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jeudi 20 février 2014Congrès

Bactérie, mon amie… mon avenir cosmétique ? (3e partie)

© Thinkstock-L'Observatoire des Cosmétiques

Le microbiote, au centre de la présentation de Marie-Alice Dibon et Maryelle Allemand aux Matinales de la Cosmétique, est porteur de possibles bouleversements pour le monde cosmétique. La notion de "bonne bactérie" ouvre des perspectives, pour quelques-unes d'entre elles déjà débroussaillées, pour d'autres à totalement inventer. Jean-Claude Le Joliff apporte ici sa contribution au débat et, en bon spécialiste qu'il en est, quelques idées d'innovations.

Temps de lecture
~ 6 minutes

Permettez-moi de me mêler aussi modestement que possible au débat qu'ont initié les deux brillantes prospectivistes et dont l'Observatoire des Cosmétiques s'est fait l'écho sur cette notion de la "bonne bactérie". Si je me permets cette irruption, c'est que ce sujet, à défaut de le connaître parfaitement bien, a retenu mon attention depuis de nombreuses années.

Il est particulièrement intéressant car il pourrait déboucher sur un nouveau paradigme en matière de conception de produit cosmétique. Ce nouveau paradigme serait d'envisager de contaminer les produits pour les rendre plus adaptés ! J'entends d'ici les commentaires…

Probiotiques et microbiome

Mais revenons un peu plus précisément sur le contexte. À la base de cette hypothèse, deux séries de considérations, sur les probiotiques et le microbiome.

Les probiotiques
Ce secteur d'activité fait l'objet d'une recherche assez soutenue par de nombreuses équipes académiques autant que privées. Ces recherches visent à la mise au point de stratégies de prise en charge sur la base de probiotiques. En 2001, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) ont donné une définition officielle des probiotiques : ce sont des " micro-organismes vivants qui, lorsqu'ils sont ingérés en quantité suffisante, exercent des effets positifs sur la santé, au-delà des effets nutritionnels traditionnels" . Les travaux de ces équipes font l'objet de débats dans le cadre de plusieurs manifestations dont Probiotec, devenue depuis Probiota, qui vient d'avoir lieu à Amsterdam . Une communication traitait d’ailleurs des cosmétiques :
• Cosmetic research and applications – Recherche et applications cosmétiques,
Gut-skin microbiota – Microbiote intestinal-cutané,
• Probiotics for reactive skin – Les probiotiques pour les peaux réactives,
• Using probiotics to mitigate dandruff – Utiliser les probiotiques pour combattre les pellicules,
• Using probiotics to address photodamage – Utiliser les probiotiques pour traiter les dommages photo-induits.

Le microbiome
C'est cette recherche internationale visant à faire l'inventaire des microorganismes (c’est le microbiote) et de leur rôle dans l'écosystème humain. Cela représente un ensemble de recherches couvrant à la fois la caractérisation, mais aussi une recherche génomique des bactéries colonisant l'organisme humain ou animal. Plutôt que de séquencer successivement les génomes de toutes les espèces bactériennes, on utilise les méthodes de la métagénomique, applicable à un écosystème complet. Cela conduit également à en faire un inventaire précis. Comme il a été rappelé, plusieurs avancées spectaculaires ont déjà été proposées.

La conjonction des deux, en croisant la route de la conservation antimicrobienne, vient de mettre ce domaine sous les feux de l'actualité. Il est tout à fait légitime d'envisager de contaminer volontairement les produits, tout du moins certains, comme l'ont déjà suggéré plusieurs spécialistes, pour contrôler les germes pathogènes et indésirables. Mais ça va plus loin.

Car cela conduit à envisager plusieurs conséquences.

La fin de la recherche de la stérilité

Cette approche mettrait tout d'abord fin au paradigme actuel, défendu avec force par les tenants du conformisme, et qui veut que les produits doivent être stériles, ou presque, pour éviter des problèmes. Ceci a conduit à la tyrannie du "challenge test" et du dosage intempestif des conservateurs antimicrobiens dans de nombreux produits. La partie émergente de l'iceberg a été la crise des parabens.
Reconsidérer ce dogme permettrait peut-être d'envisager d'autres solutions que celles connues à ce jour. Comme l’a suggéré Maryelle Allemand, des designers se sont déjà engagés dans la voie des créations "vivantes" qui utilisent bactéries. C’est de ça dont on parle.

En prolongement de cette idée d'écosystème cutané, n'oublions pas celle qui est que la peau fabrique elle-même ses propres armes antimicrobiennes, les défensines (Prix de recherche CERIES 1998), et autres molécules antibiotiques peptidiques de grande spécificité. Plusieurs substances permettant l’expression de ces molécules au niveau de la peau sont disponibles (BASF, SILAB entre autres).

Dans les exemples d'application récents et connus, plusieurs prennent le contre-pied de l'usage de bactéricides et substances de ce type. Je n'en veux pour exemple que les dentifrices anti-carie à base de bactéries déjà sur le marché aux USA, alors qu’il était plutôt d’usage d’essayer de tuer le germes. Le nouveau paradigme s'articulerait donc autour de la vie plutôt que de la stérilité !

La stabilisation

L’une des questions centrale de ce type de démarche réside dans le contrôle des contaminations et leur stabilité. La stabilisation d'espèces bactériennes dans des milieux de formulation constitue, certes, un problème, mais plusieurs équipes travaillent sur cette question. Pour pallier ces inconvénients, l’équipe EBInnov de l’École de Biologie Industrielle, en association avec la société Kloarys Développement, a proposé une approche raisonnée qui a obtenu le label de la Cosmetic Valley : le projet Ecosmetic . Elle consiste en la sélection d’ingrédients permettant la survie de germes anaérobies pendant plusieurs mois. D’autres projets du même type existent, devant déboucher sur des solutions techniques applicables.

Vers l'immuno-cosmétique

En plus, cette idée de la bonne bactérie permet d'envisager un concept intéressant que l'on peut appeler "l'immuno-cosmétique". En effet, par analogie avec la muqueuse intestinale, la peau, qui présente de nombreuses similitudes avec l'épithélium intestinal, est un organe sécrétoire. Lui faire produire sous l'effet de micro-organismes correctement sélectionnés, des messages tissulaires pouvant avoir des effets bénéfiques, ne relève pas de l'utopie. Je n'en veux pour exemple que les remarquables travaux menés en son temps par une équipe de Sanofi (sujet d'une prochaine publication de la Cosmétothèque) ayant conduit à la démonstration que l'on pouvait induire, par le biais de levures spécifiques, l'expression d'interleukines particulières conduisant à l'accélération du "turn over" épidermique. Une sorte de peeling sans acide ! Tout le monde ou presque a oublié ça, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire.

Pour une nouvelle "cosmétique bio" ?

Enfin, tout ceci pourrait constituer la première étape d'une approche de l'intégration de la notion de biorémédiation dans le monde de la cosmétique. Il y avait bien les graines de Moringa pour purifier, mais là, nous irions plus loin.

Ne serait-ce pas la naissance d'une vraie cosmétique bio ? Jusqu'à maintenant, cette notion ne faisait référence qu'à l'idée de l'origine des ingrédients. Mais utiliser les systèmes biologiques pour améliorer la performance serait bien plus élégant.

Jean-Claude Le Joliff

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