Depuis 30 ans, Florence Bernardin, fondatrice du cabinet de tendances Informations Inspirations, s’intéresse au marché asiatique et plus particulièrement à la façon dont la beauté est consommée. Véritable experte du sujet, elle a décrypté les habitudes de consommation et les tendances cosmétiques lors d’un événement organisé par le CEW, le 24 septembre à Paris.
Comprendre le marché asiatique n’est pas toujours chose aisée. Cela fait des années que Florence Bernardin et son équipe se rendent sur place, visitent les magasins, interrogent les consommateurs et achètent des produits afin d’avoir un regard le plus actuel possible sur la beauté asiatique.
D’un pays à un autre, les consommateurs ne sont pas les mêmes et n’envisagent pas la cosmétique de la même manière.
Lors de sa présentation, Florence Bernardin a choisi de se focaliser sur le Japon, la Corée, la Chine et l’Indonésie/Malaisie.
Le Japon
C’est un pays mature. Plus de 50 % des femmes ont plus de 50 ans, “le secteur est drivé en majorité par l’aging care”, analyse l’experte. “Mais c’est un marché qui tend à devenir de plus en plus disruptif”.
Pour les Japonais, la beauté vient aussi de l’intérieur. “Les femmes ressemblent de plus en plus aux Occidentales, dans leur façon d’être apprêtées. Elles ne sont plus en total look Chanel comme il y a trente ans et elles prônent un certain retour au minimalisme. On le voit d’ailleurs avec le succès grandissant de Marie Kondo ou encore la marque de lifestyle Muji”.
Point important, la beauté japonaise rime avec science.
En effet, la recherche nippone avance molécule par molécule, produits par produits. “Mais à chaque fois, leurs découvertes bousculent le monde la science et de la beauté”.
L’efficacité des produits au service des consommateurs est primordiale.
D’ailleurs, cela se ressent aussi bien dans la qualité des produits que dans la façon dont ils sont vendus.
Au Japon, chaque marque recrute et forme ses propres vendeuses.
Elles doivent passer des examens tous les ans pour pouvoir être augmentées et elles sont vraiment le reflet de la société cosmétique que les clientes viennent voir quand elles ont besoin d’une information.
Aussi sérieuses soient-elles, les consommatrices japonaises sont originaires du pays qui a inventé le ”kawaï”. (terme japonais qui signifie “mignon”, ndlr).
Alors même à 50 ans, elles apprécient que certains de leurs produits soient désignés avec une pointe d’infantilisme.
Enfin, c’est un pays qui fait la promotion du “Made in Japan”.
C’est un phénomène relativement récent selon Florence Bernardin. “Si l’on regarde les produits Shiseido, par exemple, beaucoup ont des noms à consonance française. Mais aujourd’hui, ce sont les cosmétiques de leur propre pays que les Japonais veulent car une véritable manne touristique s’est développée. Le Japon booste son économie. On le voit avec le Mondial de rugby, les Jeux Olympiques en 2020. Les touristes viennent aussi découvrir l’expertise japonaise”.
La Corée
C’est un marché jeune, né avec Internet et Instagram. Dans l’imaginaire collectif, une Coréenne ressemble à une fille branchée avec des vêtements à la mode, contrairement au Japon qui renvoie vers une image plus historique, plus millénaire.
La Corée a inventé le ”Glow”, ce principe de brillance et de radiance sur le visage.
“On est vraiment dans cette idée de lumière qui va illuminer le visage. C’est également le pays du ’show’. Une jeune femme, à 20 ou 25 ans, doit être au pic de sa beauté. Elle doit être belle pour l’extérieur. Pour y parvenir, elle use de maquillage et de soins mais elle a également recours à la chirurgie esthétique, bien souvent offerte par les parents. Les Coréennes sont aussi adeptes du ’layering’ et peuvent superposer jusqu’à dix produits sur leur visage. D’ailleurs, on entend souvent là-bas la phrase d’Helena Rubinstein : ’il n’y a pas de femmes laides, il n’y a que des femmes paresseuses’”.
On y prône d’ le culte de la “beauté idéale”. Les Coréennes sont une référence aussi bien en Inde qu’en Asie du Sud-Est.
Les plus belles sont les hôtesses de l’air de Corean Airlines, et bien souvent ces jeunes femmes finissent par percer dans le monde du cinéma.
C’est un marché qui est drivé par l’innovation pour séduire cette jeunesse consommatrice.
Ce qui n’est pas dur étant donné que la majorité de la sous-traitance se fait en Corée. Toutes les grandes marques viennent y faire leur brief, ainsi les Coréens ont toute la matière pour être les plus en avance. “Leurs innovations ne relèvent pas de la découverte scientifique comme au Japon, mais plutôt dans les concepts ou dans les packagings. Tout est fait pour donner envie de consommer. On parle aussi de naturalité, mais retwisté et qui tend plus du greenwashing qu’autre chose”, indique Florence Bernardin.
En termes de retail, la Corée est reine. Les gens ne se reçoivent pas chez eux, ils se voient dans les magasins.
Il est donc monnaie courante de trouver des enseignes qui, en plus de vendre leurs produits, proposent des services de restauration et lifestyle.
En résumé, ce pays, dont la densité démographique n’est pas si élevée (51 millions, ndlr), est un incontournable en termes de beauté et d’innovation. Il draine des touristes du monde entier, de l’Asie du Sud-Est, à la Russie en passant par l’Australie.
La Chine
C’est également un marché très jeune. La consommatrice moyenne est âgée de 22/23 ans, elle entre dans la vie active.
Elle a les moyens et donc elle veut du résultat. Étant donné qu’elle se donne corps et âme à son métier, elle n’a pas le temps de prendre soin d’elle.
De ce constat est né le concept de “Lifestyle Beauty” ou comment optimiser son temps quand on dort ou quand on est sous la douche.
Les cosmétiques doivent s’adapter au rythme de la Chinoise et non l’inverse.
Paradoxalement, en Chine, on considère que l’on vieillit à partir de 17 ans, le marché est donc drivé par le “early aging care”.
Bien sûr, on ne parle pas de rides mais de dilatation des pores, de tâches cutanées ou encore de chute de cheveux.
“C’est le pays des réseaux sociaux et d’Internet. Les consommatrices suivent les influenceurs, partagent leurs avis sur les produits”, détaille Florence Bernardin. “Beaucoup de choses se passent en ligne, le marché chinois est saturé par la guerre des clics. D’ailleurs, tout le pays se prépare au 11 novembre, le ’jour des célibataires’ où les ventes en ligne sont absolument spectaculaires”.
Enfin, comme au Japon, on observe une montée en puissance de la fierté locale.
Beaucoup de produits sont estampillés “Made in China”, de plus en plus qualitatifs et capables de rivaliser avec la concurrence.
L’Indonésie et la Malaisie
Encore une fois, un marché très jeune qui a de plus en plus accès à la consommation et qui est sous influence des réseaux sociaux.
80 % de la population de ces pays étant musulmane, la beauté des femmes se concentre sur le visage et sur les mains.
Pour séduire ces jeunes femmes, le maquillage doit être facilement lavable car elles doivent se démaquiller et faire leurs ablutions avant chaque appel à la prière. Mais il doit aussi être résistant au climat humide et aux températures élevées.
“On entend beaucoup parler des menstruations en ce moment. S’il y a bien un endroit où les femmes sont heureuses d’avoir leurs règles, c’est dans les pays musulmans. Elles ne peuvent pas faire leur prière et peuvent donc rester maquillées”, explique l’experte.
Les consommatrices sont également “selfie addict”.
Elles aiment partager des photos d’elles et revendiquent leur religion.
Cela fait partie de leur façon de vivre et elles en sont fières.
“Attention, bientôt pour être autorisés sur le marché indonésien, tous les cosmétiques devront être labellisés hallal”, indique Florence Bernardin.
Ces marchés, tous aussi différents les uns des autres représentent de belles perspectives de développement pour les marques françaises.
Mais avant de partir à l’assaut, il est impératif de bien les comprendre afin de répondre aux mieux aux attentes de ces consommateurs exigeants.
À suivre
• Focus sur les tendances cosmétiques en Asie