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mercredi 4 janvier 2017Tendances

Le retour des maîtres queux

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Certains se sont déjà étonnés (et me l’ont fait remarquer) que je sois intéressé par les problématiques de l'intelligence artificielle appliquée à la formulation. Certes, il m'est arrivé de publier quelques réflexions sur ce thème, et j'avoue assez facilement que cette question m'intéresse. Plus pour la curiosité intellectuelle que pour d'autres raisons, je pense que c'est une question importante et non triviale pour ceux qui sont encore concernés par les métiers de la formulation.

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Quand on discute avec les uns et les autres, on constate un certain marasme dans ces métiers. Or, les deux choses dans lesquelles il se passe à peu près quelque chose sont d'une part l'intelligence artificielle (IA), et d'autre part le "Do It Yourself" (DIY). Je suis trop respectueux d'un métier qui a longtemps été le mien pour m'intéresser un tant soit peu à cette question du "faire soi-même". C'est une démarche peut-être légitime, ça peut flatter certains égos, mais objectivement, je ne suis pas sûr que ça corresponde à quelque chose de concret. En tous les cas, ce dont je suis certain, c'est que ce n'est pas ça qui va nous faire avancer.

Dans un récent papier publié sur le site du HUB Institute , on décrit assez précisément les secteurs dans lesquels on peut postuler pour une intelligence artificielle. Et sans se prendre pour Stanley Kubrick qui imaginait le futur avec un système de contrôle dopé à l’intelligence artificielle, il n'est pas interdit de réfléchir un peu à ces questions. Dans une étude précédente réalisée par Deloitte, les auteurs admettent qu'il est difficile de prévoir les emplois du futur. Mais ils pensent que certains emplois continueront d'être créés, d'autres améliorées, et pas mal détruits suivant la théorie de Schumpeter. Alors, quels seront les métiers de demain ? Ceux de la formulation tels qu’ils sont actuellement, certainement pas. Certains seront rassurés de voir que dans une étude de Business Insider , les métiers qui ont le plus de risques d'être automatisés sont les agents de crédit, les réceptionnistes et les assistants juridiques. Ceux qui font de la réglementation feraient d’ailleurs peut-être bien de se poser des questions. Dans cette même étude, on décrit d'autres domaines dans lequel l'intelligence artificielle pourrait jouer son rôle. Là encore, on pourra se rassurer de constater que ce sont des approches très structurées, reposant souvent sur des concepts purement technologiques et répétitifs. Rien bien entendu concernant la formulation, ni même l’art du mélange, sauf peut-être la cuisine et le fast-food. Doit-on assimiler les phénomènes du low cost en cosmétique à du fast-food ? La prolifération de toutes sortes de produits pourrait le faire penser, mais chacun aura son opinion.

Mais dans cette même étude, il est plus étonnant de constater que l'intelligence artificielle pourrait être associée à de la création artistique. En effet, la création de musiques, de poésies, de peintures ou d'architecture est citée. Il serait utopique de penser que la formulation est un métier artistique, encore que ceux qui font de la parfumerie le pensent. Mais il s'agit quand même effectivement d'une activité ayant une bonne part de créativité.

Alors l'intelligence artificielle remplacera-t-elle l'homme ? Je ne sais pas. Je me dis qu'il y a des métiers dans lesquels il n'est peut-être pas si évident que ce soit des robots qui soient à la manœuvre. Et sans aller jusqu'à se poser la question, comme Laurent Alexandre, de savoir si les robots auront des relations sexuelles, il n'est pas interdit de réfléchir.

Il y a peut-être une voie alternative au "tout robot" ou au "tout tambouille" qui ferait que nous serions capables d'utiliser l'intelligence artificielle pour le meilleur et la mettre au service de l'intelligence humaine. Dans le domaine de la formulation, ça pourrait peut-être correspondre à la renaissance des "touilleurs de génie''. Il a existé dans le passé de ces gens qui avaient cette aptitude particulière à l'art du mélange pour faire des choses un peu inattendues. On les appellerait maintenant des "geek de la formulation". La sérendipité faisait quelquefois le reste. Il n'en reste pas moins que si l’on fait le parallèle avec la cuisine, l'art individuel continu d'être reconnu. Prenons l'exemple de Guy Savoy, qui vient d'être reconnu comme l'un des meilleurs cuisiniers du monde , apparemment bien avant Chef Watson, le chef digital d’IBM. Alors, pourquoi pas ?

Pourquoi ne pas imaginer que la formulation revienne à cet art un peu particulier et si individuel qui a fait le succès de notre industrie dans le passé ? Rappelons-nous des créateurs de formules comme Nivea, Nutrix et bien d’autres, qui avaient de vrais partis pris de formulation. Petit à petit, on a voulu que ce métier devienne un métier scientifique, mais est-on bien sûr que ce fût la bonne voie ? Certes, il y a besoin d'une bonne dose de techniques, mais la cosmétique reste une science du plaisir, pas uniquement basée sur de l'efficacité et la fonctionnalité. Vouloir transformer systématiquement un "produit de beauté", comme on disait dans le temps, en une sorte de médicament, est peut-être une erreur trop souvent commise. J'en ai probablement été un des acteurs, mais on peut changer d’avis. Peut-être est-il encore temps de revenir à des pratiques plus artisanales, et un mode d'incarnation que peu d'organisations ont conservé, et que les formules soient des recettes et non des catalogues d’ingrédients. Et que les "chefs" de labo soient de nouveau des formulateurs plutôt que des gestionnaires de labo de recherche. Il reste bien quelques maîtres queux de la cosmétique, mais ils sont bien rares et souvent en voie de disparition (voir cet exemple ). Imaginons ces gens dotés d'une grande patience et d'un art consommé du mélange, s'appuyant sur une connaissance avancée des ingrédients procurée par l'intelligence artificielle s’appuyant sur des approches agiles et de blockchain , et s'activant derrière leurs fourneaux !

Je plaide pour le retour à cette pratique, n’en déplaise à quelques grincheux.

Mais il faudra alors identifier dans les laboratoires celui ou celle qui peut incarner cette fonction, les former, pas uniquement à l'art de la formulation, mais également à l'art de la communication. En effet, c'est au travers de ce type d'approche que l'on pourra peut-être encore mieux continuer à faire passer les messages ludiques et oniriques que notre métier a si bien su développer dans les décennies précédentes, plutôt que de se perdre en conjectures sur le rôle d’une enzyme ou d’un microARN, inconnu avant et bien vite oublié au profit du dernier-né !!!

Alors, Mesdames et Messieurs, à vos fourneaux et bon courage.

Jean Claude Le Joliff

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