Depuis quelques temps, le secteur de la cosmétique conventionnelle est bousculé par de jeunes entrepreneuses. Fortes d’idées et de concepts novateurs, elles sont bien décidées à imposer leur vision de la beauté. Lucile Battail, spécialiste de la cosmétique fraiche et fondatrice de la marque Laboté, est l’une d’elles. Portrait.
C’est au cœur de la très chic rue Madame, dans le 6e arrondissement, que se niche la boutique Laboté. véritable petit écrin de douceur. Outre son design pop et acidulé, l’espace de vente attire l’œil du badaud. Pourquoi ? À cause du laboratoire que l’on voit en devanture et dans lequel s’affaire une jeune femme en blouse blanche, devant une paillasse remplie de matériel scientifique.
La curiosité, poussée à son paroxysme, amène à pousser la porte. C’est alors que tout prend son sens. Laboté propose des produits de beauté personnalisés, faits sur-mesure et fabriqués à la demande. Ici, pas de conseillère classique, chaque client est reçu par une pharmacienne pour réaliser le diagnostic de peau et cibler les problématiques cutanées afin de proposer le meilleur soin qui soit. Détail so chic, il est possible de choisir le parfum de son soin, son intensité, la texture et également la couleur des étiquettes (pour matcher parfaitement avec sa salle de bain). La crème est ensuite réalisée par des chimistes de profession dans le laboratoire de la boutique, en seulement sept minutes.
Les actifs sont garantis frais. Laboté commande ses ingrédients en flux tendu et en petite quantité. Ainsi, les ingrédients sont au maximum de leur efficacité.
Derrière ce process qui va à l’encontre de la production industrielle, se cache Lucile Battail. Du haut de ses 28 ans, elle a les épaules solides et la tête bien remplie. Docteur en pharmacie, diplômée d’HEC et entrepreneur, elle raconte avoir toujours su ce qu’elle voulait faire. "Enfant, je faisais des petites potions, dans une cabane, au fond de mon jardin avec mes frères et sœurs. Ça n’allait pas chercher très loin, c’était quelques pétales de fleurs dans un peu d’eau. J’ai toujours eu une appétence pour la botanique, le laboratoire et faire des expériences", se souvient-elle.
Une fois le bac en poche, elle se lance dans des études de pharmacie. Le but ultime : ouvrir sa propre pharmacie. Rapidement, elle se rend compte qu’en raison de la réglementation sévère du secteur, elle risque d’être bridée dans sa créativité si elle décide d’avoir son officine. Elle réoriente donc ses études dans la recherche, et là, c’est la révélation. "J’ai d’abord fait des médicaments puis des cosmétiques. Pour une chimiste qui aime être au cœur des mélanges, faire une crème, c’est ce qu’il y a de plus dur et de plus fragile comme système. Quand j’ai commencé à faire des expériences au laboratoire pour de la cosmétique, j’ai vraiment eu le déclic", explique-t-elle.
Lucile Battail termine ses études. Bien déterminée à se lancer en cosmétique, elle est à la recherche d’une idée nouvelle. Travaillant dans une pharmacie, c’est en conseillant une cliente qu’elle commence à mûrir son projet." Elle souffrait d’eczéma et ne supportait plus le moindre soin sur sa peau. Rien ne lui convenait et ça faisait déjà deux fois qu’elle venait me voir. Je lui avait conseillé deux gammes différentes de dermo-cosmétiques, en vain.
J’ai décidé de regarder les listes INCI et me suis rendu compte qu’à chaque fois, il y avait un allergène ou un conservateur en commun. Quand j’ai cherché des cosmétiques dans lesquels ces ingrédients ne figuraient pas, je n’ai pas trouvé. Là, je me suis demandé pourquoi dans tous les cosmétiques que j’avais à disposition, il figurait toujours un ingrédient à problème ?
J’ai fini par comprendre que le souci était lié au process industriel. Quand on fabrique des cosmétiques en grande quantité, que l’on veut se laisser le temps de les acheminer chez les distributeurs, de les vendre et que le client final puisse en profiter, on n’a pas d’autre choix que de mettre des conservateurs et beaucoup de parfum, potentiellement allergènes. À ce moment, j’ai compris que la solution serait d’avoir une sorte de laboratoire dans lequel il me serait possible de préparer des crèmes pour les clients, en temps réel", relate Lucile Battail.
Plus facile à dire qu’à faire ! La jeune femme s’engouffre dans une phase de recherche longue de deux ans. Elle raconte ne pas s’être "rendue compte de suite que c’était difficile de formuler des émulsions personnalisées en quelques minutes seulement. De plus, c’est bien beau de vouloir faire des crèmes sur-mesure, il faut être capable de savoir exactement ce qu’il faut pour chaque cliente. Ce travail a été réalisé en collaboration avec des dermatologues et des ingénieurs développeurs pour mettre au point un algorithme solide et fiable".
Alors que le concept commence à être bien rodé dans l’esprit de Lucile Battail, elle décide de faire un petit saut par HEC pour apprendre à monter et gérer une société. À la fin de son parcours, elle entre dans l’incubateur de start-up de l’école, une opportunité qui lui permet de lancer officiellement le projet.
Côté financement, elle obtient, entre autres, le soutien d’Otium Capital (fond d’investissement pour start-up). L’important apport d’argent lui permet, en avril 2017, d’ouvrir sa première boutique et de constituer une équipe de choc, comme elle aime le préciser. L’aventure commence, Laboté est en marche !
Le succès est au rendez-vous puisque seulement deux mois après son ouverture, l’entreprise connaît son premier mois de rentabilité.
Et la sécurité dans tout ça ?
On l’a bien compris, le nerf de la guerre pour Lucile Battail, ce sont les conservateurs. Elle précise que "dans les soins Laboté, on retrouve des ingrédients qui stabilisent la formule comme le Propanediol ou la Glycérine. Ce ne sont pas des conservateurs à proprement parler mais ils permettent de diminuer l’activité de l’eau dans l’émulsion, principal facteur de risque de développement bactérien.
L’activité de l’eau a été baissée au maximum afin d’avoir une sécurité du produit pendant trois mois, même si l’on plonge le doigt dans le pot quotidiennement".
La traçabilité est également un des points d’orgue de la méthodologie de travail mise en place par Lucille Bataille. Elle sait avec quel lot d’ingrédients chaque soin est formulé de façon à assurer une fiabilité et mettre en place des mesures de rappel en cas de nécessité.
La cosmétique fraîche étant un secteur nouveau, la fondatrice de Laboté s’est rapprochée de la FEBEA (syndicat des professionnels de la beauté) et a participé à des ateliers dans le but d’éditer des lignes directrices relatives aux bonnes pratiques de fabrication, indispensables pour assurer l’innocuité des cosmétiques.
Chez Laboté, on ne joue pas avec la santé du consommateur.
Quand on demande à Lucile Battail comment elle voit le futur de la marque, elle nous parle du développement de nouveaux produits (sans être pour autant dans la surenchère) mais surtout d’ouvrir rapidement de nouveaux points de vente, 30 dans cinq pays pour être plus précis. Des nouvelles adresses parisiennes devraient éclore courant 2018.
Une dernière question, pourquoi avoir choisi ce nom ? Un sourire aux lèvres, elle explique "qu’après avoir brainstormé pendant des heures, ce nom est sorti. C’est la contraction entre laboratoire et beauté, l’essence même du concept. Il a été retenu, au grand dam de ma mère. Pour elle, il était impensable que ma marque soit mal orthographiée".
Ce néologisme ferait sans doute pâlir l’Académie Française, mais peu importe, nous sommes sous le charme !
JS