
Elles ont connu une période d'utilisation, principalement au début du XXe siècle. Elles sont destinées à faciliter la glisse du rasoir sur la peau. Composées essentiellement de talc ou de poudres minérales ayant des coefficients de friction très bas, ou encore de savons en poudre additionnés de détergents, elles sont d’un usage plus traditionnel que réel. Dédiées principalement au rasage humide, elles peuvent également être utilisées avec des rasoirs électriques dans le cas des poudres à base de talc.
Le savon à barbe
La découverte du savon et de sa capacité à monter en mousse quand il est mélangé à l'eau est une étape importante dans l'histoire des produits de rasage. Travaillée à l'aide d'un blaireau, la brosse monte la mousse, que le savon rend épaisse et durable. L'effet obtenu est double.
• L'action lipophile et tensioactive du savon permet de débarrasser le poil du sébum qui l'entoure et le rend perméable à l'eau, ce qui améliore son hydrophilie. Le poil est mieux hydraté.
• L'eau peut pénétrer le poil et le ramollir pour faciliter sa coupe.
Le poil doit être maintenu au contact de la mousse pendant quelques minutes pour que le rasage soit réellement facilité. Par ailleurs,
la mousse de savon offre une relative lubrification à la lame.
Le savon à barbe a été décliné sous différentes formes à partir de ce concept de formulation. Les différences portaient essentiellement sur la quantité de savon présente dans la préparation, qui intervient directement dans l’aide au rasage.
Dit autrement, les savons sont plus efficaces dans l’aide au rasage qu’une mousse à raser. Mais, quoiqu’il en soit, le niveau de performance de ces différents produits est satisfaisant et permet un rasage facile.
Le tableau ci-dessous permet de comparer les différences de formulation entre ces différents produits.
Ingrédients | Savon | Crème | Mousse |
Acide laurique |
18 | 10 | 1 |
Acide palmito-stéarique |
65 | 30 | 5,7 |
Glycérine |
5 | 10 | 1,9 |
TEA | - | - | 2,85 |
KOH | 4,3 | 2,4 | - |
NaOH | 1,7 | 0,6 | - |
Eau | 6 | 4,7 | 83,6 |
Butane/Propane | - | - | 5 |
Le "savon à barbe"
Le savon à barbe proprement dit se présente principalement en bloc (sous forme de stick ou parfois dans un bol), ou en pâte (en tube similaire au dentifrice) et, dans des cas plus rares, sous forme de poudre.
Son apparition se fait industriellement à partir de 1830. Il se compose d’une forte concentration de savon. Les savons de soude sont privilégiés pour donner de la consistance au bloc et permettre leur fabrication, soit par coulage et frappe, soit par formation directe des sticks.
La crème à raser
Véritable alternative au savon à barbe, ce type de produit a connu également un franc succès. Il existe deux variétés différentes : avec et sans blaireau.
Dans les deux cas, il s'agit d'émulsions généralement à phase aqueuse continue, contenant une assez forte quantité de savon.
Comme pour le savon à barbe, il s'agit de mouiller et d’imprégner convenablement le poil pour en faciliter la coupe et le rasage.
Les savons utilisés dans ces préparations sont généralement des stéarates d’alcalis courants, soude ou potasse, mais où les savons de potasse sont privilégiés pour obtenir des textures plus molles et plus souples. La concentration en savon est relativement élevée, au minimum de l'ordre de 40 %.
Les autres constituants sont des émollients pour faciliter la glisse, et des humectants comme la glycérine pour que la crème ne sèche pas et que cela permette une meilleure hydratation du poil et de la peau.
Exemple de formulation :
Aqua/water
|
- |
Stearic acid: saturated fatty acid |
34 |
Myristic acid: saturated fatty acid |
6 |
Potassium hydroxide: inorganic base |
18 |
Sodium hydroxide: inorganic base |
3 |
Coconut acid: triglyceride |
7 |
Glycerin: polyol or sugar alcoho |
10 |
Perfumr : additive |
2 |
Water |
Up to 100 |
Source : Handbook of Cosmetic Science and Technology – 1st Edition – 1993 |
Ces produits présentent généralement un aspect nacré qui est obtenu à partir d'une technique de formulation un peu particulière. Elle consiste à neutraliser partiellement les acides gras présents dans la préparation de façon à favoriser leur recristallisation sous forme de très fines structures générant un effet de nacrage. Cet effet se développe progressivement dans le temps, ce qui a conduit dans le passé à ce que ces produits fassent l'objet d'une phase de "maturation" avant remplissage dans les tubes. Ceux-ci étaient souvent métalliques, mais compte tenu des risques oxydation, ils ont été progressivement remplacés par des tubes plastiques.
Les crèmes à raser sans blaireau (dites brushless) répondent à la même logique de formulation, avec une forte concentration en savon pour ramollir le poil. Toutefois, une concentration un peu plus importante d’émollients et d’humectants est rendue nécessaire pour permettre un rasage facile et compenser l’absence de l’effet du blaireau.
Stearic acid |
18 |
Coconut fatty acid |
2 |
Propylene gycol diperlagonate |
4 |
Lanolin oil |
1 |
Dow Corning wax F157 |
1 |
Water |
Up to 100 |
Propylparaben (and) Methyl paraben |
0,2 |
Glycerin |
6 |
Borax |
0,5 |
Potassium hydroxide |
0,2 |
Sodium hydoxide |
0,15 |
Triethanolamine |
0,5 |
Source Henkel Corp sur www.happy.com - 2000 |
À suivre ……
Contribution réalisée par Jean Claude Le Joliff
Biologiste de formation, Jean Claude Le Joliff a été un homme de R&D pendant de nombreuses années. Successivement en charge de la R&D, puis de la Recherche et de l’Innovation dans un grand groupe français de cosmétiques et du luxe, et après une expérience de création d’un centre de recherche (CERIES), il s’est tourné vers la gestion de l’innovation. Il a été par ailleurs Professeur associé à l’Université de Versailles Saint Quentin (UVSQ) et reste chargé de cours dans le cadre de plusieurs enseignements spécialisés : ISIPCA, IPIL, ITECH, UBS, UCO, SFC etc. Il est le fondateur de inn2c, société de conseil en R&D et Innovation. Consultant auprès de plusieurs sociétés internationales, il a participé activement à des projets comme Filorga, Aïny, Fareva, et bien d’autres. Il a créé la Cosmétothèque®, premier conservatoire des métiers et des savoirs faire de cette industrie. |