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mercredi 18 novembre 2015Créateurs

Yannick de Roeck-Holtzhauer, la Mme 100 000 volts du milieu cosmétique

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Pourquoi une contribution dédiée à Madame de Roeck ? Parce que quelques personnes ont jeté les bases d’une cosmétique scientifique et universitaire et que, le temps passant, on finit par oublier leur contribution, bien souvent déterminante. La formation nantaise est une des premières formations apparues en France avec Lyon et Paris, et il nous a semblé comme allant de soi de le rappeler. Madame de Roeck, qui l’a initiée, mérite aussi que l’on s’en souvienne. Cécile Couteau, Maitre de conférences à l'UFR de Pharmacie de Nantes, nous fait partager cette histoire. Jean Claude Le Joliff.

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Madame de Roeck, c’était un prénom d’homme qui permettait de voir s’ouvrir les portes de milieux encore marqués par la misogynie flottant dans l’air ambiant, des tailleurs mémorables, en cuir ou en daim de couleur bleu turquoise, des chaussures en forme de poulaine, aux couleurs assorties, des pulls non moins extraordinaires style Anny Blatt, des cheveux blonds relevés en "chignon choucroute", une mâchoire carrée signant un caractère bien trempé… Tels sont les éléments caractéristiques qui restent en mémoire de toute personne dont les pas ont croisé, un jour, ceux du célèbre professeur.

Tout a commencé en 1935 pour Yannick Holtzhauer. Un beau jour de 1935, les fées se sont penchées sur son berceau lui offrant généreusement l’intelligence, une volonté farouche et l’art de séduire son interlocuteur, quel qu’il soit. Quelques années plus tard, en admiration devant son père centralien, la petite fille aux longs cheveux bouclés se promettra de le rendre fier en réalisant une carrière exemplaire. Une maître de conférences de la Faculté de Pharmacie de Nantes – Anne Alliot pour ne pas la citer – nous confiera, bien des années plus tard, que leurs familles étaient liées et qu’elle a entendu parler très tôt de ce "phénomène" que l’on appelait Yannick. Son frère jouait fréquemment avec la petite espiègle qu’il s’amusait à enfermer dans un placard après avoir proclamé : "Elle est bête… Mais elle est bête…". Pas si bête que cela, rétorquait M. Alliot visionnaire : "Tu verras, Yannick, plus tard… elle t’étonnera…". De fait, le parcours de Yannick ne manqua pas d’en étonner plus d’un, par la suite.

Baccalauréat, études de pharmacie à la Faculté de Pharmacie de Nantes, thèse dans le service du Professeur Le Pollez : tout s’annonce plutôt bien pour cette jeune fille de la bourgeoisie nantaise qui passe bientôt des bancs de la faculté au pupitre du conférencier. Certes, l’enseignement l’attire mais c’est surtout la recherche qui trouve du prix à ses yeux. La jeune fille est décidée à sortir du lot. Cela ne se fera pas en douceur… comme on pourra le constater en lisant ces lignes. Le service de Pharmacie galénique est trop étroit pour la personnalité de la jeune femme, qui trouve en Michel Rouzet un adversaire de poids. Entre les deux enseignants, une bataille s’engage… Il n’y aura, semble-t-il, ni gagnant, ni perdant. Le service explose, chacun part de son côté, faire sa vie. Michel Rouzet reste seul maître à bord du service de Pharmacie galénique. Yannick, quant à elle, ouvre une nouvelle page de la Faculté en fondant le Laboratoire de Pharmacie industrielle et de Cosmétologie. "Séparés de corps", les deux enseignants mettent de la distance entre eux… la pharmacie galénique reste en plein centre-ville, la pharmacie industrielle se met au vert sur le campus de science dans un une sorte de préfabriqué de chantier. Dès cette époque, la pharmacienne s’intéresse à la cosmétologie, un domaine jugé de haut par bon nombre de ses collègues qui ricanent dans les couloirs, résumant la discipline à un amusement tout juste bon pour des "esthéticiennes". Elle ne coupe pourtant pas les ponts avec le domaine pharmaceutique puisque, lors du "divorce" avec Michel Rouzet, elle a réussi à négocier les cours de 1ère année des études pharmaceutiques en pharmacie galénique (elle lâche les travaux pratiques sans grande résistance), les cours d’homéopathie et de pharmacie vétérinaire. Responsable de la pharmacie de l’hôpital St Jacques de Nantes, expert auprès des tribunaux, la jeune femme, qui est maintenant secondée par son mari, ingénieur de formation, Hervé de Roeck, est décidée à laisser son empreinte dans le milieu cosmétique. Elle se tourne, en effet, délibérément, vers ce milieu où tout reste à faire. Dans cette optique, elle crée des diplômes qui formeront des techniciens et des cadres pour l’industrie cosmétique. Aidée de son ingénieur-maison, elle met au point des techniques permettant de mettre en évidence l’efficacité des produits cosmétiques. Verront ainsi le jour une machine à brosser les dents (de céramique…) pour quantifier le pouvoir plus ou moins abrasif des dentifrices, un profilomètre utile pour déterminer la profondeur des rides prises au piège dans une empreinte en silicone… Autant d’appareils ingénieux qui faisaient sourire le visiteur et terrifiaient le stagiaire qui, ouvrant par inadvertance un placard, se trouvaient face à une armée de dentiers menaçants !

Des lapins sont alors dorlotés avant de se voir enduire de crèmes, lotions ou autres cosmétiques… Laurence Coiffard, arrivée au laboratoire en 1987 en tant qu’assistant-associé (un statut qui n’existe plus de nos jours), a pour mission d’enseigner (Yannick a perdu petit à petit le goût de l’enseignement et délègue de plus en plus cette mission), de finaliser les contrats et de participer à la recherche du laboratoire. Elle accompagne également le maître dans les congrès et répond aux questions difficiles lorsque celles-ci se présentent.

Les tests d’irritation sont réalisés sans préjudice pour les animaux qui finiront leur vie à gambader dans un grand jardin du vignoble nantais (précisément à Château-Thébaud) avant de terminer en terrine ! Les contrats pleuvent. Yannick crée des associations permettant de recueillir des fonds : le CAEC (Centre Atlantique d'Études en Cosmétologie) et IRVALMER voient ainsi transiter de jolies sommes rondelettes. À la Faculté de Pharmacie de Nantes, les jalousies s’exacerbent car il ne fait bon réussir lorsque l’on n’a pas reçu l’aval de ses pairs. Yannick s’en soucie peu. Le préfabriqué du boulevard Eugène Orieux est jugé trop petit. Il y fait un froid polaire l’hiver et une chaleur torride l’été. Chercheurs, techniciens et stagiaires s’y entassent dans un joyeux (pas toujours !) pêle-mêle. Un certain désordre règne. Le four micro-ondes qui réchauffe les plats le midi est trafiqué par Hervé de Roeck pour permettre l’obtention d’huiles essentielles par micro-ondes, une grande première certes, mais il faut bien manger chaud l’hiver… Il faut faire quelque chose avant l’implosion.

Yannick a deux fils, Yann-Hervé et Emmanuel. Ce dernier fête son baccalauréat en 1988. Paternaliste, Yannick m’invite puisque je suis la sœur de Laurence afin de fêter le même évènement. C’est ainsi que je rencontre, pour la première fois, Mme 100 000 volts, entre deux biscuits apéritif. Il faudra attendre la fin de mes années d’études pharmaceutiques pour que je sois à nouveau confrontée au monstre sacré.

Le laboratoire déménage en périphérie de Nantes, à Saint-Herblain, rue du moulin de la Rousselière, au bord d’une quatre voies. La localisation laisse à désirer pour les étudiants qui doivent prendre plusieurs bus et terminer à pied pour enfin arriver sur le lieu des cours. Le bâtiment est vaste (plus de 1000 m  2 ), chacun y trouve sa place. Des salles de cours permettent d’accueillir les étudiants. Une vaste salle de travaux pratiques aux couleurs de Yannick de Roeck (paillasses bleu turquoise et orange) permet aux étudiants de s’initier à l’art la formulation. CPG, HPLC, Headspace, spectrophotomètres UV et IR… sont utilisés pour réaliser les dosages nécessaires tant pour la recherche que pour les contrats qui ne tarissent pas. Emmanuel hante les lieux. C’est le spécialiste-maison de l’informatique. Il initie sa mère à Internet, lui démontrant son importance en termes de communication.

Les deux associations fonctionnent à plein régime. Yannick embauche une secrétaire (Céline) et un technicien (Alban), par ce biais. Les thésards, les ATER (Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche), les stagiaires… tout le monde tremble devant la chef du laboratoire. Une véritable compétition s’instaure. Si vous souhaitez rester au laboratoire, il faut en valoir la peine. Ici, l’on veut avant tout qu’il y ait du retour sur investissement ! Dans son grand bureau du premier étage, lorsque Mme de Roeck convoque l’un ou l’autre, il vaut mieux connaître son sujet. Installée derrière son grand bureau vitré, mâchoire serrée, tailleur impeccable, le grand chef va droit au but. Inutile de préparer des fioritures diverses et variées, vous risqueriez d’énerver Mme 100 000 volts. Un thésard en fit d’ailleurs les frais. Durant ses trois années de thèse, il ne fut plus jamais convoqué dans le bureau pour avoir manqué de rapidité lors de la première entrevue. Afin de gagner du temps, Mme de Roeck décida alors de passer par un intermédiaire, Laurence en l’occurrence, qui, à débit suffisamment rapide, était capable de lui indiquer l’état d’avancement de la thèse.

Dans mon souvenir, j’ai connu Yannick de Roeck durant mes trois ans de thèse, il est difficile de dissocier ce personnage hors normes de bacs en plastique remplis de documents qui la suivaient partout. Rapports, publications, revues… s’entassaient dans ces bacs et faisaient la navette entre le laboratoire et le domicile privé, les domiciles privés plutôt… car Mme de Roeck collectionnait les maisons, comme Helena Rubinstein les bijoux ou les toiles de prix. Une maison à Nantes, boulevard Jules Vernes jouxtant le parc du Plessis Tison six mois de l’année, une maison de campagne à Saint-Étienne-de-Montluc pour les six mois restants, deux maisons en Bretagne (une à Lanmodez, dans les Côtes-d’Armor, et l’autre dans une île du Morbihan) pour des week-ends iodés, un appartement à Paris pour les déplacements professionnels. Une âme de chef (tout fonctionne à la baguette, le ton est tel que personne n’a envie de faire de l’humour) mise au service d’un laboratoire, avec une véritable obsession : laisser une marque indélébile dans le milieu cosmétique en général et de la valorisation des algues et des produits marins en particulier.

Yannick de Roeck, pour tous ceux qui ont travaillé avec elle, c’était un tempérament difficile à vivre au quotidien ! Les anecdotes sont nombreuses démontrant que tout devait plier devant une volonté de fer. C’est aussi et surtout, dans le domaine qui nous intéresse, une véritable pionnière qui a su laisser sa marque dans le domaine. Tout élément entendu dans un congrès ou lu dans une publication lui donnait immanquablement une foule d’idées. Il n’y avait plus qu’à… Des congrès à gogo, une recherche dans le domaine de la cosmétologie marine avec le développement d’une base de données dénommée Biotekalg, des dosages par milliers, des idées inépuisables…

En 1999, la santé de Yannick de Roeck s’altère. Elle n’en reste pas moins à la tête du navire. Les réunions ne se font plus dans son bureau mais dans sa voiture. Elle n’a plus la force de se déplacer. Chacun passe, à tour de rôle, échanger un mot avec elle à la portière de sa voiture…

Seize ans après sa mort, l’image de Yannick de Roeck reste vivante pour tous ceux qui ont été formés de sa main (et ils sont nombreux), une école difficile car les exigences étaient forte. Croisez une personne travaillant aujourd’hui dans l’industrie et qui l’a connue alors, elle se rappellera forcément de cette femme au look atypique et aux exigences non moins atypiques.

Quelques publications
Revue d'Histoire de la Pharmacie (deux contributions de 1975 à 1988)
• Pharmacopées et pharmacie au Moyen-Orient (1975, article)
• La cosmétologie à travers les âges (1988, article)

Cette contribution a été réalisée par Céline Couteau.

Céline Couteau est née le 2 janvier 1970 à Nantes. Elle arrive sur les bancs de la Faculté de Pharmacie de Nantes, bac scientifique en poche, en septembre 1988, sans se douter qu’elle y fera carrière un jour prochain. Un intérêt marqué pour les aspects galéniques liés à la profession de pharmacien, une thèse d’exercice ayant pour sujet Les liposomes : modèles expérimentaux et applications thérapeutiques (ceux-ci sont alors très à la mode dans l’industrie cosmétique), un stage de DEA effectué au sein des laboratoires Reckitt & Colman (Barbara Gould) avec comme finalité la valorisation de pectines de betterave à des fins gélifiantes, une thèse de doctorat (1994 – 1999) au Laboratoire de Pharmacie industrielle et de Cosmétologie, sous la direction du Professeur Yannick de Roeck, ayant comme thème l’" Étude de la thermo et de la photostabilité d’édulcorants intenses en solution aqueuse diluée" : les étapes de la carrière universitaire de Céline Couteau lui font découvrir différentes facettes du milieu cosmétique. Après avoir occupé plusieurs postes entre 1999 et 2004 au sein du laboratoire de Pharmacie industrielle et Cosmétologie, elle est titularisée à celui de Maître de Conférences en 2004. En 2009, elle obtient son Habilitation à Diriger des Recherches (HDR) en exposant l’intérêt des méthodes in vitro en termes de détermination de l’efficacité des produits de protection solaire ( Les produits solaires : détermination d’efficacité par méthodes in vitro – Criblage de molécules ou d’extraits d’intérêt ). Depuis lors, elle partage son temps entre l’enseignement, la responsabilité de la Licence professionnelle Spécialité Cosmétologie, la recherche (la thématique du laboratoire concerne la thématique Peau et Soleil) et l’écriture.


Et en plus, Madame Aquarelle !

Yannick de Roeck Holtzhauer (1935 - 1999), Professeur des universités à la faculté de pharmacie de Nantes, a laissé une collection de trente-sept aquarelles représentant des algues .
Pour chaque tableau, elle a effectué sur site le choix du sujet, le ramassage ou la cueillette, et le dessin rehaussé à l'aquarelle. Elle inscrivait ensuite la dénomination après avoir consulté des ouvrages de référence et souvent des collègues algologues, mais parfois leurs avis divergeaient. Voici quelques planches.
Elles sont toutes signées

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