1. De l’observation à la mesure : Naissance de la biométrologie cutanée. La peau est l’organe visible par excellence. Prendre soin de sa peau fait partie intégrante de la vie. Quelles que soient les civilisations, l’humain a toujours cherché à embellir son image. Les papyrus égyptiens décrivaient déjà les premières recettes de beauté. Au XVIe siècle, des écrits en latin se consacrent à la cosmétologie. Le premier du genre est celui de Girolamo Mercuriale, De decoriatione Liber, publié en 1585. Ce n’est que beaucoup plus tard, avec les premiers préceptes d’hygiène, que l’étude de la peau va intéresser certains scientifiques.
La première classification de peau revient à Auguste Debay, médecin, dans un ouvrage d’hygiène médicale¹ du visage et de la peau, de 1850, revisité en 1879.
Les premières descriptions
Selon A. Debay, "l’enveloppe humaine, la peau (…) diffère cependant d’une manière bien tranchée, selon les races, les climats, les tempéraments, les professions, les sexes, l’âge, etc.". Il va ainsi distinguer les peaux en deux catégories : grasses ou sèches, puis blanches à l’image "des peaux fines et presque étiolées des Parisiennes ou des Londoniennes", en opposition aux "peaux hâlées des paysannes ou brûlées de soleil des bédouines". Il va pousser son observation en décrivant plus finement les caractéristiques de chacune :
• la peau grasse avec un tissu cellulaire abondant, beaucoup de sécrétions et d’excrétions qu’il qualifie de peau à "tempérament humide",
• la peau sèche, avec un tissu cellulaire plus rare, moins riche, avec moins de sécrétions, rencontrée chez les "tempéraments secs, bilieux et nerveux".
Quant à la couleur, pour laquelle il observe de nombreuses nuances, elle est purement d’origine génétique et classée en deux catégories seulement : blanches ou noires. Les peaux asiatiques ne sont pas encore relatées.
D’autres, comme le docteur M. Baron² vont s’intéresser aux maladies de peau, en livrant une description anatomique de celle-ci. Grâce à l’observation sous microscope, il va la décrire comme étant composée de quatre éléments que sont : l’épiderme, le tissu papillaire, nerveux et vasculaire, la couche muqueuse et le derme.
Cette description résulte de l’observation à différents stades des maladies de peau et/ou déformations du tissu cutané telles que les cors, durillons et "autres productions cornées" pour l’épiderme.
Chacune de ses catégories sera détaillée après dissection, avec mention des glandes chromatogènes (couleur), trikogènes (à l’origine de "maladies" comme l’alopécie, la calvitie, le lichen…), sébacées (acné, impétigo, lupus…) et sudoripares (sueurs morbides, éruptions militaires, sudamina…). Les symptômes de la maladie sont, à cette époque, à l’origine de la description.
Plus légèrement, les commentaires sur la différence entre la peau des femmes blondes et celle des brunes laissent perplexe. Ainsi, les blondes auraient de manière générale une peau plus blanche, plus rosée et plus fine tandis que les brunes auraient, elles, une peau plus douce au toucher car de grain plus fin et exempte de taches de rousseur. Cette peau brune serait moins éclatante mais moins fragile aux affections cutanées superficielles (dartres) et vieillirait mieux… Une belle peau serait souple, polie, fraîche, transparente, légèrement rosée.
L’auteur affiche une préférence pour les peaux des femmes blondes, qu’il qualifie de "plus féminines". Et d’en rajouter avec une description quasi idyllique : "lorsqu’à une longue chevelure blonde, elle unit la perfection des traits et des formes, c’est la vénus Anadyomène sortant du sein de l’onde". No comment !
Il va poursuivre en abordant la notion de beauté de la peau et donner une première définition des cosmétiques.
Beauté et cosmétique
L’origine grecque du mot cosmétique signifie "embellir". Ainsi, la cosmétique est l’art de cultiver, de développer et de conserver la beauté du corps, mais aussi de lutter contre les défauts et autres imperfections. Il ose résumer cet art en "couvrir la laideur d’un masque attrayant".
Il définit sommairement trois grandes classes de produits cosmétiques :
• les produits n’ayant subi aucune transformation chimique. Cette catégorie englobe les eaux thermales, les eaux florales (eaux distillées de rose, d’oranger, de plantain…), le lait
d’hébé
, les huiles et les graisses, les liqueurs, les pâtes ;
• les cosmétiques de la première classe ayant subi des transformations chimiques (émulsions, macérations, décoctions, pommade avec des sels, des résines ou des principes actifs) recommandés pour les personnes de seconde jeunesse ;
• les cosmétiques médicaux, du ressort du pharmacien, généralement des substances présentant un danger, aux vertus curatives. Finalement classés dans les médicaments, ils ne seront pas décrits dans les ouvrages de cosmétique.
Plus tard, en 1913, le Dr Paul Gastou³, chef du laboratoire central à l’hôpital Saint-Louis à Paris, classera les cosmétiques en trois catégories, dans son formulaire cosmétique et esthétique :
• les cosmétiques de ménage, recettes empiriques dont l’usage a confirmé les effets,
• les cosmétiques de pharmacien, dont il recommande l’utilisation car préparés avec un savoir-faire et des ustensiles précis même s'ils sont les plus coûteux ;
• les cosmétiques de parfumerie, élaborés par des maîtres parfumeurs, mais dont on ne connaît pas toujours la composition exacte.
Sous le générique "Produits de beauté", cette classification s’est quelque peu étoffée, la pharmacie ayant trouvé sa propre voie. Restent les OTC ou QD (pour "quasi drug"), catégorie à part pour le Japon et les États-Unis, qui pourraient se généraliser dans un futur proche au vu de l’efficacité toujours plus grande des cosmétiques. C’est justement grâce à cette recherche de performance que conjointement la pharmacie, la cosmétologie et la dermatologie vont contribuer à la connaissance de la peau saine.
L’approche expérimentale de la connaissance de la peau
L’hôpital Saint-Louis à Paris et son école de dermatologie vont contribuer au développement des techniques d’exploration cutanée. Au tout départ, sous l’impulsion de Jean Louis Alibert⁴, médecin à Saint-Louis, un manuel illustré de 53 gravures de maladies de peaux et de tête est publié en 1833. Une œuvre qui fera référence. Plus tard, l’avènement de la photographie va s’avérer le moyen idéal pour éditer des fascicules de dermatologie au plus proche de la réalité et moins coûteux que les dessins et gravures.
À la fin du 19e, le professeur Richerand tente les premières expérimentations sur l’absorption cutanée. Il va ainsi montrer que les différents éléments contenus dans un bain aqueux peuvent traverser la peau. Il nourrit des malades qui ne pouvaient pas s’alimenter en les enveloppant de linges imbibés de bouillon de viandes. Ou encore, il a observé qu’un bain composé de substances purgatives produit le même effet qu’une administration par voie orale, etc. Le précurseur du patch était né !
La recherche va ensuite lentement évoluer ; des liens se tissent entre les hôpitaux et les universités. Mais c’est véritablement après-guerre que des grands thèmes de recherche se mettent en place.
En 1954, lors du congrès de la détergence, la Société Française des Cosmétiques interpelle le Pr. Schneider, chef de la clinique de dermatologie d’Augsbourg, sur la classification cutanée, en dehors des peaux pathologiques. Celui-ci estime qu’il existe une multitude de peaux différentes, alors que les cosmétologues de l’époque voient essentiellement deux types de peaux : celle des hommes à peau grasse, séborrhéique et mouillable, et la peau sèche.
Depuis de nombreuses années, les types de peau étaient décrits principalement au travers de critères esthétiques dans le but d'aider à la vente des produits. C’est Helena Rubinstein qui, en 1910, proposera la première classification en trois types de peau : sèche, grasse et normale.
Cependant, la mesure de la teneur en eau et en matière grasse pourraît permettre de nuancer cette catégorisation binaire. De même que le rapport entre ses variations, le comportement physiologique et l’aspect clinique des peaux. Au cours de cet échange, le Pr. Schneider dévoile une de ses méthodes de mesure de pénétration cutanée. L’idée était d’étudier l’effet d’une crème protectrice. Quelque temps après l’application sur la peau, il retire l’excès avec un tampon d’ouate ou par lavage et effectue aussitôt des patch-tests avec une dose irritante de térébenthine afin de vérifier l’effet protecteur de la crème. Les essais vont montrer que la pénétration était suffisante puisque les tests d’irritation étaient négatifs. Une autre méthode aurait consisté à utiliser des isotopes radioactifs.
L’activité de recherche sur la peau va véritablement connaître une dynamique à partir des années 1980, avec la naissance de la biologie cutanée. Cette période correspond à la mise en place des unités de recherche Inserm comme celle sur l’immunité cutanée à Lyon, sur les épidermes reconstruits à Paris et à Lyon, sur la photo-dermatologie à Nice et la biométrologie cutanée à Besançon.
Un autre mode de classification apparaîtra à peu près à la même époque, croisant les observations issues de la biométrologie. Il s'agit de la classification des phototypes selon Fitzpatrick revoyant à la couleur de la peau⁶.
Ce sujet sera abordé dans notre prochain chapitre.
¹
Formulaire de la beauté, indiquant les moyens rationnels de conserver l'éclat du teint et la fraîcheur de la peau ; de dissiper les rougeurs, boutons, taches, éphélides, dartres et autres altérations cutanées ; de prévenir et de redresser les difformités des traits du visage, Paris : E. Dentu, 1879.
²Extrait du livre d’E. Dentu, 1879, Hygiène médicale du visage et de la peau BIU Santé, Paris.
³Gastou Paul Louis,
Hygiène du visage- Formulaire cosmétique et esthétique, 1913, BIU Santé Paris.
⁴Jean Louis Alibert, traité complet des maladies de la peau, Cormon et Blanc, 1833, BIU Santé Paris.
Cette contribution a été réalisée par Michelle Vincent. Diplômée de l’ENSAM Montpellier (aujourd’hui SupAgro) en sciences des aliments, Michelle commence sa carrière comme ingénieur Qualité dans le groupement Intermarché. Au cours de cette première expérience, elle côtoie des PME et des filières amont de l’industrie agro-alimentaire. En 1993, le destin la conduit vers un univers plus glamour, celui des cosmétiques. Elle intègre Chanel à Neuilly sur Seine. Son challenge : mettre en place un laboratoire d’analyse sensorielle afin d’optimiser les galéniques des formules cosmétiques. En 2008, changement de cap pour la presse professionnelle en tant que directrice des rédactions. Parallèlement fin 2012, elle crée son cabinet conseil pour accompagner les entreprises dans le développement de méthodes d’évaluation cosmétique et de rédaction de contenu scientifique. Enfin, elle est enseignante à l’ISIPCA sur des modules de développement durable, RSE, filière du naturel. Elle collabore à la Cosmétothèque® depuis sa création. |