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mercredi 22 avril 2015Cosmétothèque

La peau sous toutes ses coutures – Partie 2

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Michelle Vincent nous invite à poursuivre la découverte de la recherche clinique en cosmétique au travers des travaux et des contributions qui ont aidé petit à petit à décrire la notion de "peau saine". Ces approches ont permis des avancées importantes à cette industrie qui jusque-là ne s’intéressait à la peau que par le biais des ingrédients et de la formulation. Dès lors que la synthèse entre les caractéristiques cutanées et les ingrédients a été faite, le développement de produits efficaces a pris une autre allure. Dans cette partie, Michelle nous invite à revivre l’aventure de la bio-ingénierie cutanée du côté de Besançon. - Jean-Claude Le Joliff

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~ 11 minutes

 2. Le développement des systèmes de mesure

Les années 30 ont vu l’essor de grandes marques cosmétiques créés par des femmes de caractère telles qu’Helena Rubinstein, Elisabeth Arden, Ella Baché ou encore par le talentueux chimiste Eugène Schueller, dont la société est devenue la multinationale L’Oréal. À cette époque, la cosmétique est encore dans une démarche quelque peu empirique. Les mesures scientifiques de l’effet des produits sur la peau sont balbutiantes. Petit à petit, entre autres sous la pression de l’industrie, la connaissance de la peau va fortement évoluer par l’apport de techniques ou de moyens d’évaluation qui permettront de définir plus précisément les caractéristiques de la peau, mais également de commencer à mesurer objectivement les effets des produits. Une nouvelle ère de collaboration entre dermatologie et cosmétique va s’ouvrir et proposer des voies de progrès importantes.

Au commencement, les prises d’empreintes

L’aventure débute avec le développement de la biophysique et de la métrologie cutanée, suite, entre autres, aux travaux du dermatologue tchèque J. Zahejsky, qui propose une technique de prise d’empreintes pour étudier la microtopographie de la surface de l’épiderme. Les apports des nouveaux appareillages et techniques de chimie et de physique permettront de mieux connaître la peau saine et d’objectiver les effets des produits. On passe ainsi d’un monde d’allégations à un monde de preuves. De grands progrès issus de la biophysique sont à la source de l’évaluation clinique et de la mesure des effets des produits.

La création en mars 1951 de la Société Française de Cosmétologie (SFC) va contribuer à la diffusion des connaissances. Mais il faudra attendre la fin des années 70 pour véritablement voir émerger la biométrologie cutanée. C’est ainsi que les laboratoires vont intégrer petit à petit ces appareils de biophysique permettant d’investiguer les caractères de la peau saine, jusque-là uniquement définis par opposition à la peau pathologique. Une nouvelle science va se développer autour de fonctions nouvelles. Ce sera principalement l’apport de ce que l’on appellera plus tard les "sciences du vivant". Une "nouvelle peau" va peu à peu prendre forme sous nos yeux, celle d’un organe complexe, multi-compartimenté, plurifonctionnel, émettant et recevant, etc. Cette notion va remplacer progressivement celle, plus ancienne et statique, d’une simple enveloppe de cellules dites mortes. De ce fait, la Cosmétologie va faire des progrès importants, tant dans la définition des ingrédients que des routines de beauté.

L’objet de cet article n’est pas de faire une liste exhaustive de tous les appareils existants, mais de relater quelques initiatives de précurseurs en leur temps et peut-être d’imaginer le futur.

Un pionnier : Pierre Agache (1927-2003)

Né à Roubaix en 1927, Pierre Agache fait ses études de médecine à Lille. Professeur agrégé en 1965, il prend le poste de Professeur de Dermatologie à Besançon en 1969.

En parallèle de ses activités de recherches médicales, Pierre Agache a surtout été le créateur d'un secteur d'activité originale : celui de l’exploration fonctionnelle cutanée, qu'il définissait comme l'application pratique des connaissances en physiologie de la peau. Ses travaux (années 80) porteront d'abord sur l'excrétion du sébum, puis sur la perte insensible en eau, les propriétés mécaniques de la peau, ainsi que sur la cicatrisation. Il contribuera également significativement aux progrès de la photobiologie.

Quelque temps après son arrivée à Besançon, il créera le laboratoire de biologie et de biophysique cutanée. Pierre Agache va se passionner pour la bio-ingénierie cutanée et contribuer fortement à son développement, rapprochant ainsi deux spécialités à l’époque très distantes, la Cosmétologie et la Dermatologie.

Ce sont ses recherches en biomécanique de la peau qui le mettront au premier plan international dans le domaine de la biométrologie. Après Miami, Cardiff ou Philadelphie, ce sera à Besançon que le congrès international de la société de bio-ingénierie cutanée tiendra ses travaux dans les années 80. Professeur émérite de dermatologie, il créa le Laboratoire de bio-ingénierie cutanée au sein du Service de dermatologie et de médecine vasculaire au Centre hospitalier Universitaire Saint-Jacques, Besançon. De nombreuses publications accompagneront cette aventure et sa contribution à plusieurs ouvrages de référence en atteste. Le Professeur Philippe Humbert assure la continuité de ces approches.

Un partenariat privé-public : le CERT

À cette époque, le Professeur en dermatologie Pierre Agache, alors chef de service du centre hospitalier Saint-Jacques à Besançon, va commencer à s’intéresser à la bio-ingénierie cutanée à travers ses travaux de recherche en virologie. Il rencontre aussi François Dalle, Président Directeur Général du groupe L’Oréal. C’est le début des investigations sur le relief cutané ou encore de l’élasticité de la peau, avec le fameux twistomètre (breveté par L’Oréal Recherche). Cet appareil applique un couple de torsion à la peau et enregistre les forces liées à cette déformation. Il rend ainsi compte de ses propriétés biomécaniques. L’usage de l’échographie fera aussi son apparition dans le monde de la cosmétologie comme technique non invasive d’observation. À partir de 1987, le Pr. Agache va diriger de nombreuses thèses sur l’étude de la peau à partir de techniques physiques (comme celle de Patrice Bastian, Contribution à  l'étude de l'épaisseur cutanée par ultra-sons , 1987). Dans les années 90, il va véritablement s’investir dans ce nouveau champ de recherche avec de nombreuses publications et le lancement du projet Pierre Vernier à Besançon. Ce nouveau centre sera inauguré en 2001.

À l’origine, le groupe Pierre Fabre, en collaboration avec le service de dermatologie du CHU de Besançon et l’UFR de sciences, va créer une plateforme de biométrologie cutanée. L’idée du Pr. Agache était d’associer le laboratoire de mécanique appliquée et l’équipe du Pr. Jean Mignot à cette aventure.

Des sciences comme la tribologie (étude des surfaces), la physico-chimie, la mécanique, l’optique, l’informatique vont permettre d’explorer la peau au même titre qu’un matériau, certes quelque peu singulier, puisque vivant. Science de la vie et science des matériaux, cette association étonnante va conduire à l’émergence de la nanométrologie. Le Pr. Hassan Zahouani, élève du Pr. Agache et du Pr. Mignot, va devenir le spécialiste de la tribologie (science des frottements) en cosmétique. Au côté de Safwat Makki, maître de conférences à la Faculté de Médecine et Pharmacie de Besançon, spécialiste du relief et de l’absorption cutanée (microscopie confocale, profilométrie, cellules de Franz) et membre de l’équipe du Pr. Humbert, il va contribuer à l’essor des connaissances sur le relief cutané.

Parallèlement, le laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes du CNRS va déposer, en 2005, un brevet international sur une sonde tribo-acoustique qui mesure l’élasticité, la raideur et la rugosité d’un contact.
On sait alors objectiver la douceur de la peau, des cheveux…

En 1993, le Pr. Philippe Humbert succède au Pr. Agache à la tête du Centre d’Études et de Recherche sur le Tégument ( NB : le tégument correspond au tissu de recouvrement de l'organisme, à savoir la peau, les muqueuses et les phanères : poils, cheveux, ongles…), le CERT, partenaire du Laboratoire d’Ingénierie et de Biologie Cutanées (LIBC) et du département de Dermatologie du CHU de Besançon. Ce centre d’expertise de la peau dispose d’un laboratoire de caractérisation du tégument (mesures des paramètres physiques, anatomiques et chimiques) et d’une plateforme de pharmacologie cutanée pour des études pharmacocinétiques et pharmacodynamiques in et ex vivo .

Pour le Pr. Philippe Humbert, ancien Président de l’ISBS (International Society of Biophysics and Imaging of the Skin ), " trois périodes ont marqué le développement de la biométrologie cutanée ".
• Les années 1998-99 avec la mise en évidence de l’effet d’un cosmétique in vivo . C’était la première fois qu’une étude montrait l’action stimulante de la vitamine C sur la synthèse de collagène (+ 30 %) [1].
• Puis 2002 avec l’arrivée d’un appareil permettant de mesurer objectivement l’éclat de la peau (diffusion de la lumière).
• Enfin 2004 avec la démonstration pharmacologique du déficit de la peau en Vitamine C avec l’âge [2].

Depuis, beaucoup de chemin a été parcouru, avec la création en 2004 de Bioexigence, dans le cadre de la loi sur la recherche et l’innovation, présidée par le Docteur en Pharmacie Carol Courderot-Masuyer. Cette société est spécialisée dans les tests d’efficacité in vitro et les études de pénétration percutanée sur explants de peau. Puis en 2006, Skinexigence voit le jour, avec à sa tête le docteur Sophie Mac, une entreprise lauréate de la catégorie "création-développement" du 7e Concours national d’aide à la création d’entreprise de technologies innovantes du Ministère délégué à l’Enseignement supérieur et à la Recherche. Skinexigence développe des techniques d’analyses d’images afin d’extraire des informations qualitatives et quantitatives, ainsi que diverses modélisations (détection neuronale, analyse colorimétrique et/ou géométrique, granulométrie, profilométrie). Enfin, ProviSkin est spécialisée dans la recherche de tests sur explants de peau et étude in vitro et propose une gamme de produits brevetés : Kit de peau K-Skin, cellule de diffusion D-Skin… Le CERT, structure privé/public, apparaît comme un incubateur de startups innovantes dans le domaine de la bio ingénierie cutanée.

" À mon arrivée au CERT", poursuit Philippe Humbert, "j’ai recruté de nombreux ingénieurs et j’ai continué à développer le centre en apportant de nouveaux outils de mesures comme l’ÉclatScope® (en 2002), le premier à pouvoir quantifier des paramètres de l’éclat de la peau. L’autre axe très important sur lequel le CERT travaille est celui de son expansion au-delà des frontières. Nous avons récemment formé cinq professeurs de Dermatologie et de Médecine chinois qui sont maintenant nos relais dans différentes villes de Chine (Pékin, Chengdu, Suzhou, Ürümqi). La Thaïlande nous a sollicité s pour mener le même type de recherche que nous réalisons ici en France. Le CERT a aussi une mission de conseils auprès des entreprises qui souhaitent développer leur propre laboratoire de biométrologie comme Silab ou GreenTech ". L’engouement pour la biométrologie ne se dément pas, à l’image du phénomène Lifelogging, consistant à quantifier tout ce qui peut l’être en termes de données personnelles. Ce qui amènera probablement à miniaturiser autant que possible les capteurs de mesures.

Parallèlement, d’autres universités, comme Paris Sud (faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry) pour ne citer qu’elle, vont contribuer à approfondir les connaissances de la peau à travers la conduite de nombreuses thèses cofinancées par les grandes marques cosmétiques.

Rencontre entre la recherche et l’industrie, création de la SF2iC

La Société Francophone d'Ingénierie et d'Imagerie Cutanée (SF2iC, association à but non lucratif) a été créée le 16 décembre 1999, avec pour objectif de promouvoir la recherche scientifique sur les méthodes d'évaluation non invasive en Imagerie et Ingénierie Cutanée, de développer la connaissance dans les domaines des propriétés fonctionnelles de la peau saine et/ou pathologique ainsi que de l'efficacité et de la sécurité des traitements de la peau, et de favoriser la discussion scientifique entre experts francophones. Elle organise notamment des congrès tous les deux ans, en alternance avec des séminaires traitant des thèmes de l’ingénierie et de l’imagerie cutanée. L’association est dirigée par un Conseil d'Administration de neuf personnes maximum élues pour une durée de quatre ans renouvelable une fois lors de l'Assemblée Générale.

Durant ces trente dernières années, d'importants progrès ont permis de mieux caractériser la peau dans ses différentes composantes physiques (mécaniques, optiques, tribologiques…) et physico-chimiques. Les équipes de recherche de l'industrie, du monde hospitalier et universitaire (CNRS – INSERM) sont de plus en plus nombreuses à s'intéresser à ces nouvelles méthodes de caractérisation.

 1. Humbert PG, Haftek M, Creidi P, et al. Topical ascorbic acid on photoaged skin. Clinical, topographical and ultrastructural evaluation: double-blind study vs. placebo. Exp Dermatol. 2003 Jun;12(3):237-44.

 2. EVEQUE N, ROBIN S, MAKKI S, MURET P, ROUGIER A, KANTELIP JP, HUMBERT Ph. Iron and ascorbic acid concentrations in human dermis in respect to age and body site. Gerontology  2003, 49 : 117-22.

Nous devons cette nouvelle contribution à Michelle Vincent avec la collaboration des équipes du CERT. Nous remercions tout particulièrement Philippe Humbert pour sa contribution et sa disponibilité.

Michelle Vincent
Diplômée de l’ENSAM Montpellier (aujourd’hui SupAgro)  en sciences des aliments, Michelle commence sa carrière comme ingénieur Qualité dans le groupement Intermarché. Au cours de cette première expérience, elle côtoie des PME et des filières amont de l’industrie agro-alimentaire. En  1993, le destin la conduit vers un univers plus glamour, celui des cosmétiques. Elle intègre Chanel à Neuilly sur Seine. Son challenge : mettre en place un laboratoire d’analyse sensorielle afin d’optimiser les galéniques des formules cosmétiques. En 2008, changement de cap pour la presse professionnelle en tant que directrice des rédactions. Parallèlement fin 2012, elle crée son cabinet conseil pour accompagner les entreprises dans le développement de méthodes d’évaluation cosmétique et de rédaction de contenu scientifique. Enfin, elle est enseignante à l’ISIPCA sur des modules de développement durable, RSE, filière du naturel. Elle collabore à la Cosmétothèque® depuis sa création.

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